Le Représentant Résident de la Banque Africaine de Développement au Tchad, le Professeur Michel-Cyr DJIENA-WEMBOU se prononce sur les stratégies de son institution en faveur du développement socioéconomique du Tchad.
D’après ce dernier, «Depuis le début de la coopération avec le Tchad en 1974, la Banque a investi près de 500 milliards de FCFA à travers 100 opérations d’investissement, d’appui institutionnel et des études dans les secteurs de l’Agriculture/Environnement (38%), des Transports, (25%), Social (Santé, Education et Protection sociale – l4%), Gouvernance/multi-secteur (14%), Eau/Assainissement (6%), Communications (3%) et Energie/Mines (1%).»
Tchad Eco: Pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs?
Pr Michel-Cyr DJIENA-WEMBOU: Je m’appelle Michel-Cyr DJIENA-WEMBOU; je suis fonctionnaire international à la Banque africaine de développement (BAD) depuis de nombreuses années. Je suis également Professeur Titulaire des Facultés françaises de Droit et de Sciences Politiques. J’assume depuis février 2011, les fonctions de Représentant résident de la Banque africaine de développement au Tchad et de Représentant de la BAD auprès de la CBLT. Enfin, je précise que je suis depuis trois ans déjà, le Président du Comité des Partenaires Techniques et Financiers du Tchad.
Tchad Eco: Pourriez-vous nous dire quelles sont les stratégies d’interventions de la BAD au Tchad en termes de domaine et volume d’activités?
Pr DJIENA-WEMBOU M.: Pour être précis, je dirai qu’il n’existe qu’une stratégie d’assistance de la Banque africaine de développement par pays. La BAD intervient dans un pays à travers ce qu’on a coutume d’appeler un Document de stratégie par pays (DSP). Ce document, d’une durée de 5 ans, se décline en différents axes d’intervention sectorielle. La dernière stratégie d’intervention de la Banque au Tchad (2010-2014) a pris fin en 2014. Elle reposait sur deux piliers: la promotion de la bonne gouvernance dans le secteur public et le développement des infrastructures de base. Une nouvelle stratégie est en préparation et couvrira la période allant de 2015-2019.
En termes de volumes d’activités, depuis le début de la coopération avec le Tchad en 1974, la Banque a investi environ 650,5 millions d’unités de compte (UC), soit près de 500 milliards de FCFA à travers 100 opérations d’investissement, d’appui institutionnel et des études dans les secteurs de l’Agriculture/Environnement (38%), des Transports, (25%), Social (Santé, Education et Protection sociale – l4%), Gouvernance/multi-secteur (14%), Eau/Assainissement (6%), Communications (3%) et Energie/Mines (1%). |
Le portefeuille actuel des projets comprend 18 opérations dont onze opérations à caractère national et sept (07) opérations régionales, pour un volume global de 188,73 millions d’UC. Ce financement est dominé par le secteur des transports, 85,8 millions d’UC soit 45% de l’engagement total, suivi par le secteur agricole/environnement, 70,99 millions d’UC soit 38%; l’eau et l’assainissement (11%); la gouvernance (5%); et enfin le secteur d’Energie qui représente 1% du volume des engagements. La nouvelle stratégie en préparation pour la période 2015-2019 va s’appuyer sur ces projets déjà en cours d’exécution.
Tchad Eco: Etant une banque de développement, quels sont les obstacles qui entravent une bonne exécution des projets de développement au Tchad et comment peut-on y remédier?
Pr DJIENA-WEMBOU M.: D’une manière générale, il y a lieu de relever que les questions liées à l’exécution des projets et programmes soutenus par la BAD au Tchad font l’objet d’une attention particulière dans le dialogue avec le Gouvernement. Cependant, certains aspects de la gestion des projets doivent être suivis d’un peu plus près: (i) la lenteur dans la passation des marchés en est un premier exemple. Afin de réduire et de contrôler les risques liés à la passation des marchés publics, la Banque a effectué une revue analytique conjointe du système de passation des marchés publics au Tchad qui a fait le point de la situation actuelle. Grâce à son appui, le code des marchés publics a été révisé et mis aux normes internationales. Les textes d’application sont en cours de promulgation par le Gouvernement. Il convient aussi de relever dans ce même domaine l’insuffisance dans la maitrise des procédures qui constitue un obstacle à l’efficacité de la mise en œuvre des projets. Des modules de formation ont été organisés dans le cadre d’une clinique fiduciaire en vue du renforcement des capacités des agences d’exécution des projets; (ii) le problème de la mobilisation des fonds de contrepartie en est un second exemple. Certains projets du portefeuille rencontrent des difficultés dans la réalisation de leurs activités en raison de la non-mobilisation des ressources du budget national dans les délais impartis. Grâce à un dialogue soutenu avec le Gouvernement, notamment avec les Ministères des Finances et du Plan, d’importants efforts ont été déployés pour que les projets perçoivent ces ressources et soient exécutés dans les temps.
Tchad Eco: Quelles sont les stratégies de votre institution en faveur du développement du secteur privé au Tchad?
Pr DJIENA-WEMBOU M.: La Banque africaine de développement considère que le développement du secteur privé est source de croissance, de création d’emplois et donc de réduction de la pauvreté. Notre institution s’est dotée de solides moyens pour être un acteur très actif dans ce domaine. Elle dispose d’une stratégie propre à ce secteur, mais intervient également dans ce secteur dans le cadre de sa stratégie décennale (2013-2022) qui met un accent particulier sur la transformation structurelle. La Banque, qui s’est dotée d’un département en charge de ces questions (OPSM) et, dispose d’hommes et de femmes expérimentés et d’une panoplie d’instruments financiers afin de jouer un rôle de premier plan en Afrique. Au Tchad, le développement du secteur privé se heurte encore à de fortes contraintes. Le climat des affaires actuel doit être amélioré. C’est un préalable à l’éclosion des entreprises et au développement de ce secteur, mais aussi à l’émergence économique que le Tchad souhaite atteindre à l’horizon 2030. Le cadre juridique et réglementaire est également à parfaire pour que le secteur privé soit plus dynamique et peu contraignant.
Des études économiques et sectorielles réalisées par la Banque dans le domaine de l’investissement, la promotion des PME/PMI et la mobilisation des ressources ont permis de mieux cerner les problèmes et les défis auxquels ce secteur est confronté. Un projet d’amélioration du climat des affaires et à la diversification de l’économie tchadienne a été lancé en 2013. Ce projet, d’un montant de 5,89 millions UC, soit près de 5 milliards de francs CFA, permettra de renforcer le cadre légal et réglementaire en vue notamment de favoriser la création et le développement des PME/PMI, de soutenir les réformes dans le domaine cadastral et foncier, de contribuer à l’interconnexion de l’agence nationale des investissements et des exportations, de mettre en place un cadre de suivi en matière de réformes relatives aux indicateurs du «Doing Business» et de contribuer au développement du dialogue public privé. Le développement du secteur privé suppose aussi que soient levées les contraintes infrastructurelles existant au Tchad, notamment dans le secteur de l’énergie et le transport. C’est pour cette raison que la BAD a également axé en priorité ses interventions sur ces secteurs en mettant en œuvre des projets dans ces deux domaines.
Ses actions en faveur de la promotion de l’intégration économique au Tchad s’inscrivent dans cette logique. Elles visent également à accroître le périmètre du marché national et à ouvrir de nouvelles opportunités commerciales et d’investissements aux opérateurs économiques nationaux dans la sous-région.
Tchad Eco: Selon vous, comment l’Etat tchadien et ses partenaires au développement peuvent renforcer l’inclusion financière au Tchad ?
Pr DJIENA-WEMBOU M.: La question de l’inclusion financière est centrale pour le développement économique en général et pour celui du Tchad en particulier. Promouvoir l’inclusion financière suppose des efforts conjoints dans différents domaines. Il s’agit tout d’abord de remédier au faible niveau d’intermédiation financière existant dans une majorité de pays africains et plus particulièrement au Tchad. A titre d’illustration, le secteur bancaire tchadien, qui comprend huit banques commerciales regroupe, une quarantaine d’agences sur tout le territoire, soit un ratio de 250 000 habitants par agence contre 1 650 habitants en France. En 2009, on estimait que le montant total des primes collectées par le secteur des assurances au Tchad représentait près de 0,3% du produit intérieur brut contre 3,4% au Kenya et 1% au Ghana. Ces chiffres montrent à suffisance le retard pris et les efforts restant à faire dans ce domaine. Il convient ensuite de faciliter l’accès au crédit et aux services financiers. Ce qui n’est pas chose aisée au Tchad. L’inefficacité de la justice commerciale figure au nombre des raisons avancées par de nombreux banquiers pour expliquer cette situation. La difficulté à faire valoir des garanties sur prêts et la longueur des procédures de recouvrement sont de nature à freiner le développement des activités financières et bancaires dans le pays. Le droit OHADA offre en la matière des réponses adaptées mais son application au Tchad reste à parfaire.
Il faut également proposer des financements adaptés aux besoins des différents agents économiques. Au Tchad, l’offre bancaire à moyen et long-terme demeure peu adaptée aux besoins des ménages dans le domaine du logement et dans celui du financement des petites et moyennes entreprises (PME) et des biens d’équipement pour les opérateurs économiques tchadiens. Enfin, il est important d’avoir un secteur de la microfinance dynamique. Il participe activement à l’accroissement de l’inclusion financière. Des progrès doivent être faits dans ce domaine au Tchad.
Tchad Eco: La croissance économique au Tchad semble ne pas se traduire par une baisse significative de la pauvreté. Pour ce faire, comment la BAD attend accompagner le Tchad dans la transformation structurelle de son économie ?
Pr DJIENA-WEMBOU M.: Toutes les pratiques de développement de la BAD se donnent comme objectif prioritaire de lutter contre ce fléau. La pauvreté est un concept multidimensionnel et son éradication suppose une approche différenciée par pays. Avant toute action, il convient au préalable de bien cerner ses causes et de prendre en compte la situation socioéconomique du pays. D’importantes actions ont été déployées dans ce domaine. Dans le cadre de son action sur le terrain, la BAD a appuyé les efforts du Gouvernement à travers différents projets et programmes dans les zones rurales où sévit le plus la pauvreté, notamment dans le domaine de l’eau et assainissement, en vue d’atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement. Elle continuera de le faire dans le cadre de l’agenda 2063. Ses efforts se sont également concentrés sur la diversification de l’économie qui, lorsqu’elle est effective, est source de croissance, donc de richesse. C’est dans cette direction qui convient d’aller.
Tchad Eco: Le Tchad est le seul pays de l’Afrique centrale à ne pas atteindre le point d’achèvement de l’initiative PPTE. Quels sont les effets attendus de cette initiative et comment le Tchad pourrait l’atteindre?
Pr DJIENA-WEMBOU M.: Tout concourt désormais à ce que le Tchad atteigne cet objectif dès cette année. Les conditions au plan économique et financier me paraissent réunies pour y parvenir. A ce stade, il est très important de souligner que le point d’achèvement de l’initiative PPTE ne doit pas être considéré comme un aboutissement et susciter des relâchements dans la discipline budgétaire. C’est une nouvelle étape qui ouvre de nouvelles perspectives économiques et financières. L’atteinte de cet objectif permettra au Tchad de bénéficier d’un allègement de sa dette d’environ 1,2 milliard de dollars américains, ce qui la rendra ainsi plus soutenable.
Le Tchad pourra également accéder à des ressources plus importantes au niveau de la BAD, mais également à celles provenant de divers fonds fiduciaires. Le pays pourra ainsi bénéficier de la nouvelle politique de crédit de la Banque africaine de développement et financer à ce titre des projets structurants pour son économie. La BAD est disposée à accompagner le pays dans cette nouvelle étape de son développement.
Tchad Eco: L’actualité oblige. Que pensez-vous de la chute vertigineuse des prix internationaux du pétrole? Et que peut faire le Tchad pour s’en prémunir?
Pr DJIENA-WEMBOU M.: La baisse des cours du pétrole a constitué un véritable choc pour l’économie nationale et a grandement affecté la situation de ses comptes publics et extérieurs. La préparation d’une loi de finances rectificative au titre de l’année 2015 s’explique en très grande partie par la baisse du cours du pétrole sur le marché international et son impact négatif sur le niveau des recettes budgétaires. Cette situation vient rappeler la nécessité à entreprendre sans délai une diversification économique afin d’abaisser le niveau de dépendance du pays vis-à-vis du pétrole. Le Tchad dispose de réels atouts dans ce domaine. Le développement d’activités industrielles et agricoles doit donc être soutenu et encouragé pour faire face aux effets néfastes liés à la forte dépendance de l’économie tchadienne vis-à-vis du pétrole.
Tchad Eco: Votre mot de fin monsieur le Représentant?
Pr DJIENA-WEMBOU M.: Je ne saurai conclure cette interview par un propos final car notre coopération avec le Tchad est dense, diversifiée et dynamique et par ailleurs le caractère de notre discussion ne s’y prête pas. Je voudrais simplement rappeler à l’attention de vos lecteurs et des populations tchadiennes, quelques-unes des principales réalisations de la Banque au Tchad.
La BAD en chiffres au Tchad | ||
Secteurs | Réalisation | Ventilation géographique |
Agriculture et développement rural | 11 barrages construits | Wadi Fira (Adoukoumi, Matadjana, Absounout, Aora, Tologon, Maïba), Ouaddaï (Foundouk, Bouyour) et Guéra (Midziguir, Am Tchake, Djerbé) |
22 digues dont 14 de clôtures, 6 de fermetures et 2 de séparation en vue d’assurer la gestion de l’eau | Lac Tchad | |
1.200.000 de têtes de bovins vaccinés | Lac Tchad | |
Plus 800 km de pistes rurales construites et entretenues | Lac Tchad, Guéra (Eref) Batha (Am-Tchake), Wadi Fira et Lac Iro (Kyabé – Roro); | |
Transports | Route Koumra-Sarh (110 km). Pont de N’Guéli sur le Logone reliant le Tchad au Cameroun. | Mandoul, Moyen-Chari et N’Djamena |
Développement humain | Réhabilitation et équipement de 12 lycées généraux et techniques. | Faya (Borkou), Ati (Batha), Doba, Mongo et Kélo (Tandjilé), (N’Djaména), (Moundou), |
Construction de plus de 8 Centres d’apprentissage | N’Djaména, Bol, Mao, Bongor, Pala, Doba, Koumra et Laï | |
Formation de plus de 1 000 Enseignants et personnels d’encadrement du secondaire (formation initiale et continue) | ||
16 unités de transfusion sanguine ont été construites | Abéché, Amtiman, Ati, Bol, Iriba, Kyabé, Laï, Léré, Doba, Bongor, Guéréda, Haraze, Mao, Moïssala, Mongo, Pala). | |
Eau & Assainissement | Plus de 1305 points d’eau dont 875 forages équipés de pompes manuelles ou solaires | Batha, Logone Occidental, Logone oriental, Tandjilé, Lac, Moyo-Kebbi Ouest, Guéra, Salamat, Wadi Fira, Lac |
502 latrines | Tandjilé et Mayo-Kebbi Ouest | |
510 dispositifs de lave-main dans les écoles et dispensaires | Tandjilé et Mayo-Kebbi Ouest | |
3 laboratoires d’analyse d’eau |
N’Djamena, Pala et Laï |
Interview réalisée par Jareth BEAIN et Rony DJEKOMBE
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