Opinion : l’économie verte pourrait-elle améliorer la sécurité alimentaire en Afrique ?

En dépit de bons résultats observés en termes de taux de croissance économique sur la période 2002-2015 (CEA, 2016), la sécurité alimentaire constitue un problème majeur en Afrique subsaharienne (AS). Le nombre de crises alimentaires a triplé depuis 30 ans. En outre, malgré les efforts nationaux et internationaux visant à réduire l’insécurité alimentaire, le nombre de personnes souffrant de faim chronique est estimé à environ 868 millions dans le monde en 2010-2012 et 26,8% de personnes sous-alimentées dans le monde sont en AS. En d’autres termes, 30 % de la population totale de l’Afrique est malnutrie (CEA 2012a).

A la Conférence des Nations sur le Développement Durable (Rio+20), qui a eu lieu en Juin 2012, à Rio de Janeiro au Brésil, les Chefs d’Etats et de Gouvernements et les Hauts représentants ont convenu que l’économie verte pourrait être un important outil pour atteindre le développement durable et éradiquer la pauvreté. Le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (2011) définit l’économie verte comme une économie qui entraine une amélioration du bien-être humain et de l’équité sociale tout en réduisant de manière significative les risques environnementaux et la pénurie des ressources. Elle est faiblement émettrice de carbone, préserve la ressource et est socialement inclusive.

La transition vers l’Economie Verte pourrait contribuer à améliorer la sécurité alimentaire en Afrique en stimulant la productivité et la production agricole, en favorisant une meilleure gestion de la terre des écosystèmes naturels, en améliorant l’accès aux services sociaux de base et en créant des emplois verts et inclusifs et des débouchés commerciaux.

Production agricole

Partant du fait que la disponibilité alimentaire en Afrique est insuffisante du fait d’un taux de croissance élevé de la population africaine (2,5% par an) et de faibles rendements de la productivité agricole, il serait important d’accroitre les efforts pour augmenter la production agricole. L’adoption des politiques et stratégies vertes inclusives dans le secteur agricole des pays Africains pourrait permettre la réduction de la pollution des sols, de l’eau et optimiser l’utilisation des intrants minéraux et organiques. Cela améliorera la productivité agricole et augmentera les revenus des agriculteurs. C’est le cas des pratiques agricoles écologiques telles que l’agriculture biologique qui amélioreront la compétitivité commerciale des pays africains et réduiront les effets de la dégradation environnementale (la conservation de l’eau et du sol). Ces politiques et stratégies vertes inclusives auront donc un effet positif sur la sécurité alimentaire à travers l’accroissement de la production agricole (encadré 1) et la disponibilité alimentaire, l’augmentation des revenus et du pouvoir d’achat des ménages.

Une meilleure gestion des ressources naturelles

Une caractéristique importante des pays Africains est que leurs économies dépendent fortement des ressources naturelles. L’agriculture (le tourisme) représente environ 34% (8,3%) du PIB et emploie environ 70% (5,9%) de la population. Selon la BAD (2012), les pays Africains fortement dotés en ressources naturelles devraient avoir une croissance économique plus élevée plus rapidement que ceux faiblement dotés en ressources naturelles.

L’adoption de politiques et stratégies vertes inclusives pourrait favoriser la conservation et le renforcement du capital naturel (les sols, les forêts et la pêche) dont dépend une part importante des populations africaines. Une meilleure gestion de ces ressources naturelles permettrait d’accroitre les revenus des ménages, de créer des emplois et de réduire la dégradation de l’environnement. Ces ménages ont une forte capacité à acheter des biens alimentaires. Une étude de 286 projets portant sur les « bonnes pratiques » de 12,6 millions exploitations dans 57 pays en développement, menée par le PNUE a montré que l’adoption d’approches de protection des ressources (la gestion intégrée des ennemis des cultures, la gestion intégrée des nutriments, le travail minimal du sol, l’agroforesterie, l’aquaculture, la maitrise de l’eau et l’intégration de l’élevage) a contribué à une augmentation moyenne des rendements de 79 % et a amélioré l’offre de services environnementaux essentiels.

La création des emplois verts

La transition vers une économie verte inclusive nécessite un accroissement des investissements dans de nombreux domaines (agriculture, agroalimentaire, Bâtiment, Transports, etc) et donc peut être une source de création d’emplois verts. Dans le secteur agricole, agroalimentaire et environnemental, la promotion d’activités autour de la protection du patrimoine naturel, dans l’industrie agroalimentaire, ou encore de juriste en environnement sont identifiés comme pourvoyeurs d’emplois.

Ensuite le développement des métiers liés à la collecte, au transport, au traitement et au recyclage des déchets offre un potentiel d’emplois très importants. A ce propos, les Etats africains pourraient structurer l’ensemble de la filière de la collecte au recyclage générant des emplois dont une grande partie pourrait être rentabilisés par la production de valeur ajoutée au niveau du recyclage des déchets. Ainsi, la structuration de la filière, outre l’apport considérable qu’elle pourrait entrainer au niveau de la salubrité, de la santé et de l’environnement, pourrait également générer des revenus aux populations et réduire la sécurité alimentaire.

Les opportunités commerciales

La transition vers la croissance verte inclusive pourrait inciter les entreprises à accroitre la production des biens et services comme les produits agricoles, de maraichage, d’arboriculture, de la pêche et de l’élevage. Des auteurs comme Porter (1991) et  Porter et Van der Linde (1995) expliquent que les politiques environnementales pourraient stimuler l’innovation technologique, augmenter la productivité et la compétitivité. En effet, lorsque les entreprises font face à des coûts potentiellement élevés du fait de l’adoption de politiques environnementales (par exemple la réduction des émissions), elles seront incitées à modifier leurs méthodes de production, à investir dans des activités innovantes et à trouver de nouvelles façons d’atteindre à la fois les objectifs environnementaux et la production de nouveaux biens.

Par ailleurs, les pays africains pourraient accroitre leurs gains de compétitivité en orientant leurs stratégies de croissance sur l’exportation de biens et services verts. En effet, le marché international de biens à technologies propres en carbone et économes en énergie pourrait atteindre 2000,2 milliards de dollars US en 2020. Ils pourraient accélérer l’industrialisation de leurs économies et bénéficient des niches dans les secteurs tels que la transformation des produits agricoles, de maraichage, d’arboriculture, de la pêche et de l’élevage. Autrement dit, la transition vers une économie verte inclusive pourrait donc augmenter le niveau de production et le potentiel de croissance des pays africains par l’accroissement de la production et de l’exportation (Jones et Olken 2010).

Encadré 1: Programme d’agriculture de conservation (AC) ou agriculture de précision au Zimbabwe

Depuis 2004, l’agriculture de conservation (agriculture de précision) est encouragée dans plus de 50 000 ménages agricoles par le biais d’une combinaison de partenariat avec les ONG et les départements de recherche et de vulgarisation agricoles nationaux au Zimbabwe. Le programme a recueilli un succès majeur. Au cours des trois campagnes suivant sa mise en œuvre, les rendements céréaliers moyens ont augmenté de 15 à 300 % dans plus de 15 000 ménages agricoles, ces augmentations variant selon le régime de précipitations, le type de sols et leur fertilité. En conséquence, plus de 50 000 agriculteurs communaux/petits exploitants ont pu s’adonner, pendant la campagne agricole 2007-2008, à l’agriculture de conservation/de précision encouragée par des ONG travaillant au Zimbabwe.

Pour que la croissance verte et inclusive décolle au niveau de la production agricole, il est important de coordonner les politiques de production agricole d’une manière qui tienne compte du fait que les agriculteurs produisent à la fois des cultures de rente et des cultures vivrières pour satisfaire les besoins économiques et sociaux, au détriment des exigences environnementales. Il est important que l’agriculture tire parti des pratiques de gestion agricole comme l’agriculture de conservation qui peuvent améliorer la productivité tout en favorisant la régénération des sols.

Source: ECA (2015).

 

Encadré 2: Services éco systémiques au Burkina Faso

Un projet de valorisation des services éco systémiques au Burkina Faso a assuré la formation de productrices de beurre de karité de meilleure qualité. Cette coopérative de femmes gagne désormais davantage qu’avant, car ses membres ont acquis des pratiques comptables et de meilleures méthodes de gestion. Ces femmes valorisent l’arbre à karité (Vitellaria paradoxa) pour améliorer leurs moyens d’existence dans l’optique d’une croissance verte inclusive, mais elles sont également incitées à protéger le karité, dont dépendent leurs moyens d’existence. Elles gagnent ainsi 18,36 dollars par mois de plus et protègent 5 hectares d’arbres. Leur protection contribue à la santé de l’écosystème et à la valorisation des services éco systémiques au profit de la population environnante.

Source : (www.foodsec.aaknet.org/index.php/widgetkit/item/download/63_b72e13bcd22c12e 6d41708f0bfb5ceae)

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