Interview : Pr Sylviane GUILLAUMONT JEANNENEY se prononce sur l’atteinte du point d’achèvement de l’IPPTE par le Tchad

DSCN0944
Pr Sylviane GUILLAUMONT JEANNENEY lors de l’interview

Pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs?

Pr Sylviane G. J. : Je suis professeur émérite de l’Université d’Auvergne, chercheur au Centre d’études et de recherches sur le développement international (Cerdi) et à la Fondation pour les études et recherches sur le développement international (Ferdi). Je suis membre du Conseil d’administration de l’Agence française de développement, qui a notamment la responsabilité de l’aide française au Tchad.

Le Tchad vient d’atteindre ce 28 Avril 2015 le point d’achèvement de l’Initiative des Pays Pauvres Très Endettés (IPPTE). En quoi consiste l’IPPTE?

Pr Sylviane G. J. : Le FMI et la Banque mondiale ont lancé l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (IPPTE) en 1996 afin qu’aucun pays à faible revenu ne soit confronté à une charge d’endettement qu’il ne puisse gérer. Il s’agissait donc de ramener à un niveau soutenable la charge de la dette des pays pauvres très endettés. En 2005, en lien avec les « Objectifs du millénaire pour le développement », l’IPPTE a été complétée par l’Initiative d’allègement de la dette multilatérale (IADM) qui prévoit l’allègement de la totalité des dettes à l’égard du FMI, de la Banque mondiale et du Fonds Africain de développement des pays ayant atteint le « point d’achèvement » de l’IPTTE, c’est-à-dire ayant été jusqu’au bout du processus.

L’IPPTE se réalise en deux étapes. La première est le point de décision qui permet un allègement intérimaire de la dette. Cette première étape suppose outre le fait que le pays soit pauvre (éligible aux prêts ou dons de l’Agence internationale de développement de la Banque mondiale (IDA) et surendetté, qu’il ait fait les réformes préconisées par le FMI et qu’il ait élaboré un « document de stratégie pour la réduction de la pauvreté » (DRSP) dont la réalisation doit associer la société civile. Pour atteindre le point d’achèvement qui lui permettra d’obtenir l’intégralité des allègements prévus par l’IPPTE et de bénéficier de l’IADM, le pays doit continuer à mettre en œuvre les réformes prévues dans les programmes du FMI et de la Banque mondiale et le DRSP.

Le Tchad est le 36ème et dernier à attendre le d’achèvement parmi les pays considérés comme éligibles à l’Initiative PPTE. Trois pays, potentiellement éligibles, n’ont pas atteint le point de décision : l’Erythrée, la Somalie et le Soudan. L’effort accompli par IPPTE est considérable puisque le montant des réductions devrait atteindre 76 milliards de dollars américains.

Cependant la dette n’a pas été complètement abolie puisque, contrairement aux bailleurs bilatéraux du Club de Paris qui est le lieu traditionnel de la restructuration de la dette des PVD, les petites institutions internationales, les créanciers bilatéraux non membres du Club de Paris et les créanciers commerciaux n’ont que partiellement participé à l’IPPTE et les conditions de leurs prêts ont été souvent peu favorables, voire léonines. C’est le cas du prêt de la China EXIMBANK dont le Tchad renégocie les conditions financières.

 

Quel pourrait être le lien entre l’atteinte du point d’achèvement de l’IPPTE et le développement économique ? Et quels en sont les mécanismes?

Pr Sylviane G. J. : L’atteinte du point d’achèvement par le Tchad est une bonne nouvelle. Le Tchad bénéficiera ainsi d’un allègement de dette de 1,1 milliards de dollars. Il ne sera plus considéré par le FMI comme un pays à risque élevé dans son analyse de soutenabilité de la dette (DSA), ce qui limitait les possibilités d’endettement du Tchad, sinon à des conditions hautement concessionnelles.

L’atteinte du point d’achèvement est un signal que le Tchad est parvenu à exécuter de façon globalement satisfaisante le programme associé à la Facilité élargie de crédit du FMI.

 

D’une part l’allègement du service de la dette permettra au Tchad de consacrer une part plus importante de son budget en faveur de la croissance et de la réduction de la pauvreté, d’autre part il peut espérer une aide publique internationale plus importante. Ainsi la Banque mondiale va présenter son nouveau cadre de partenariat avec le Tchad pour la période 2016-2020.

L’attractivité du pays aux Investissements Directs Etrangers (IDE) fait partie des avantages potentiels des pays ayant atteint le point d’achèvement de l’IPPTE. Que peut faire le Tchad pour capitaliser les effets de l’IPPTE sur les IDE?

Pr Sylviane G. J. : La venue d’investisseurs directs étrangers ne dépend pas seulement ni principalement du niveau de la dette publique. Elle dépend du « climat des affaires » et des perspectives macroéconomiques. A cet égard il est important que dans la gestion de son budget le Tchad prenne en compte les perspectives de baisse du prix du pétrole. En effet les ressources publiques issues du pétrole représentaient en 2013 67% des recettes fiscales et le FMI prévoit une diminution régulière de ce pourcentage.

Il a été observé empiriquement un effet d’«aléa moral» de l’IPPTE conduisant à une forte propension au ré-endettement. Que pourrait faire le Tchad pour éviter ce risque?

Pr Sylviane G. J. : Il est exact que les pays qui ont atteint le point d’achèvement ont eu tendance à se ré-endetter rapidement, bien que, quand ils ont passé des accords avec le FMI, celui-ci veille au grain.

En 2014 l’endettement intérieur du Tchad s’est accru de 3,9% du PIB ce qui est considérable. Dans le cadre de la surveillance multilatérale associée aux accords de la CEMAC (Communauté des Etats d’Afrique Centrale) à laquelle appartient le Tchad, il est prévu que la dette nominale ne doit pas dépasser 70% du PIB. Or pour tous les Etats de l’Union cette limite n’est pas contraignante. Elle ne l’était pas pour le Tchad même avant qu’il atteigne le point d’achèvement de l’IPPTE. C’est pourquoi la CEMAC a engagé un processus de révision des critères que doivent respecter les pays. Une des options de cette révision serait de limiter l’accroissement annuel de l’endettement. Compte tenu du fait que les pays de la CEMAC ont la même monnaie (l’un des deux francs CFA) et une liberté des mouvements de capitaux à l’intérieur de l’Union monétaire, il y a un risque qu’une crise bancaire associée à une crise de la dette souveraine dans un pays se transmette à l’ensemble de l’Union. Si l’intégration régionale est incontestablement un facteur d’accélération de la croissance, elle comporte des risques qui doivent être conjurés par une discipline commune (pour plus de détails voir le livre de Geourjon, Guérineau, Guillaumont et Guillaumont Jeanneney, « Intégration régionale pour le développement en Zone franc », paru chez Economica en 2013). Une telle démarche est plus satisfaisante qu’une soumission aux avis du FMI.

Il est normal qu’un pays en développement s’endette pour financer des projets d’infrastructures qui conditionnent la croissance. Cependant un pays pétrolier doit dégager une épargne publique afin de financer les dépenses publiques d’investissement et aussi afin de constituer des réserves pour l’après pétrole. Cela suppose un solde primaire courant positif.

Il existe un dispositif français d’allégement de la dette appelé Contrat de Désendettement pour le Développement (C2D) dont l’opérateur est l’AFD. Quelle est la particularité de ce dispositif et comment pourrait-il être mis en œuvre au Tchad?

Pr Sylviane G. J. : La France a accepté d’aller au-delà des exigences de l’IPPTE en annulant la totalité de sa dette. Mais cette annulation obéit à un mécanisme particulier appelé en effet Contrat de Désendettement et de Développement (C2D). Selon ce mécanisme le pays en développement verse à la France le service annuel de sa dette à son égard et la France crédite immédiatement l’Etat d’un don de montant équivalent. Celui-ci est affecté à des dépenses, pour leur plus grande part sociales qui doivent être décidées par un comité qui regroupe des responsables du pays considéré et de la France ainsi que des représentants de la société civile. Comme les subventions dont dispose l’AFD pour son aide aux pays pauvres d’Afrique a beaucoup diminué, une grande partie de l’aide gérée par l’AFD se fait sous la forme de C2D. En Côte d’Ivoire les sommes gérées actuellement sont considérables. Je ne sais pas quel sera dans les années à venir le montant dont bénéficiera le Tchad. Sans doute assez peu puisqu’en 2013 l’encours de la dette vis -à- vis de l’AFD n’était que de 2,5 millions d’euros alors que celui de la Côte d’Ivoire était de 487 millions.

L’une des raisons ayant l’atteinte du point d’achèvement de l’IPPTE au Tchad alors qu’il avait atteint le point de décision dès 2001 est la carence en matière de gouvernance économique. Quels mécanismes sont mis en œuvre afin de s’assurer d’une bonne gestion des montants de dettes rétrocédées?

Pr Sylviane G. J.: L’amélioration de la gestion budgétaire tchadienne est au cœur du programme triennal accompagnant l’octroi de la Facilité Elargie de Crédit (FEC) qui a été approuvée en août 2014 par le Conseil d’Administration du FMI et qui est en cours.

Le programme de réformes met l’accent sur «le contrôle des dépenses, la gestion de la trésorerie et les processus de passation des marchés. Il s’agit de limiter le recours aux procédures de dépenses d’urgence (appelées DAO, dépenses avant ordonnancement), qui par le passé ont nui à la discipline budgétaire, ont donné lieu à des dépenses hors budget et à une réallocation des dépenses par rapport aux priorités budgétaires. Afin d’améliorer la gestion de la trésorerie, le Ministère des finances est en train de préparer des plans trimestriels de trésorerie tous les mois et de fermer les comptes non essentiels de l’État dans les banques commerciales. S’agissant de la passation des marchés, le gouvernement est résolu à accroître le recours aux appels d’offres compétitifs pour octroyer les contrats de l’État. D’autres actions incluent la création d’un tribunal d’audit (qui serait en place une fois que l’amendement à la Constitution sera devenu une loi) de même que le rapprochement des chiffres du crédit net à l’État dans le suivi budgétaire et monétaire. » (Rapport du FMI 13/284)

Votre mot de la fin, madame.

Pr Sylviane G. J. : L’atteinte du point d’achèvement de l’IPPTE par le Tchad était attendue; c’est une bonne nouvelle surtout dans le contexte régional très difficile du Tchad. Peut-être l’élection de Muhammadu Buhari au Nigéria et son désir de coopérer avec le Tchad et le Niger pour combattre les djihadistes de Boko Haram en sont une autre, certes d’un autre ordre. Mais c’était la condition de la création d’une force multilatérale (en attente d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies) qui pourrait alléger l’effort de guerre du Tchad et ainsi rendre plus facile la gestion des finances publiques au cœur de l’initiative PPTE.

Interview réalisée par Aristide MABALI

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire