Foncier et développement : le cas du Tchad

Source: Afrique new info

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Du 14 au 18 mars prochain, Washington DC accueillera la 17ème Conférence mondiale sur les terres et la pauvreté. Initiée par la Banque mondiale, cette conférence est le rendez-vous annuel des gouvernants, experts, universitaires et ONG pour discuter et partager les dernières évolutions sur la politique foncière et les diversités de reformes et des expériences en la matière. Le Tchad sera représenté, à un plus haut niveau. Il importe alors de réfléchir sur l’état actuel de notre législation et ses impacts dans le processus du développement de notre pays. Rappelons que l’article 121 de la Constitution de 1996 renvoie au domaine de la loi, le régime foncier.

La dualité des régimes fonciers au Tchad

Au Tchad, il existe une dualité des régimes juridiques de la terre selon les trois Lois du 22 juillet 1967: le régime de l’immatriculation ou du titre foncier et le régime des droits coutumiers.

Du Titre foncier

Il ressort des dispositions de l’article premier de la Loi N°24 portant sur le régime de la propriété foncière de 1967 que : « la propriété foncière se constate par la procédure de l’immatriculation. Cette procédure consiste dans l’établissement et l’enregistrement d’un titre de propriété appelé titre foncier. » En clair, seul le titre foncier qui garantit à tout Tchadien la propriété (foncière) au sens de l’article 544 du code civil. Avec un titre foncier, votre parcelle est sécurisée définitivement et devient « inattaquable ». En plus, il permet une garantie hypothécaire pour des préteurs potentiels tels qu’en dispose l’article 119 de l’Acte Uniforme portant organisation de sureté (Code OHADA).

Du régime coutumier

Le législateur tchadien a permis à ce que les terres non titrées dites «vacantes et sans maitre » bénéficient, au nom de la « mise en valeur », d’une certaine garantie. Au cas contraire, « la puissance publique se réserve le droit, lorsqu’il n y a pas emprise matérielle et définitive, de purger son domaine des droits en cause moyennant indemnité». C’est-à-dire que, seules la permanence de l’occupation et la mise en valeur donnent droit à tout détenteur d’une parcelle. Ce qui lui permet d’être indemnisé par l’Etat en cas de déguerpissement (article 7 de la Loi n°23 et article 17 de la Loi n°25 de 1967). Malheureusement, et contrairement au titre foncier, cela ne permet pas au détenteur coutumier de bénéficier de la garantie hypothécaire et d’emprunter, par exemple, auprès d’une banque.

Une dualité compromettante pour le développement du Tchad

La dualité du régime foncier tchadien compromet sans doute le processus de développement de notre pays. 

Certes le titre foncier apparait de toute évidence comme un gage d’investissements et de stabilité sociopolitique. Mais depuis 1967 à nos jours, l’intérêt du titre foncier n’est pas encore perçu au-delà des frontières des ignorances, des résistances et du laxisme des individus et de l’Etat. La situation est inquiétante. Ainsi, sans tenir le même discours qu’un certain H. De Soto[1], nous devons comprendre que la titrisation permet une meilleure sécurisation du foncier et une meilleure capitalisation des recettes. C’est ainsi, que certains de nos partenaires au développement incitent notre pays à aller vers une généralisation du titre foncier. Parmi ces partenaires, la Banque mondiale est convaincue que la sécurisation foncière par le titre foncier égale garantie d’investissements au Tchad (ce qui serait un bouffé d’oxygène en cette période d’austérité budgétaire). Et la FAO est persuadée que la sécurité foncière reste seule source de sécurité alimentaire et de croissance agricole. En plus, sous un autre angle, le titre foncier permettrait de désengorger la justice car à l’état actuel, et selon certaines sources, plus de 70 % des problèmes devant nos juridictions relèvent des conflits fonciers.

L’emprise des pratiques coutumières et communautaires est une réalité patente qui ne demande qu’à être prouvée. A titre illustratif, la vente et l’occupation anarchique des parcelles aux alentours de la capitale N’Djamena par les prétendus Chefs de terre appelés « Boulama ». Il est évident que cette pratique est en violation flagrante avec la législation foncière en vigueur et reste source des spéculations et d’un manque à gagner énorme pour l’Etat.

D’ailleurs, selon le compte rendu du Conseil des Ministres du 12 avril 2012 : «Le Chef de l’Etat a relevé que plus de 90 % des bâtis du Tchad ne sont pas numérotés et n’ont pas de titres fonciers. Ce qui constitue un manque à gagner important pour le Trésor public ».

Les recettes domaniales constituent dorénavant une source non négligeable de recettes budgétaires Sur la période 2010-2013, elles se sont accrues passant de 23,87 milliards de FCFA à 43,35% et représentent en moyenne 2,5% des recettes budgétaires totales. Bien que ces chiffres mettent en évidence un potentiel de croissance importante de ces recettes, pour le moment, sa collecte se heurte à la résistance des chefs traditionnels. En effet, dans le contexte actuel, il est impossible de nier les droits coutumiers ou de prétendre les purger tant leur résistance semble être farouche et va au-delà des zones rurales.

De tout ceci, un certain nombre des nouveaux facteurs rend de nos jours la situation foncière préoccupante et le statut de la terre problématique au Tchad. Ces facteurs vont du changement climatique à la démographie galopante. A cela, s’ajoutent la pauvreté, l’absence de l’administration, l’analphabétisme et la persistance de la corruption. Cette situation complique réellement la question foncière, la rapproche des incertitudes et rend quasi-permanent le conflit pastoral. Ce qui justifie d’ailleurs cette prière du feu Mgr NGARTERI M. lors de la cérémonie d’investiture du Président de la République en août 2011 : L’Archevêque priait pour que le Président «soit le garant et le défenseur du droit foncier, condition sine qua non de la paix, du respect de la vie, de la dignité de la personne humaine et de la liberté ». Par ce message, il expose toute la problématique foncière au Tchad et son importance dans la stabilité du pays. Ainsi, comme quoi, la sécurisation foncière source du développement reste tributaire de l’Etat de droit. Car, c’est seulement dans un Etat de droit qu’une législation foncière juste et équitable peut naitre des institutions démocratiquement posées. Ce qui est d’ailleurs conforme à l’article 4 (m) de l’Acte Constitutif de l’Union africaine (UA).

A l’heure actuelle, le projet de loi sur le Code foncier est en souffrance depuis 2012 à l’Assemblée nationale. Ce qui laisse en vigueur les Lois n°23, n°24 et n°25 de juillet 1967 sur le foncier et la domanialité publique.

MINGAR MONODJI Fidel, Consultant juridique/Ecrivain

[1] « Le mystère du capital: pourquoi le capitalisme triomphe en Occident et échoue partout ailleurs », 2005

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