CONJONCTURE ECONOMIQUE ET FINANCIERE AU TCHAD : QU’EN DISENT LES CHIFFRES ?

Place de la nation à N'djamena

A l’instar des autres pays de la CEMAC (excepté la RCA), le Tchad dépend fortement des ressources minières, particulièrement le pétrole. Sur la dernière décennie, le pétrole a représenté plus de 80% des recettes d’exportation et 60% des recettes budgétaires. Cette dépendance vis-à-vis de l’activité pétrolière fait du Tchad un pays fortement tributaire de l’évolution des cours du baril sur le marché mondial.

Mais depuis 2014, suite à la chute des cours mondiaux du pétrole, le Tchad traverse une grave crise économique et financière ayant considérablement affecté la situation de ses finances publiques. Il en est résulté une accumulation de la dette (passant de 27,8% du PIB en 2015 à 35,9% en 2016, avec une grande composante de dette extérieure), une détérioration de la balance des paiements (déficit extérieur courant de -17,2% du PIB en 2016 contre -16,9% du PIB en 2015) et une détérioration du taux de couverture extérieure de la monnaie (un taux de couverture passant de 73,2% en 2014 à 12,5% en 2016). Toutes ces tendances ont pour corolaire le ralentissement de la croissance économique. Cependant, les effets de cette crise se vivent au quotidien chez les ménages tchadiens (retards de paiement des salaires, compression du personnel dans des entreprises, suspension des chantiers tant publics que privés, etc.).


Le solde budgétaire est la différence entre le niveau des recettes et celui des dépenses constatées dans le budget au cours d’une année. Par contre, le solde extérieur courant est le solde qui résulte des échanges de biens et services ainsi que des revenus et transferts entre l’économie nationale et l’extérieur. Nous constatons sur le premier graphique que ces deux soldes sont déficitaires pour la plupart de temps, ce qui traduit le caractère faible de notre économie et sa dépendance vis-à-vis de l’extérieur.

Par ailleurs, le taux de couverture extérieure de la monnaie est le rapport entre les avoirs extérieurs et les engagements à vue d’un pays. La Banque Centrale a entre autre, pour objectif, d’assurer la stabilité externe de sa monnaie en suivant ce taux qui est fixé à un niveau minimal de 20%. Comme nous pouvons le constater sur ce graphique, depuis 2014, ce taux chute à un rythme inquiétant. L’heure est de s’interroger sur les mesures à prendre pour résorber le déséquilibre observé au niveau des agrégats.

Quels instruments mobiliser pour gérer cette crise ?

  • La maitrise des dépenses publiques

La théorie économique nous montre qu’en période de crise, il est utile de soutenir l’activité économique. Mais la situation que vit le Tchad aujourd’hui, caractérisée par un tarissement des ressources, interpelle les autorités à (i) procéder à une optimisation des dépenses publiques (en diminuant les dépenses non productives de fonctionnement), (ii) développer des stratégies en vue d’améliorer la collecte des recettes non pétrolières via une réforme fiscale et (iii) suspendre (ou supprimer) les subventions de certains produits notamment des hydrocarbures raffinés.

  • Le recours à l’endettement

Afin de résorber les effets de la crise, caractérisée par un déficit jumeau (déficit budgétaire et déficit extérieur), l’Etat pourrait recourir à l’endettement, mais en cohérence avec un ajustement budgétaire afin de préserver la viabilité de sa dette. Dans cette stratégie d’endettement, l’Etat devrait privilégier (i) le financement extérieur semi-concessionnel car il est plus accessible et moins coûteux et (ii) la dette intérieure négociable via le marché des titres publics car il est non inflationniste et nécessaire à l’approfondissement du marché financier (émission des bons et obligations de trésor assimilables).

 

Source : Données Administration publique, Commission CEMAC

Quelle leçon tirer de cette crise ?

  • Rationalisation des choix budgétaires

Cette approche consiste à analyser l’efficacité des dépenses publiques et devrait conduire à de meilleurs choix budgétaires via une planification rigoureuse. L’objectif est donc d’optimiser les choix budgétaires par une meilleure prise en compte et l’évaluation des résultats de l’action administrative. Cette stratégie repose sur une analyse cout-efficacité de la dépense publique.

  • Révision de la mercuriale des prix

Outil de lutte contre la surfacturation, la mercuriale des prix devrait servir de guide à une administration publique pour une bonne gouvernance économique. Malheureusement dans les pays en développement, les prix figurant dans la mercuriale sont très largement au-dessus des prix du marché (les prix des fournitures et autres équipements étant très surestimés). Cette pratique est l’une des principales causes du gonflement des dépenses publiques. Dans la mesure où les prix de certains articles baissent avec le temps sur les marchés (les équipements informatiques par exemple), il convient de procéder régulièrement à la mise à jour de la mercuriale des prix afin de s’arrimer aux prix réels avec une marge raisonnable.

  • Mener une politique budgétaire contra-cyclique

Le Tchad à l’instar de la plupart des pays africains, mène une politique budgétaire pro-cyclique. L’histoire montre par contre qu’une politique contra-cyclique apparait comme une alternative afin de pouvoir lisser les fluctuations de ses cycles économiques et faire diminuer la probabilité d’occurrence d’un choc. De par sa nature, une politique budgétaire contra-cyclique doit en effet être expansionniste durant les phases de récession et restrictive durant les phases d’expansion (en dégageant une épargne pour mieux se protéger durant les phases de crise). Une des principales leçons à tirer de cette crise est de pouvoir constituer une épargne publique suffisante pour faire face à un éventuel choc. Une telle épargne, dégagée sur des recettes d’exportations pétrolières, pourrait servir de réserve pour le futur tel que recommandé par la Banque Mondiale aux pays producteurs des ressources naturelles. Certes, le Tchad s’est doté des instruments d’une politique contra-cyclique en créant un fonds de stabilisation des prix du pétrole et d’un fonds pour les générations futures mais la mobilisation de ces ressources n’a pas été effective.

Evolution des avoirs extérieurs nets des pays de la CEMAC (milliards F.CFA) Source : Données BEAC

 

Nafé DABA, Economiste à la BEAC.

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