Système éducatif tchadien et situation des maitres communautaires

Maitres communautaires à Bitkine photo de Alizée Avril, Chargée du Projets de l'association Foi et Joie Tchad

Maitres communautaires à Bitkine photo de Alizée Avril, Chargée du Projets de l'association Foi et Joie Tchad
Maitres communautaires à Bitkine. Photo de Alizée Avril, Chargée du Projets de l’association Foi et Joie Tchad

Le recours à des enseignants sans formation initiale est une des conséquences de la crise sociopolitique que le pays a connue de 1979 à 1982. En effet, après le retour relatif de la paix en 1982, le gouvernement de l’époque prit la décision de relancer les activités socioéconomiques dans le pays, en particulier la réouverture des écoles.

Comme l’Etat manquait de ressources humaines et financières, les parents se sont organisés au niveau communautaire pour créer des écoles dites « spontanées » et recruter le personnel pour y enseigner.

Les écoles créées ainsi que leurs enseignants étaient entièrement à la charge des parents organisés en Association des Parents d’Elèves (APE). Au fur et à mesure que la situation du pays se redressait, certaines de ces écoles, à la demande des parents, furent officialisées. Mais compte tenu de la demande d’éducation toujours croissante, l’Etat n’avait pas les moyens d’officialiser toutes ces écoles spontanées qui se comptaient par milliers. Pour la plupart, ces enseignants étaient recrutés localement et parmi les ressortissants du village.

Ces enseignants étaient au départ désignés sous le vocable de « maitres suppléants ». Ce ne serait qu’à partir de 1988, quand l’Etat s’intéressait à la question de gestion de ces enseignants, qu’on leur donna le nom de «maitres communautaires».

Dans sa première phase, précisément les cinq premières années après leur apparition (de 1982 à 1987), la gestion des écoles communautaires (EC) a été entièrement l’affaire des parents d’élèves. Vu le nombre croissant de ces écoles et surtout l’engouement et la volonté des maitres communautaires (MC) à se donner pour l’éducation des enfants, l’Etat a décidé de s’intéresser de près à leur condition en organisant la première formation en 1987. Dans sa deuxième phase (de 1988 à 1998), les initiatives communautaires en éducation ont bénéficié de soutiens de tous ordres de la part de l’Etat et de ses partenaires techniques et financiers (PTF). Ces aides techniques et financières ne s’opèrent pas dans un cadre institutionnel bien défini. Il est de ce fait difficile d’évaluer leurs impacts.

Malgré toutes les contraintes d’ordre social, l’engagement des parents de plus en plus organisés en associations ne faiblit pas, bien au contraire. Cet engagement des parents en faveur de l’éducation de leurs enfants amènera l’Etat, appuyé par ses PTF, notamment la Banque Mondiale, à organiser en 2000, un séminaire national sur la valorisation des initiatives communautaires en éducation. Au terme de ce séminaire, une Fédération Nationale des Associations des Parents d’Elèves au Tchad (FENAPET) a été créée.

Dans le cadre de la déclaration du forum mondial sur l’éducation à Dakar en Avril 2000, complétant la Déclaration de Jomtien en Thaïlande de 1990 pour une Education pour tous (EPT), le Tchad s’est engagé en 2002 dans la réforme curriculaire visant l’amélioration de la qualité de l’enseignement et les conditions d’apprentissage. Ainsi, la Loi n°20/PR/2002 du 13 Décembre 2002 crée le Centre National des Curricula (CNC), structure en charge des programmes, des manuels scolaires et autres supports pédagogiques. Dans le même sens de cet engagement, l’Etat a créé par la Loi n°23/PR/2002 du 31 Décembre 2002, l’Agence pour la Promotion des Initiatives Communautaires en Education (APICED) dont la mission principale est d’assurer l’acheminement des fonds vers les Associations des Parents d’Elèves (APE) en vue de leur permettre de payer une partie des subsides aux MC qu’elles emploient. Le décret d’application n°359/PR/MEN/2003 du 16 Décembre 2003 du Centre National des Curricula a permis de mettre en œuvre le Programme d’Appui à la Réforme du Secteur de l’Education au Tchad (PARSET). Le PARSET, dans sa première phase (2003-2015) vise comme objectif général une éducation primaire de qualité équitablement dispensée en français et en arabe à tous les enfants tchadiens. De façon spécifique, il vise trois objectifs : l’accroissement de l’accès et de l’équité à l’éducation ; l’amélioration de la qualité de l’enseignement et de l’apprentissage ; et le renforcement des capacités institutionnelles de planification, de gestion et de pilotage du système. D’une manière plus globale, ce programme s’inscrit dans le cadre des objectifs de l’EPT.

Depuis la création des premières EC en 1982, les initiatives communautaires se sont consolidées au fil de l’histoire et on dénombre plus de 70% de MC de nos jours. Les dernières enquêtes de PARSET montrent que, dans sa zone d’intervention, on note que presque une école sur deux est communautaire. C’est dans le Hadjer – Lamis qu’on note le plus grand nombre d’écoles communautaires (67,98%) suivi du Mandoul (61,53%).

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On note en outre que mise à part la région de la Tandjilé, plus de 2/3 d’enseignants dans l’enseignement de base dans les quatre autres régions d’intervention de PARSET sont des enseignants communautaires. L’enseignement de base dans le Mandoul et le Mayo Kebbi-Est est plus assuré par les MC (respectivement 81,84% et 75,47%). Ces MC sont pour la plus part de niveau d’étude au plus égal à la terminale.

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Bien que des efforts aient été constatés ces dernières années quant à la dotation des écoles en manuels d’élèves et en guides d’enseignants, des efforts restent encore à consentir. A titre d’exemple, la situation de dotation en guides d’enseignant est très alarmante à la Délégation Régionale de l’Education Nationale du Hadjer-Lamis.

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A ces problèmes de disponibilité de guide pour les enseignants et du faible niveau d’étude des MC, on note le manque de formations continues et initiales des MC.

Alors que les autres régions ont un besoin criant en enseignants, beaucoup de maitres cherchent à tout prix à être affectés à Ndjamena ou du moins dans les régions autour de Ndjamena (Hadjer Lamis, Chari Baguirmi). Il est triste de constater que malgré la forte concentration d’enseignants dans la capitale l’Etat et les APE recrutent les MC pour faire face, soit disant, à un déficit fictif d’enseignants.

On peut parler ainsi du sous-emploi des enseignants dans la capitale. Le volume horaire hebdomadaire assuré par chaque maitre est donc en deçà des 30 heures de cours par semaine. L’autre constat est qu’en faisant un tour dans les écoles publiques, on remarque que les classes sont toujours bondées (généralement l’effectif des élèves par classe dépasse les 60 élèves voulu par l’Etat).

En redéployant ce surplus d’enseignants dans les autres régions, l’Etat peut gagner en qualité d’enseignement et réaliser des économies dans la masse salariale en réduisant le nombre de MC non formés.

Economiquement parlant, la bonne gestion des enseignants permettra à l’Etat de réduire les subventions à certaines écoles publiques et communautaires et les utiliser dans la formation des enseignants non formés.

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Josué

A propos de l’auteur : Ingénieur statisticien formé à l’École Nationale de la Statistique et de l’Économie Appliqué (ENSEA) d’Abidjan en Côte d’Ivoire Josué DOGOIN est chef de division de développement des compétences à la Direction des Ressources Humaines (DRH) du Ministère de l’Éducation Nationale.

 

 

 

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