Population et développement : une relation à double sens

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Si l’idéal politique a toujours voulu que les ressources soient accessibles à toute la population, le raisonnement économique n’a cessé de considérer une de ces variables comme explicative de l’autre. De ce fait, la relation entre croissance démographique et croissance économique a souvent posé le problème de double causalité parce que les études empiriques ne sont pas parvenues à établir un sens unique à cette causalité. Malgré ce défaut de fixation lié à la causalité, les théoriciens en économie du développement sont unanimes sur le fait que la démographie peut avoir un impact direct sur la croissance économique. La réalisation d’une de ces éventualités est une situation qui peut subvenir à un moment ou à un autre dans la vie d’une nation.986462_7_ff91_la-plupart-des-observateurs-font-remarquer-que_fcedda4491d1f5725eec5fc3929a6b7a

L’abondance des ressources n’est pas nuisible dans l’absolu mais une démographie inadaptée au rythme de croissance économique peut mettre en péril la stabilité d’une nation. Partant de cette logique, l’ensemble des pays du monde ont adopté des politiques d’ajustement démographique pour répondre aux défis économiques.

La nécessité de la transition démographique

Puisqu’à la naissance de la plupart des nations, l’économie est à dominance agraire, la structure est forcément caractérisée par un secteur primaire qui occupe une majorité d’actifs. A ce stade, la population active est moins qualifiée, moins instruite et la démographie est galopante malgré la faiblesse des systèmes sanitaires. La production agricole sans véritable transformation industrielle n’est pas suffisante pour une population qui ne cesse de croitre. Dans le long terme, le taux de croissance des besoins alimentaires supérieurs à celui de la production agricole entraine inévitablement la crise. Cette thèse de Malthus est fréquemment mise en évidence dans les études démographiques des pays en développement. Celle de Ndulu (2006) n’a pas échappé à la règle. Elle a révélé que les facteurs démographiques ont fait perdre en moyenne aux pays d’Afrique subsaharienne (ASS) 0.86% de leur taux de croissance et 1,12 % pour tous les pays en développement sur la période 1960 et 2004. Ce résultat est révélateur des effets d’une croissance non maitrisée de la population, même si dans le cas des pays d’ASS, d’autres facteurs comme la scolarisation, la distribution inégalitaire des revenus, ainsi que les facteurs institutionnels et l’orientation de l’activité économique ont certainement joué un rôle non négligeable.

L’effet de la population sur l’activité économique est apprécié via le rapport de dépendance. C’est un concept qui exprime le rapport entre le nombre de personnes qui n’exercent pas d’activité et le nombre de personnes actives. Il est évident qu’une population de grande taille soit synonyme de besoins dans la même proportion. Si la majorité des personnes en âge de travailler n’est pas qualifiée pour exercer un métier ou n’est pas occupée, le taux des individus qui dépendent des autres est plus élevé et avec lui des difficultés socioéconomiques. Partant de cette logique, l’étude sur la démographie a mis en évidence un effet négatif sur la croissance économique en ASS sur la période 1960-début 1990 en raison du niveau élevé du rapport de dépendance. Au cours de cette période, on a recensé plus de 85 à 90% des personnes actives dépendantes des autres. En conséquence, la croissance du revenu par tête a été plus faible que celui du revenu par actif. À l’inverse, grâce à la baisse de la fécondité, les autres régions en développement ont vu leur rapport de dépendance baisser de 90 à 60% dès les années 1970.

Dans ce contexte, les stratégies de développement et de réduction de la pauvreté des pays pauvres s’orientent vers l’accélération de la transition démographique. Celle-ci consiste à obtenir des taux de natalité et de mortalité faibles à travers des efforts dans les domaines de la santé et de l’éducation. Ces stratégies permettent donc d’avoir une jeunesse productive et de réduire le rapport de dépendance. Cet avantage économique lié à l’évolution de la population est appelé dividende démographique. Il décrit l’avantage par nature transitoire dont dispose un pays durant la période suivant la baisse de la natalité. Les pays se retrouvent avec une pyramide des âges particulière avec un nombre maximum de jeunes adultes, et relativement peu d’enfants et de personnes âgées.

Si la Chine est connue pour avoir la politique la plus rigoureuse en matière démographique avec la limitation à un enfant par couple, sous peine de sanction, l’Inde fut le 1er des pays en développement à adopter en 1952 cette politique. L’objectif était «de promouvoir le développement socioéconomique en allégeant le poids que représente une population jeune, et en augmentation rapide ». En ASS, malgré des campagnes de sensibilisation relatives à l’utilisation de la contraception et des programmes de limitation des naissances, les rigidités socioculturelles et le poids des traditions ou des religions ne permettent pas d’obtenir les résultats escomptés. Aujourd’hui encore, le continent noir détient le taux de natalité le plus élevé.

Il est donc à noter que les coûts d’une forte croissance démographique, dans les pays en développement, sont nettement au-delà de ses avantages potentiels. Il est évident que pour réduire le rapport de dépendance, il est indispensable que cette population croit à un rythme proportionnel aux capacités d’offre de services dans les domaines de l’éducation, de la santé ou de la formation professionnelle.

Le difficile rajeunissement de la population

Depuis la fin des années 1980, il a été remarqué dans les pays développés un effet inverse au mouvement observé précédemment. En effet, une fois la transition démographique atteint, les pays développés peinent à maintenir ou à accroître le niveau de stock de leur capital humain. Qu’est-ce qui explique ce fait ? Cette question en apparence liée aux conditions du marché du travail a plutôt un lien direct avec la taille de la population. En effet, les efforts liés à la transition démographique ont un effet pervers sur la population. La thèse souvent soutenue est que grâce au développement d’un pays, l’amélioration des conditions de vie et l’urbanisation peuvent changer les attitudes et les coutumes ancestrales. L’argument défendu dans cette thèse traduit la logique que le taux de fertilité est plus ou moins proportionnel au degré d’urbanisation atteint par le pays. Une meilleure urbanisation entraînerait plus d’opportunités d’emploi, donc un meilleur revenu, une meilleure éducation, notamment pour les femmes, ce qui réduirait le taux de fertilité, et par conséquent la croissance démographique.

Même s’il est difficile de généraliser dans la pratique l’évidence selon laquelle il y aurait un impact négatif de développement ou de l’amélioration des conditions de vie sur la croissance démographique, il faut reconnaitre que plusieurs études ont abouti à cette conclusion. Celle menée par l’Instituait National français de statistique a par exemple mis en évidence que suite à la transition démographique qui a réduit les naissances et les décès, l’âge moyen des actifs a évolué décennie après décennie pour aboutir à une situation où les actifs seraient minoritaires par rapport aux retraités. Déjà soulignée à plusieurs reprises dans le cadre du financement des retraites, cette dégradation du ratio de dépendance risque de se traduire par des pénuries de main d’œuvre pour certaines professions, dans les services aux particuliers par exemple. 

Pour remédier à cette situation, les pays comme le Canada ou les Etats-Unis ont adopté des politiques favorables à l’immigration. Dans les autres pays de l’OCDE, cette politique dénommée « immigration choisie » se heurte aux sensibilités politiques où le terme « identité » est un obstacle à l’accueil d’une main d’œuvre jeune et qualifiée. Pour anticiper cette situation, le gouvernement chinois a décidé au cours de l’année dernière de lever les sanctions relatives au nombre d’enfants par couple.

En guise de conclusion, il est important de noter que le sens de la causalité entre population et développement obéit plus à des facteurs humains qu’aux politiques économiques. Le facteur humain doit être le paramètre le plus important à considérer dans la construction de tout modèle économique fiable car la propension à la natalité n’obéit qu’aux seules aspirations des Hommes.

Beguy DJIMONOUM

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