Interview du Ministre du Pétrole et de l’Energie

Le Ministre du Pétrole et de l’Énergie Djérassem LE BEMADJIEL

Lors d’une interview accordée au journal économique Tchad Eco, le Ministre du Pétrole et de l’Énergie Djérassem LE BEMADJIEL s’est prononcé sur les effets des nouveaux contrats gagés sur la production conclus avec la société Glencore  et la problématique de l’électrification du Tchad.

Le Ministre du Pétrole et de l’Énergie Djérassem LE BEMADJIEL
Le Ministre du Pétrole et de l’Énergie Djérassem LE BEMADJIEL

Tchad Eco : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs Monsieur le Ministre ?

Djérassem LE BEMADJIEL (DLB): Je m’appelle Djérassem LE BEMADJIEL. Je suis né en 1975 à Moundou dans le Logone Occidental. Après mon baccalauréat en 1996, j’ai poursuivi mes études supérieures à la Faculté des Sciences Exactes et Appliquées de Ndjamena (Farcha). Après avoir décroché en 1999 un Diplôme d’Ingénieur en Hydrogéologie, Ressource et gestion de l’eau, je suis allé au Burkina Faso où j’ai obtenu un Master en Géologie fondamentale et appliquée. A mon retour au pays, J’ai été recruté à Schlumberger. Au sein de cette multinationale et sur la période 2002-2013, j’ai travaillé comme expert en stimulation et optimisation des puits pétroliers dans plusieurs pays du Continent (Ghana, Cameroun, Guinée Équatoriale, Congo et Gabon) mais aussi de manière partielle aux Etats Unis. Après cette riche expérience internationale, j’ai été Conseiller Spécial du Chef de l’Etat et Directeur Général Adjoint de la Raffinerie de Djermaya jusqu’à ma nomination comme Ministre du Pétrole et de l’Energie en Janvier 2013.

Tchad Eco: Pouvez-vous présenter votre département ministériel à nos lecteurs ?

DLB : Le Ministère du Pétrole et de l’Energie est en charge de la conception, de la coordination, de la mise en œuvre et du suivi de la politique gouvernementale dans les domaines de l’Énergie et des Hydrocarbures. À ce titre, il est en charge de l’élaboration, de l’application de la législation et de la réglementation en matière de recherche, de production, de transport et de stockage des hydrocarbures sous sa forme liquide et gazeuse. Le Ministère est également compétent pour un ensemble de contrôles en lien avec le secteur extractif. Il est ainsi chargé du contrôle de la production, de l’approvisionnement, du stockage et de la distribution des produits pétroliers ainsi que celui des énergies conventionnelles. Enfin, le Ministère est en charge de la promotion et du développement des énergies nouvelles et renouvelables.

Structure organisationnelle du Ministère du Pétrole et de l’Énergie
Comme pour l’ensemble des autres Ministères, la structure du Ministère comprend :

  • Un Secrétariat Général;
  • Une Direction Générale du Pétrole;
  • Une Direction Générale de l’Énergie;
  • Une Direction Générale des Études Économiques, Juridiques et de l’informatique.

Il existe également deux Délégations Régionales :

  • La Délégation Régionale du Nord couvre la partie nord du pays.
  • La Délégation Régionale du Sud couvrant toutes les régions du sud.

Il a sous sa tutelle trois sociétés et une agence des secteurs extractifs et énergétique qui sont :

  • La Société de Raffinage de N’Djamena (SRN);
  • La Société des Hydrocarbures du Tchad (SHT);
  •  La Société Nationale d’Électricité (SNE);
  • L’Agence Tchadienne de la Radioprotection et de la Sécurité Nucléaire (ATRSN);      
  • L’Autorité de Régulation du Secteur Pétrolier Aval du Tchad (ARSAT).

 

Tchad Eco : Pourriez-vous nous donner une vue synoptique des sociétés extractives au Tchad avec les activités de chacune d’elles?

DLB : 13 multinationales pétrolières exercent actuellement au Tchad auxquelles il faut ajouter l’entreprise publique (SHT). 6 d’entre elles mènent exclusivement des activités exploratoires tandis que 2 mènent à la fois des activités exploratoires et de production (CNPCIC et Glencore). Des contrats sont en cours de ratification pour 2 sociétés (Moncrief Oil International Ltd et MEIGE PETROLEUM).

Sociétés Pétrolières au Tchad Etat de l’activité
1 Esso, Petronas et SHT Production
2 CNPCIC, CLIVIDEN et SHT Exploration et Production
3 OPIC (opérateur) Exploration
4 Glencore (Petrochad Mangara) et SHT Exploration et Production
5 Glencore (Griffiths Energy (Chad)) Exploration
6 Glencore (Griffiths Energy (DOH)) Exploration
7 United Hydrocarbon et SHT Exploration
8 ERHC Exploration
9 Global Petroleum Exploration
10 SAS Petroleum Exploration
11 GTI Regalis Exploration
12 Moncrief Oil International Ltd Ratification en cours
13 MEIGE PETROLEUM Ratification en cours

 

Tchad Eco: Actualité oblige, le Tchad a conclu en 2013 et 2014 deux accords avec la multinationale Glencore portant sur la vente d’hydrocarbures et un autre sur le prêt permettant de financer l’achat des actifs de Chevron dans le consortium Esso. Pourriez-vous expliquer tout cela en de termes simples au Tchadien lambda ?

DLB : Comme vous l’avez indiqué, le Tchad a contracté deux prêts avec la société Glencore. Le premier prêt est une sorte de préfinancement et je m’explique: Glencore était un client de la SHT avec laquelle il a un contrat d’achat du brut perçu par ce dernier au titre de la redevance sur la production qui est versée en nature. En 2013, l’État, à travers la SHT a demandé à Glencore de payer en avance quelques cargaisons de futures productions : c’est le principe du préfinancement. Il faut noter que ce prêt est presque déjà remboursé aujourd’hui.

Le second prêt qui date de 2014 est en réalité ce qu’on appelle un « portage ». Bien que le Tchad ait obtenu plus de 1 milliard de US $ pour le rachat des 25% des parts de Chevron, le remboursement de cette dette n’est pas effectué au niveau du Trésor Public. Les dividendes issus des 25% de la participation de la SHT dans le Consortium permettent de rembourser les prêts sans que l’Etat n’ait à débourser des sommes supplémentaires. C’est donc le produit issu de la vente de ces 25% qui est utilisé pour le remboursement de ce second prêt. Le Tchad est désormais partie prenante dans l’exploitation de son pétrole et c’est une première en Afrique Subsaharienne. Notons tout d’abord que le Trésor Public pourra renflouer ses caisses. Ensuite, une fois que le remboursement de ce prêt sera achevé, le pays pourra bénéficier de tous les dividendes de la SHT dans le Consortium. Ce qui constitue une aubaine car il permettra de financer les projets de développement qui vont booster l’économie du pays.

Il faut souligner que pour parvenir à ce résultat, le Tchad a dû manager ce dossier comme il se doit. Il a commis un cabinet d’avocats et d’experts en la matière. C’est ce qui lui a permis de vaincre toutes les barrières et d’éviter toute erreur.En plus, c’est après avoir requis le support de plusieurs institutions financières et étudié leurs propositions respectives que le Tchad a décidé de retenir Glencore. Voilà en des termes simples comment le Tchad a conclu ces deux accords avec la multinationale Glencore.

Tchad Eco: Rétrospectivement et dans le contexte actuel de la baisse des prix du brut, pensez-vous que ces accords ont été bénéfiques pour le Tchad ?

DLB : Une fois de plus, je confirme que ces accords ont été bénéfiques pour le Tchad malgré la baisse du cours du brut. Car le Tchad, en plus de ces 25% de participation dans le Consortium de Doba, a des participations dans les deux compagnies TOTCO et COTCO qui gèrent le pipeline d’exportation. La baisse du prix du pétrole sur le marché international est un phénomène qui est hors de notre contrôle. En outre, cette baisse cyclique n’est pas la première du genre que le pays ait connu. Déjà en 2009, le prix du baril était descendu jusqu’à 40 dollars avant de remonter. Ce qu’il faut retenir, c’est que le pays n’a pas déboursé un franc du Trésor pour acquérir les 25% des actions et ne le fera pas non plus pour le remboursement de cet emprunt. Au contraire, il faudra féliciter l’équipe qui a travaillé autour du Chef de l‘Etat pour cette acquisition. Non seulement ce rachat est très intéressant pour le Tchad, mais il a déjà rapporté plusieurs centaines de milliards de FCFA à l’État en 2014. Les champs du bassin de Doba n’ont livré qu’environ 12% de leurs réserves jusqu’aujourd’hui en termes de production et il ya environ 15 a 20 ans d’exploitation encore à venir. Si vous ajoutez à ces 25% le fait que le Tchad prélève une redevance de 12,5% sur la totalité de la production et applique un taux d’imposition de 60% sur le revenu imposable du consortium, le Tchad est aujourd’hui le plus grand bénéficiaire du pétrole qui sort du bassin de Doba. L’intérêt donc de ce rachat pour notre pays n’est plus à démontrer.

Tchad Eco: Estimez-vous qu’actuellement les nouveaux Contrats Pétroliers basés sur le principe de Partage de Production sont bénéfiques par rapport aux anciens Contrats de Concession? Si oui que nous disent les chiffres ? Et sinon, comment peut-on remédier la situation ?

DLB : Les Contrat de Partage de Production sont bien sûr très bénéfiques par rapport aux anciens Contrats de Concession et cela pour plusieurs raisons. Dans ce type de contrat, l’État est à la fois titulaire des titres miniers et détient la propriété des hydrocarbures du périmètre faisant l’objet du contrat. Il donne la possibilité à un contractant de réaliser pour son compte et au risque de ce dernier, l’exploration qui ne sera remboursée qu’en cas de mise en production. S’il y a découverte et décision de développer le champ, le contractant finance le développement sous forme d’avances et reçoit, en contrepartie une part de la production pour couvrir la récupération de l’investissement qu’il a réalisé (Cost-Oil). Enfin l’un des avantages de ce type de contrat est que l’État est entièrement associé aux opérations et aux prises de décisions dans le cadre d’un comité de gestion. Il perçoit une redevance sur la production d’un taux de 14,25%, une participation de 25% à travers la SHT et enfin une partie du Profit-Oil avec un taux de partage compris entre 40 et 60%. En outre, toutes les grandes décisions stratégiques et opérationnelles dans le cadre de ce contrat doivent être prises avec l’accord préalable de l’État, ce qui est une avancée majeure comparativement aux Contrats de Concession.

Tchad Eco: La chute des cours du brut a entraîné un ralentissement des investissements dans le secteur pétrolier. Pensez-vous que cette situation sera durable et quel serait l’impact de ce ralentissement sur la production pétrolière ?

DLB : La chute des cours du brut a provoqué surtout un ralentissement au niveau des activités exploratoires. Les compagnies pétrolières se concentrent sur la réduction des coûts et le maintien du niveau de production actuelle. En terme de production, 2015 a été la meilleure année pour le Tchad. S’il n’y avait pas eu cette baisse des cours, le Tchad allait enregistrer des recettes pétrolières exceptionnelles. La production du pays a doublé en passant de 75 000 à 150 000 barils par jour. Malheureusement nous n’avons pas pu profiter de l’effet de ce doublement de production parce que le pétrole a entre temps perdu 70% de sa valeur. Donc sur le plan de production, la baisse du prix n’a pas impacté négativement la production. Du reste, la baisse des cours du brut n’est qu’un mouvement cyclique et du coup à moyen et long terme, il n’ya pas d’inquiétude à se faire. La chute actuelle ne sera pas durable, car selon les prévisions, les cours du brut repartiront à la hausse au cours de l’année 2016.

Tchad Eco: Quelles leçons tirez-vous de la brouille entre l’Etat et la CNPCIC relative au non-respect de l’environnement ? Quelles dispositions l’Etat compte prendre pour éviter que cela ne se produise à nouveau ?

DLB : L’Etat a tiré beaucoup des leçons. Concernant la CNPCIC, elle s’est engagée à se conformer aux dispositions légales, règlementaires et conventionnelles applicables en matière environnementale et au Plan de Gestion de l’Environnement pour la suite des opérations pétrolières et cela pour l’ensemble des sites pétroliers qu’elle exploite. C’est dans cette optique que le Ministère dont j’ai la charge a créé une Direction des Etudes Environnementale qui suit avec le maximum de diligences tous les aspects environnementaux pour éviter que cela ne se reproduise. Sur le terrain, la CNPCIC a fait déjà d’énormes progrès. A l’heure où je vous parle, elle arrive à réaliser des forages sans avoir à creuser des fosses à boue comme dans le passé. Elle utilise une technique qui est une nouveauté au Tchad et je crois que tous les autres opérateurs doivent adopter cette technique afin de mieux protéger l’environnement. Les boues qui ressortent des forages sont injectées dans un système de cuves en circuit fermé de sorte qu’aucune goutte ne touche le sol. A la fin du forage, la boue est traitée pour séparer la phase liquide de la phase solide. L’eau ainsi séparée est réinjectée dans le réservoir et les résidus solides sont stabilisés avec du ciment pour faire des pavés et des briques. Donc c’est une innovation intéressante qui montre que la CNPCIC prend désormais au sérieux les règles édictées pour la préservation de notre écosystème.

Tchad Eco: La fourniture d’électricité dans la capitale tchadienne s’est nettement améliorée depuis le début de l’année grâce aux efforts de la Société Nationale d’Electricité (SNE) sous le contrôle de votre département ministériel. Cette situation est-telle durable et s’étendra- t-elle aux autres grandes villes du pays ?

DLB : Vous savez sans énergie, il n’aura pas de développement et c’est grâce à ce processus de développement qu’on parviendra à l’émergence. Le problème d’accès à l’électricité est une priorité pour le Chef de l’Etat qui s’implique d’une manière active dans la résolution de ce déficit énergétique. Depuis plusieurs années des pistes de solutions ont été identifiées et nous avons travaillé avec l’appui des hautes autorités pour les mettre en œuvre. Le plus grand défi était la vétusté des infrastructures de transmission et de distribution de l’électricité dans N’Djamena. Ainsi des projets de plusieurs centaines de milliard de FCFA ont été exécutés et ce que vous voyez aujourd’hui, c’est donc une conjugaison des tous ces efforts réfléchis et bien orientés. On ne va pas repartir encore en arrière. L’amélioration observée sera pérenne et l’Etat apportera son soutien à la SNE pour maintenir ce niveau de service.

Vous remarquez avec satisfaction que la fourniture d’électricité s’améliore progressivement car nous avons renforcé les capacités de production de la SNE par une maintenance accrue des centrales et l’extension des réseaux électriques. En termes de production les centrales de la SNE de Farcha I et Farcha II fournissent des puissances respectives de 14 MW et 60,2 MW. Celle de Djambalbar fournit 8 MW ce qui fait une puissance totale disponible de 82,2 MW. Si on ajoute à cela le complément apporté par les stations d’appoint V-POWER (20 MW), AGGREKO (20 MW) et la Raffinerie de Djermaya (20 MW), la puissance disponible à N’Djamena se chiffre à 142,2 MW.

Il convient de noter que les 4 sous-stations (Garangosso, Djambalbar, Gassi et Lamadji) sont raccordées à la boucle de 90 KV donc sous peu, toute la ville sera connectée au réseau et on étendra cette opération dans les autres villes par le truchement de la boucle nationale de 225 KV.

Nous continuons à travailler sur le changement du carburant d’une partie des générateurs de la SNE au niveau de Ndjamena. Nous comptons avoir au moins 30 Mégawatts en utilisant les résidus de la raffinerie. Ceci nous permettra de déployer l’excèdent de gasoil vers les villes comme Abéché, Sarh, Mongo, Ati etc. Nous avons aussi un projet d’électrification de la ville de Moundou par Glencore à partir du champ de Mangara. Ce projet qui est conçu pour 2 unités de 2 MW et la centrale à Gaz a été déjà installé. La SNE travaille donc sur le raccordement de cette centrale avec la ville. Ainsi au plus tard Mars 2016 la ville de Moundou connaitra la même amélioration que Ndjamena.

Interview réalisé par Aristide MABALI et Jareth BEAIN

Bio Express du Ministre  : Djérassem LE BEMADJIEL (40 ans) est ingénieur hydrogéologue et expert en stimulation et production des puits de pétrole. Formé à la Faculté des Sciences Exactes et Appliquées de Farcha à N’Djaména en hydrogéologie, il acheva ses études spécialisées en géologie fondamentale et appliquée à l’Université de Ouagadougou au Burkina Faso. Après ses études, il a commencé à travailler pour la multinationale pétrolière Schlumberger d’abord au Tchad puis dans plusieurs pays africains. Au cours de cette riche carrière, il a été bénéficié de plusieurs formations dans des universités et écoles spécialisées aux États-Unis.

Il est titulaire d’un brevet d’invention d’un système de production d’énergie et de pompage d’eau autonome, sans source extérieure d’énergie (ni électrique ni manuelle). Cette invention lui a permis de remporter le 1er prix du Salon Africain de l’Invention et de l’Innovation Technologique (SAIIT) en octobre 2009 à Bamako au Mali puis la Médaille d’or de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle lors du 39ème Salon International des Inventions qui s’est tenu du 6 au 10 avril 2011 à Genève en Suisse.

3 Commentaires

  1. Merci à toute l’équipe de réflexion pour avoir étayé cette zone d’ombre. Surtout que le GOUVERNEMENT TCHADIEN fasse en sorte que ces nouveaux contrats en cours de ratification soient beaucoup plus bénéfiques au PEUPLE TCHADIEN afin de combler ne serait-ce qu’une petite portion du chômage des JEUNES TCHADIEN.

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