LES FAITS : Quelle efficacité des dépenses publiques sociales au Tchad ?

Au Tchad, quatre (04) études récentes (Banque Mondiale, 2019 ; FMI (2016 et 2018) et Unicef (2018) mettent en exergue la faible qualité des dépenses publiques et questionnent sur la nécessité de mettre en œuvre les réformes nécessaires devant permettre au pays d’atteindre plus rapidement ses objectifs de développements tels que déclinés dans le Plan National de Développement 2017-2021.

Dans l’ensemble, ces études parviennent aux mêmes conclusions : i) durant les deux dernières décennies, les dépenses publiques et en particulier les dépenses sociales se sont accrues considérablement ; ii) les dépenses publiques sociales exprimés en % du PIB sont faibles comparativement à la moyenne des pays africains et en situation de fragilité ; iii) malgré quelques améliorations, les performances sociales du pays demeurent toujours faibles en comparaison des pays de l’Afrique subsaharienne questionnant sur la qualité des dépenses publiques effectuées ; iv) la mise en œuvre des réformes structurelles dans une diversité de secteurs dont le cadre macro-économique, la gestion des finances publiques, le climat des affaires et enfin v) l’utilisation des approches innovantes de participation citoyenne ainsi que des technologies de l’information et de la communication dans les secteurs sociaux permettrait d’atteindre plus rapidement les objectifs de développement du pays.

Accroissement des dépenses publiques sur la période 2003-2018

Entre 2003 et 2018, les dépenses publiques du pays ont connu de très fortes fluctuations car dépendant de l’évolution des cours du pétrole. Sur la période d’analyse, elles sont ainsi passées de 328 milliards de FCFA en 2003  pour s’établir près de 10 ans plus tard à près de 1600 milliards de FCFA en 2012 avant de décliner par la suite en raison de la crise financière à 824,35 milliards de FCFA en 2018. Exprimées en % du PIB, l’évolution des dépenses publiques met aussi en exergue la part prépondérante des finances publiques dans l’économie du pays. En effet, sur la période considérée, les dépenses publiques se situent en moyenne autour de 18,8% du PIB (y compris les financements extérieurs) passant ainsi de 22% en 2003 pour se situer à 14,5% en 2018.

Source : Ministère des Finances et du Budget

Forte baisse des dépenses de santé et d’éducation

Bien que la plupart des études sur le Tchad montrent que depuis l’exploitation du pétrole, les dépenses sociales se sont accrues, rapportés en % du PIB, celles-ci sont en deçà des engagements du pays dans le cadre des conventions internationales (Maputo, Partenariat Mondial pour l’Education, …). Ainsi, l’examen des dépenses publiques réalisé par la banque mondiale (2019) révèle que les dépenses affectées aux secteurs sociaux figurent parmi les plus faibles du monde. Pour l’année 2018 par exemple, les allocations aux Ministères en charge de la Santé et de la Protection sociale ne représentaient que 4,8 % et 0,5 % respectivement tandis que celui du Ministère de l’éducation se situait à environ 11 %. L’étude relève aussi que les dépenses liées à l’éducation restent toutefois concentrées sur les salaires et nettement inférieures à celles des pays comparables (2,8 % du PIB pour le Tchad, contre 3,9 % pour les pays comparables). Le rapport révèle aussi que l’investissement public dans les secteurs sociaux dépend fortement d’appuis extérieurs, 25 % seulement étant financé par des fonds nationaux en 2018.

Sur la base de ce constat, le rapport conclut que le pays est à la traîne en termes de résultats dans les domaines de l’éducation et de la santé questionnant de facto sur la nécessité de repenser l’allocation actuelle des ressources publiques de manière à augmenter les dépenses dans les secteurs sociaux ainsi que leur efficacité. En particulier dans le secteur de l’éducation, en proportion des dépenses publiques totales, les dépenses demeurent faibles et nettement inférieures à la norme de 20 % fixée par le Partenariat mondial pour l’éducation (PME). Elles ont même plutôt reculé passant de 15,4 % du PIB en 2013 à 9,9 % en 2014 puis 8,9 % en 2015. Ces baisses reflètent l’ajustement budgétaire  à la suite de la forte chute des prix pétroliers. Bien que les dépenses publiques consacrées à l’éducation aient augmenté à 13 % environ en 2017, elles restent inférieures à l’objectif plancher de 20 % du Partenariat Mondial pour l’Education.

Ces dépenses limitées ont entraîné des faibles taux de scolarisation et de fréquentation. Dans l’enseignement primaire, le taux de scolarisation net est estimé à 74 % (en 2016), contre 78,3 % en moyenne en Afrique subsaharienne. En outre, le taux de fréquentation net de l’enseignement primaire a été estimé à 49,8 % en 2014. Les pays pairs régionaux comme le Cameroun, le Gabon et la RCA présentent des taux nets de fréquentation de l’enseignement primaire nettement plus élevés de 78,5 %, 91,6 % et 72,2 % respectivement.

Faible évolution des indicateurs de performance des secteurs sociaux

Malgré une amélioration des indicateurs clés de résultats en matière de santé ces dernières années, les tendances indiquent une progression toujours lente par rapport aux objectifs de développement. Ainsi, le taux de mortalité maternelle a reculé de 1 450 pour 100 000 naissances vivantes en 1990 à 856 en 2015 (avec un objectif ODD de 70 en 2030). Par ailleurs, le taux de mortalité infantile (moins de cinq ans) a chuté de 213 pour 1 000 naissances vivantes en 1990 à 131 en 2015. Les taux de mortalité restent élevés au Tchad par rapport aux taux moyens des PFR, aux taux moyens d’Afrique subsaharienne et aux taux moyens observés dans la CEMAC.

Cette lente progression reflète l’insuffisance des dépenses publiques, même en comparaison régionale et structurelle. Selon la base de données des comptes nationaux de la santé compilée par l’OMS (2016), les dépenses de santé du Tchad s’établissaient à 272 milliards FCFA (4,5 % du PIB) tandis que la moyenne des pays d’Afrique subsaharienne et des pays à faible revenu s’établissait à 5,1 % et 5,7 % respectivement. Le pays dépenserait ainsi 32 dollars américains par habitant, tandis que les pays d’Afrique subsaharienne et à faible revenu dépensaient respectivement 82 dollars américains et 35 dollars américains. Par rapport à ses pairs structurels, le Tchad ne devance que la RDC avec des dépenses de santé par tête de US $ 21.

L’indice de développement humain (IDH) des Nations Unies est un indicateur synthétique permettant d’évaluer les progrès selon trois dimensions : espérance de vie, accès à l’éducation et niveau de vie mesurés à l’aide du revenu national brut (RNB) par habitant. Au Tchad, entre 2000 et 2017, l’augmentation de l’espérance de vie, des années de scolarité et du RNB par habitant a contribué à une augmentation de la valeur de l’DH de 0,3 à 0,4. Cependant, le niveau de développement humain reste faible avec une position de 186 sur 189 pays et territoires en 2020.

Les résultats en matière de santé se sont améliorés, mais des écarts importants avec d’autres pays de la région sont à noter. Parmi les indicateurs de santé, il y a également eu une amélioration des heures supplémentaires avec la mortalité maternelle, la mortalité infantile et l’incidence de maladies telles que le paludisme en baisse. Par exemple, la mortalité maternelle est passée de 1370 pour 100 000 naissances vivantes en 2000 à 856 en 2015. Il s’agit d’une amélioration substantielle et marque la plus forte baisse absolue des taux de mortalité maternelle dans la région de la CEMAC au cours de cette période. Cependant, le niveau de mortalité maternelle reste bien supérieur au niveau moyen dans d’autres pays à faible revenu (479 pour 100 000 naissances vivantes) et en Afrique subsaharienne (547 pour 100 000 naissances vivantes). Cela est très en deçà de l’objectif de mortalité maternelle de l’ODD qui vise à réduire le ratio mondial de mortalité maternelle à moins de 70 pour 100 000 naissances vivantes à l’horizon 2030.

Dans le secteur de l’éducation, les taux de scolarisation dans le primaire ont fortement augmenté, mais l’accès à l’éducation reste très faible, en particulier pour les filles. Les taux de scolarisation dans le primaire sont passés de 64% en 2000 à 88% en 2016, contre près de 100% des taux bruts de scolarisation dans d’autres pays à faible revenu et en Afrique subsaharienne. Les taux de scolarisation dans le secondaire au Tchad sont sensiblement inférieurs à seulement 23%, contre environ 40% dans d’autres pays à faible revenu et en Afrique subsaharienne. De plus, le ratio filles/garçons dans les écoles primaires et secondaires n’est que de 0,7 contre 0,9 dans les autres pays à faible revenu et en Afrique subsaharienne. Cette disparité entre les sexes est très évidente dans les résultats scolaires. Le taux d’alphabétisation des jeunes hommes est faible à 40% mais pour les jeunes femmes, il est encore plus faible à seulement 20%.

Source : PNUD

Recommandations en vue d’une amélioration de la qualité des dépenses publiques sociales

Il ressort de l’ensemble de ces études que plusieurs recommandations doivent être mises en œuvre pour améliorer la qualité des dépenses publiques au Tchad et en particulier des dépenses sociales.

Amélioration du système de gestion des finances publiques : comme cela est révélé dans les rapports PEFA 2018, le rapport sur l’efficience des investissements au Tchad ainsi les rapports d’assistance technique, il est nécessaire d’améliorer le processus de préparation, d’exécution et de contrôle du budget de l’Etat, ce qui contribuerait in fine à rendre les dépenses publiques plus efficaces.

Amélioration de la qualité des ressources humaines : le Gouvernement pourrait concentrer ses efforts sur le recrutement des professionnels de santé supplémentaires, l’investissement dans les infrastructures de santé et l’augmentation des achats de produits pharmaceutiques. Il pourrait par ailleurs renforcer les capacités des professionnels de santé et intensifier le programme de financement basé sur la performance. Enfin, dans le domaine éducatif, il conviendrait de mettre l’accent sur les subventions aux maîtres communautaires.

Accroissement des dépenses publiques de santé et d’éducation ainsi que leur efficacité : les budgets des ministères en charge de la santé et de l’éducation devraient être accrus et leur efficacité fortement améliorée. L’efficacité des dépenses devrait être améliorée en renforçant la qualité de l’enseignement et de l’apprentissage et en investissant dans des programmes massifs de formation des maîtres. Enfin, des efforts doivent également être fournis par les pouvoirs publics en renforçant la gouvernance au niveau des établissements scolaires en impliquant les parents et les communautés dans la surveillance des résultats de l’éducation par notamment le contrôle citoyen de l’action et l’utilisation des TIC.

AM-SALAMA Kertché

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