INTERVIEW : Promu au poste de Directeur Général du Fonds Africain de Garantie et de Coopération Economique (FAGACE) en juillet 2020, Nguéto Tiraïna Yambaye s’exprime sur le rôle exact de cette Institution.

Tchad Eco. (T.E) : Bonjour M. le Ministre. Vous aviez été promu au poste de directeur Général du Fonds Africain de Garantie et de Coopération Economique (FAGACE) au mois de juillet 2020.  Pourriez-vous présenter le rôle exact de cette Institution ?

Nguéto Tiraïna Yambaye (NTY) : Je voudrais remercier sincèrement Tchad Eco et son équipe pour l’opportunité qu’ils m’offrent pour m’exprimer sur cette Institution internationale de financement du développement de l’Afrique et son rôle important dans le renforcement de la coopération économique et financière entre les pays membres.

Le FAGACE que je dirige depuis le 1er juillet 2020 est un bel et important outil financier d’intégration africaine créé en 1977 par la Conférence des Chefs d’Etats de l’OCAM à Kigali au Rwanda et qui intervient principalement en garantie des crédits et facilite par ce mécanisme l’octroi des prêts aux porteurs de projets qui sont des opérateurs économiques privés, publics ou mixtes. Le FAGACE dispose de plusieurs autres mécanismes d’interventions qui lui permettent de jouer un rôle fondamental dans la mobilisation des ressources financières pour la réalisation des investissements productifs sur le plan national ou régional. L’institution compte à ce jour, 14 pays membres dont le Bénin, le Burkina, le Cameroun, la Centrafrique, le Congo, la Côte d’Ivoire, la Guinée Bissau, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Rwanda, le Sénégal, le Tchad et le Togo.

T.E : Plusieurs Institutions financières sont créées pour contribuer au développement de l’Afrique. Pouvez-vous nous donner la particularité du FAGACE et les résultats qu’il a obtenus en termes de réalisation ?

NTY : L’Afrique est un vaste continent avec des besoins immenses dans les secteurs stratégiques tels que l’agriculture, l’énergie, l’éducation, la santé, l’immobilier, l’eau, etc. Ces différents secteurs nécessitent la mobilisation d’importantes ressources qui ne peut se faire qu’à travers les institutions spécialisées comme le FAGACE qui est un Etablissement Public International à caractère économique et financier, spécialisé dans la promotion des investissements avec pour métier principal la garantie. Il a un puissant effet de levier qui accroît significativement les ressources mobilisées et injectées dans les économies des Etats membres.

En termes de résultats, je dois vous dire que le FAGACE a contribué à la mobilisation de plus de 2 500 milliards de FCFA au profit de ses Etats membres. Ces dernières années, le Fonds a significativement réformé la qualité de sa gouvernance, accru sa performance, amélioré son portefeuille et son mode opératoire, consolidé ses ressources afin de mieux se projeter sur l’avenir et servir efficacement les porteurs des projets d’investissement.

T.E : Des perspectives meilleures pour l’Institution et ses Etats membres alors ?

NTY : Je travaille pour cela avec les experts du FAGACE depuis ma prise de fonction en juillet dernier. A ce titre, nous avons passé en revue l’historique de l’Institution depuis sa création et posé son diagnostic global. Cet exercice nous a permis de relever les forces de l’institution qui seront exploitées pour aller plus loin tout en tenant compte des faiblesses à corriger. Nous avons pu noter également l’existence d’énormes opportunités à exploiter pour mieux servir les économies des Etats membres. En effet, notre vision est de faire du FAGACE une institution de garantie moderne qui contribue pleinement au développement socio-économique et à l’intégration financière de l’Afrique. Nous ne pouvons d’ailleurs faire autrement en cette période marquée par la crise sanitaire de corona virus et son impact négatif sur la plupart des secteurs d’activités dans le monde entier. Nous avons ainsi pu apprécier la résilience des mécanismes mis en place et surtout de noter l’existence d’un besoin de réforme de l’architecture financière pour mieux soutenir les projets d’investissements et productifs créateurs de valeur ajoutée et d’emplois. Conscient du rôle capital que peut jouer un fonds de garantie dans la relance économique des Etats africains, le FAGACE entend accorder une attention particulière aux secteurs affectés. Le portefeuille affecté des banques partenaires sera examiné en vue d’un partage de risques dans le cadre des projets de restructuration admissibles. Les porteurs de projets fragilisés par les effets néfastes de la crise pourront bénéficier d’une assistance technique du Fonds dans la conduite de leur plan de restructuration et de renforcement de capacités.

En outre, la fin de la crise va massivement augmenter le Besoin en Fonds de Roulement (BFR) des entreprises (remise en route de l’outil de production, reconstitution de stocks) ainsi que leurs besoins en trésorerie. Les projets d’investissement différés avec la crise vont également redémarrer et le FAGACE sera présent et disponible pour partager les risques avec les banques, allégeant ainsi leur niveau d’exposition. Il sera aussi là pour appuyer ses Etats membres dans la mise en œuvre des politiques de relance pour contrer les effets de la crise.

T.E : Nous allons à présent aborder le thème central de ce numéro qui porte sur « la qualité de la dépense publique ».  Vous êtes économiste et universitaire et avez été Administrateur du FMI pour l’Afrique puis Ministre tchadien de l’économie et de la Planification du développement. Pourriez-vous expliquer ce qu’on entend par une dépense publique de qualité ?

NTY : Les dépenses publiques sont les dépenses effectuées par l’État, en termes de fonctionnement, d’investissements publics, des transferts, de Sécurité, etc, suite à la mobilisation des recettes fiscales et non fiscales autorisées par la loi des finances de l’année.

Ces dépenses sont dites de qualité lorsqu’elles sont régulières et en adéquation avec les besoins réels à satisfaire et les objectifs fixés préalablement. La qualité des dépenses publiques s’apprécie par rapport à son efficacité et aux résultats obtenus, par rapport aux cibles telles que la croissance économique, la réduction de la pauvreté, la création d’emplois, la protection sociale, la couverture sanitaire etc. Il s’agit des dépenses qui par leur nature, sont susceptibles de soutenir la croissance et l’emploi et dont l’impact justifie les moyens mis en œuvre.

L’assainissement des finances publiques doit reposer sur une analyse de l’impact réel des dépenses sur la croissance. Il doit prendre en compte une programmation pluriannuelle des dépenses publiques ainsi qu’une évaluation généralisée des résultats. Les dépenses publiques participent également à la redistribution de la richesse nationale et son efficience contribue à lutter contre la pauvreté et les vulnérabilités de la population. Certaines dépenses publiques ont pour effet d’augmenter la capacité de production de l’économie ou contribuent à accroître la productivité du secteur privé. Pour les Economistes, la socialisation des investissements par l’utilisation du budget en capital, permettrait non seulement d’augmenter le volume global d’investissements pour s’attaquer au chômage, mais va dans le sens de la réduction des incertitudes pour une plus grande stabilité de la conjoncture. Le danger des règles de discipline budgétaire vient du fait qu’elles se focalisent beaucoup plus sur le   niveau du déficit et de la dette sans se préoccuper  de la structure des dépenses. Or, les récentes théories de la croissance endogène soulignent le rôle essentiel des dépenses publiques dans le processus de croissance de long terme. L’un des critères doit être l’obtention de rendements d’échelle croissants. A cet égard, les dépenses effectuées par les pouvoirs publics sont à l’origine d’externalités positives dont bénéficient la collectivité, et, en premier lieu, les entreprises, et contribuent à renforcer la compétitivité générale de l’économie nationale.

Dans cette perspective, la politique budgétaire peut contribuer à la croissance, et pour ce faire il faut programmer les dépenses sur plusieurs années et généraliser l’évaluation systématique des résultats. Une approche Qualité de la dépense publique doit reposer de manière rigoureuse sur une vision pluriannuelle comme le Cadre de Dépense à Moyen Terme (CDMT sur 3 ou 5 ans) et les Budgets-programmes ainsi que l’exigence permanente d’une évaluation de ses résultats.

Au Tchad le CDMT est élaboré par le Ministère de l’Economie et du Plan et le Budget annuel de l’Etat est élaboré et mise en œuvre par le Ministère des Finances et du Budget. Tous ces dispositifs budgétaires doivent être cohérents entre eux pour garantir une dépense de qualité.

La rigidité de l’approche annuelle de la dépense publique est un facteur d’incertitude, en raison des possibilités limitées de reporter les crédits de dépenses ordinaires d’une année sur l’autre. Cette disposition légale de la loi des finances favorise des gaspillages car en fin d’année, tous les crédits disponibles sont engagés, en dehors de tout critère d’efficacité et de rendement. La maîtrise des dépenses publiques et l’exigence de qualité nécessite, de réinventer une nouvelle approche de gestion budgétaire axée sur les résultats.

T.E : D’après vous, quelle est l’importance de la qualité de la dépense publique dans le développement socioéconomique et qu’est ce qui entrave celle-ci dans nos Etats Africains ?

NTY : Dans la plupart des Etats africains, le budget de l’Etat est le principal instrument de politique économique. Les dépenses publiques constituent l’autre variante du budget, représentent un facteur essentiel de la croissance et du développement économique.

Elles sont indispensables pour financer les infrastructures, notamment les routes, l’électricité et l’eau. Lorsqu’elles sont bien réalisées, elles permettent de fournir les services de santé et d’éducation nécessaires aux économies modernes avec une meilleure efficacité que le secteur privé ne pourrait le faire.

La hausse régulière des dépenses publiques au cours des 150 dernières années, dans tous les pays, met en valeur le lien solide qui existe entre les dépenses publiques et le développement économique et social. Ces dépenses atteignent aujourd’hui le niveau historique de 40% du produit intérieur brut (PIB) dans les pays de l’OCDE, et sont en augmentation dans les pays en développement. La définition inappropriée des objectifs, la mauvaise compréhension des objectifs, l’utilisation parfois partielle des ressources pour les objets prévus, la fragilité des mécanismes de suivi et de contrôle, le manque d’expertise et de formation sont autant d’éléments qui entravent l’atteinte des résultats projetés. La chute des cours du pétrole de 2014 et la récession qui en a résulté a conduit certains pays africains à prioriser le rééquilibrage budgétaire au détriment de dotations consacrées au développement. Enfin, les attaques terroristes de la secte Boko Haram ont obligé nos pays membres du Sahel à une réorientation des dépenses plutôt vers la sécurité que vers les secteurs sociaux. 

T. E : Quelle est votre ambition durant votre mandat en matière de la qualité de la dépense

publique dans les 14 pays membres du FAGACE ? Existe-il au sein du FAGACE un mécanisme d’accompagnement à la performance en matière de la qualité de la dépense publique ou un mécanisme de sanction vis-à-vis des mauvais élèves ?

NTY: J’attache une importance capitale à la gestion des ressources publiques qui doivent être utilisées avec efficacité et efficience pour l’objet auquel elles sont destinées. Les ressources confiées au FAGACE seront gérées sous mon mandat, avec une rigueur stricte pour l’atteinte des résultats visés. Après accord des Instances, j’entends d’ailleurs mettre en place un mécanisme indépendant d’évaluation dont le champ d’action va s’étendre sur tous les aspects de ma propre gestion de l’Institution. C’est un mécanisme qui a fait ses preuves sur d’autres cieux et qui peut être expérimenté en Afrique notamment au niveau des entités en charge de la gestion des ressources publiques. Mon Crédo est le même : Rigueur-Responsabilité- Recevabilité.

T.E : Quelle est votre ambition pour le Tchad votre pays durant votre mandat ?

NTY: C’est vrai qu’à la base, je suis tchadien. Mais aujourd’hui, je suis un africain au service d’au moins quatorze pays dont je défends les intérêts communs. J’ai des ambitions pour tous ces pays à l’instar du Tchad mon pays et je ne ménagerai aucun effort pour faire du FAGACE une institution plus proche de ses Etats membres, plus présente dans la mise en œuvre de leurs politiques de développement respectives. Plusieurs chantiers seront abordés à travers la garantie, les placements, les conseils, l’assistance et les mises en relation pour des fins diverses. Et je serai là avec mes équipes et celles des entités publiques pour des évaluations périodiques régulières. C’est bien le FAGACE qui est au service des Etats membres et non l’inverse.

T.E : Tirant leçon de votre expérience de Ministre de l’économie et de la Planification du développement du Tchad, quelles recommandations pourraient-vous formuler pour améliorer la qualité de la dépense publique dans votre pays ?

NTY: Comme je l’ai mentionné plus haut, la significative sur les recettes pétrolières. De plus, les attaques répétées de la secte Boko Haram ont conduit plutôt à une priorisation des dépenses militaires. Ces facteurs ont entravé de manière notable la marge de manœuvre de l’Etat. Des efforts significatifs sont en cours notamment en termes de rééquilibrage budgétaire et rationalisation des dépenses publiques.

En vue d’améliorer la marge de manœuvre budgétaire et augmenter les dépenses publiques dans les secteurs sociaux cruciaux pour le développement socio-économique et la réduction de la pauvreté, le maintien de cette rigueur budgétaire est nécessaire. Il est important également d’augmenter les recettes intérieures, notamment par la mise en place d’un mécanisme qui permet de colleter des recettes fiscales de manière efficace et durable. Enfin, il est essentiel d’améliorer l’efficacité et l’efficience des services de qualité au public afin d’optimiser leur contribution dans l’amélioration du capital humain, lequel est indispensable pour une croissance diversifiée.

Le Parlement peut contribuer  fortement à l’amélioration de l’efficacité de la dépense publique. En effet, la procédure budgétaire actuelle ne permet pas d’appréhender la dépense publique en termes d’efficacité. Elle reste enfermée dans une logique privilégiant les dépenses par nature, et non les résultats, Il en résulte une inefficacité des administrations, qui, sous réserve de respecter les règles comptables, n’ont finalement guère de compte à rendre quant à l’efficacité des dépenses effectuées. La période actuelle, marquée par la raréfaction des ressources jeu et de paradigme. C’est vers ces deux objectifs que nous devrons axer nos réformes sur les finances publiques.

T.E: Votre mot de la fin Monsieur le Ministre.

NTY: D’abord, remercier les Etats membres du FAGACE pour leur soutien constant et indéfectible aux activités du Fonds. Ensuite remercier nos partenaires notamment les Banques locales, régionales et internationales qui manifestent de plus en plus leur appétence au FAGACE à travers les requêtes d’intervention qu’elles nous adressent. Je voudrais pour terminer les rassurer sur les perspectives de l’institution à travers son nouveau Plan Stratégique 2021-2025 dont l’élaboration a été participative et inclusive. La mise en œuvre de ce Plan après son adoption par les Instances nous permettra d’embrasser ensemble des chantiers ambitieux pour la prospérité de nos Etats. Je sais aussi compter sur Tchad Eco qui est l’un des rares organismes de presse spécialisés en Economie pour accompagner le FAGACE dans la sensibilisation et la vulgarisation de ce nouveau Plan Stratégique et sa mise en œuvre.

Interview réalisée par Jareth BEAIN

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire