Théorie :Libéralisation commerciale, fiscalité de porte et transition fiscale de première génération

L’une des vertus du libéralisme économique est de favoriser les échanges entre Etats dans le but de booster la croissance économique. C’est cette hypothèse qui a guidé la prescription des préceptes libéraux, connus sous l’expression « Consensus de Washington », aux pays en développement (PED) par les institutions de Bretton Woods au début des années 80s. Ce changement de paradigme a privilégié la liberté dans les échanges internationaux via les accords de libre-échange et la privatisation des secteurs non régaliens de l’Etat. Ces mesures n’ont pas permis d’améliorer la croissance pour des raisons qui tiennent essentiellement à la structure des économies en développement. La faiblesse des capitaux humains, financiers, matériels et le climat des affaires très peu favorables au développement de l’initiative privée n’ont pas augmenté le nombre d’unités de production et la production des entreprises.Sans titre

La conséquence de la stagnation des capacités productives après la suppression des barrières commerciales est la baisse continue des recettes publiques dans les PED. Afin d’éviter cette situation qui devient de plus en plus critique dans l’offre de services régaliens, l’ensemble de ces pays ont décidé d’adopter la politique de transition fiscale qui consiste à compenser les pertes de recettes tarifaires à travers un accroissement de la contribution des ressources de fiscalité interne. Ainsi, la transition fiscale n’a pas été préconisée pour augmenter les ressources publiques mais pour récupérer la part de la fiscalité directe perdue avec la libéralisation économique (Baunsgaard et Keen, 2005). La Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA) apparaît donc comme l’instrument central pour réussir cette transition parce qu’elle est supposée économiquement neutre. Elle est supposée neutre car son prélèvement (i) ne fausse pas la concurrence entre les produits nationaux et étrangers, (ii) ne grève pas la compétitivité des exportations car celles-ci ne sont pas taxées (principe de destination) et (iii) n’affecte pas les coûts de production (mécanisme de déduction). Ainsi, la neutralité économique de la TVA et sa large assiette (consommation finale) semblent motiver son implémentation dans les PED.

Plus d’une décennie après cette réforme majeure, nous jetons un regard rétrospectif pour analyser les motivations qui ont abouti à la politique de la transition fiscale et l’impact de la TVA sur la mobilisation des ressources publiques.

L’effet de la TVA sur l’offre et l’accès aux produits de base

La TVA et les droits d’accises, principaux instruments de la transition fiscale, ont été conçus pour pouvoir s’appliquer non seulement aux biens mais également aux services de consommation finale. Alors que le principe de base de la théorie de la fiscalité optimale plaide pour que les biens et services ne soient pas taxés au même taux, la TVA n’est optimale que lorsqu’elle est appliquée avec un taux unique. Cette divergence entre les principes de base résume toute la difficulté rencontrée dans la mise en œuvre de la transition fiscale. En règle générale, les taux de taxation sont proportionnels à l’élasticité prix de la demande, l’administration fiscale les adopte ainsi parce que cette taxation n’entraîne pas une trop forte diminution de la demande et donc du bien-être collectif (Ramsey, 1927). L’inconvénient de cette mesure dans l’application de la TVA est qu’elle concerne les biens considérés par les consommateurs comme essentiels et qui sont demandés par la strate vulnérable de la population.

Pour s’accommoder de cette difficulté, les PED ont décidé d’appliquer un taux de TVA réduit dans les domaines sensibles comme les biens de première nécessité (Diamond et Mirrlees, 1971). Certains Etats ne se sont pas contentés de réduire les taux, mais ont également exonéré de TVA certaines productions. Cette idée contrairement à une opinion répandue produit l’effet inverse. Cela réduit l’accès à des biens de première nécessité parce que le producteur en payant la TVA sur les consommations intermédiaires nécessaires à la production des biens locaux exonérés, n’est pas déductible et constitue de ce fait un coût définitif. Le producteur local supporte une rémanence de TVA, alors que les importations concurrentes ne subissent aucune charge de TVA.

L’abaissement des taux de TVA voire l’exonération de certains produits conduit à la baisse des profits des producteurs et à la réduction de l’offre de biens et services tutélaires. Les mesures fiscales prises dans le cadre de la transition fiscale aboutissent de ce fait à un appauvrissement des populations. La transition fiscale appauvrit les petits producteurs et réduit l’offre de biens et services fournis à la société.

L’impact de la transition fiscale sur l’évolution des recettes publiques

La transition fiscale par le biais de l’application de la TVA a profondément influencé la mobilisation des ressources publiques dans les PED. Après la libéralisation commerciale des années 80s, les recettes fiscales issues des taxes sur le commerce international ont décliné dans tous les pays qui ont adopté le Programme d’Ajustement Structurel alors que celles de la fiscalité interne ont plutôt augmenté. Quels sont les effets combinés de ces deux mesures sur les finances publiques ?

Avant la libéralisation économique dans les pays de la zone Franc par exemple les recettes fiscales de porte représentaient près de 8 % du PIB au début des années 80s. Elles ont sensiblement décru jusqu’à environ 4 % du PIB dans l’UEMOA en 2008 et également de 4% du PIB dans la zone CEMAC au début des années 90s et 3 % du PIB en 2010. L’application de la TVA a permis de remonter un peu la pente, dans l’UEMOA où les recettes de la fiscalité interne rapportée au PIB sont passées d’environ 4,5 % en 1980 à 6 % en 2008. Cette augmentation est moins marquée en CEMAC où elles n’ont progressé que de 2,5 % à 3,5 % du PIB entre 1990 et 2010.

La combinaison de ces mesures donne des résultats mitigés. En l’absence des études qui isolent clairement l’impact de la transition fiscale sur les recettes publiques, on se contente de l’évaluation de Baunsgaard et Keen (2005) qui établissent qu’au cours des vingt dernières années, les recettes fiscales en général ont varié autour de 17 % du PIB. Dans la zone UEMOA, elles ont représenté 17,5 % du PIB en 2011, soit un niveau inférieur à celui de la moyenne des pays d’Afrique subsaharienne qui est de 27,5 %. Les recettes publiques hors pétrole de la CEMAC sont en effet restées quasiment constantes sur la période 1989-2010, autour de 10 % du PIB.

Les conditions propices à la transition fiscale

En résumé, nous pouvons affirmer que la transition fiscale se justifie théoriquement mais les modalités et les conditions de son application ne sont toujours pas réunies. Deux éléments majeurs sont à l’origine du faible impact de la transition fiscale sur les recettes publiques et l’offre des biens et services.

D’une part, il est difficile pour une administration fiscale d’appliquer correctement les principes de la fiscalité neutre dans un environnement où le secteur informel représente environ 40 % du PIB. Dans un tel environnement, une grande partie de la consommation finale est exonérée de la TVA. Les producteurs ont donc de marges commerciales de plus en plus réduite à cause de non déductibilité de la TVA que leur impose la nature de leurs activités. La transition fiscale plombe le revenu de ceux qui exercent dans le secteur informel, surtout s’ils importent leurs matières premières. La difficulté d’imposition du secteur informel constitue une contrainte à une mobilisation plus efficace des ressources fiscales, mais également un élément qui contribue à l’appauvrissement des petits producteurs dans le cadre d’une transition fiscale. Dans les pays développés par contre la faible proportion du secteur informel est favorable à l’identification fiscale mais les pressions syndicales et des lobbies contraignent les gouvernements à la multiplicité des taux de TVA ou à son exonération.

D’autre part, les pressions qui s’exercent sur les gouvernements pour l’abaissement ou l’exonération des taux de TVA rendent difficile le respect du principe de neutralité de la TVA. Si l’exonération produit les mêmes effets que le cadre du secteur informel, la réduction des taux de TVA aboutit à une multiplicité des taux aux effets négatifs. La première de ces conséquences est le coût que l’administration est obligée de déployer pour gérer les différents taux de TVA. En effet, plus une taxe comporte plusieurs taux, plus elle est difficile à mobiliser en terme de coordination et d’identification des agents assujettis. La multiplicité des taux supprime également la neutralité de la TVA à cause des distorsions induites par les écarts de taux. Entre les montants collectés et les montants déductibles, la TVA réduit ou augmente les marges de profits des acteurs selon la nature de leur activité. Enfin, la transition fiscale préconisée pour compenser la perte des recettes publiques induite par la baisse des recettes fiscales de porte produit les résultats contraires aux objectifs initiaux.

Beguy DJIMOUNOUM

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