Les faits : La descente aux enfers du système éducatif tchadien

© journaldutchad.com Candidats repêchés en train de repassés les épreuves. source: journaldutchad.com

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Candidats repêchés en train de repasser les épreuves. source: journaldutchad.com

«Ce qui s’est passé au concours d’entrée à l’ENA au titre de l’année 2014 est tout simplement inacceptable et honteux, car presque tous les responsables politiques et administratifs du pays se sont rués, sans gêne, tels des vautours, pour dépecer les quelques places ouvertes.»

Ce sont les conclusions du rapport transmis aux autorités au cours duquel ils ont noté que plus de 60% des personnes déclarées admises au concours de l’ENA n’avaient pas la moyenne de 9/20. Pire, un candidat ayant totalisé moins de 2/20 a été déclaré admis alors qu’un autre ayant plus de 15/20 n’a même pas son nom.

602668_484779804893zsd397_419042875_nEn 2013, les résultats du Baccalauréat donnaient un taux de 91,3% de recalés pour seulement 8,7% d’admis. En 10 ans, le taux de réussite du Baccalauréat est passé de 50,1% en 2004 à 8,7% en 2013. Ces mauvaises performances au Baccalauréat 2013 qui se confirment d’année en années sont radicalement opposées à ceux des autres pays d’Afrique comparables. Ainsi, pour l’année 2012, on observait un taux de réussite de 53,30% au Cameroun et 35,1% pour le Burkina Faso. Ils suscitent des questions sur le fonctionnement même du système éducatif national et sur les responsabilités des différents acteurs (enseignants, élèves, parents d’élèves, les responsables d’établissements, les ministères chargés de l’enseignement, les programmes nationaux).

Ces deux évènements à priori isolés traduisent à eux seuls la déliquescence du système éducatif tchadien. Ces chiffres traduisent une crise profonde qui traverse le système éducatif depuis la fin des années 1990.

Pour comprendre le mal dont souffre le système éducatif tchadien, il convient d’une part de faire une analyse socio historique du processus ayant conduit à cette déliquescence. En effet, il existe une littérature fournie faisant le diagnostic des maux qui minent ce secteur. Cependant, la plupart de ces rapports s’attèlent à mettre en évidence les carences du système sans aller au-delà pour identifier les causes profondes du phénomène.

Source : ONEC
Source : ONEC

Des progrès important ont été réalisés ces dernières années

Partant des niveaux les plus faibles du monde, le pays a fait des progrès importants en matière de couverture scolaire, en particulier pendant les cinq dernières années. Entre 1998/99 et 2003/04, on a observé une forte augmentation des effectifs scolaires à tous les niveaux (Banque Mondiale, 2007). Les effectifs scolarisés dans le primaire ont cru en moyenne de 7,9 % par an faisant passer le Taux Brut de Scolarisation (TBS) de 80,4% en 2001-2002 à 91% en 2010/2011 (INSEED, 2014).

La croissance des effectifs dans le secondaire a été encore plus rapide que celle de l’enseignement primaire avec une croissance moyenne annuelle de 13%. Entre 1998 et 2004, le TBS au collège est passé de 15% en 1998-1999 à 23% en 2003-2004, alors que celui du lycée est passé de 7 à 12% sur la même période (Banque Mondiale, 2007). Dans le secteur secondaire en général, entre 2006 et 2011, le TBS se situe à des niveaux assez faibles. Il se situe dans une fourchette allant de 16 % en 2006-2007 à 18,98% en 2010-2011 (INSEED, 2013).

Ces bonnes performances résultent de l’effort financier consenti par le gouvernement et ses partenaires au développement qui s’est concrétisé par la construction de salles de classes et le recrutement massif d’enseignant ces dernières années. A titre d’exemple, de 2005 à 2011, le nombre d’établissements du réseau scolaire tchadien est passé de 6 698 à 10 346 soit un taux de croissance de 54,5%. En moyenne annuelle, l’accroissement de ces établissements est de 9,15% (INSEED, 2014).

Cependant la qualité du système éducatif est médiocre

La qualité de l’éducation au Tchad laisse beaucoup à désirer. Ainsi, du faible nombre de diplômés du cycle primaire que le pays produit, seulement la moitié des élèves ont une connaissance de base suffisante pour demeurer instruit au cours de leur vie adulte.

Deux enquêtes récentes (PASEC et MICS) montrent que malgré une dynamique globale positive, la qualité des enseignements du système éducatif tchadien est particulièrement faible. On estime que 47 % seulement des sortants d’un cycle primaire complet acquièrent suffisamment de connaissances de base pour rester alphabète à l’âge adulte (contre 72% en moyenne dans les autres pays africains). La Banque mondiale (2013) montre qu’il reste beaucoup d’effort à faire pour améliorer l’équité dans le secteur éducatif tchadien. Des déséquilibres importants existent dans le système en termes de disparités selon le genre, le lieu d’habitation et le niveau de revenus des ménages.

Des problèmes d’efficience dans les dépenses publiques du secteur de l’éducation

Compte tenu de l’importance de l’éducation dans le développement du pays et de sa déliquescence, les autorités l’ont incluse parmi les secteurs prioritaires. Ce statut permet au secteur de bénéficier de financements significatifs sur les ressources pétrolières. En effet, au titre de la loi 001/PR/1999 portant gestion de revenus pétroliers modifié par la loi 002/PR/2006, les secteurs prioritaires bénéficiaient de 80% puis 65% des ressources pétrolières (dividendes et redevances). Cela s’est traduit par la construction et la réfection des infrastructures éducations (écoles, collèges et lycées), le recrutement massif des enseignants et l’amélioration de leur condition de vie (hausse des salaires de base) et la gratuité de l’école.

Sa traduction en exécution budgétaire montre qu’entre 2005 et 2011, les investissements dans les secteurs sociaux (Education et Santé) ont représenté plus de 13% du budget total. Ils ont doublé sur la période passant de 5,2 milliards de FCFA pour s’établir à 11,2 milliards en 2011. Cependant, on note une certaine inefficacité de ces dépenses dans la mesure où une grande partie de ces dernières ne sont pas opérationnelles du fait d’une mauvaise programmation entre le Ministère des Infrastructures et celui de l’Education. Cela résultait du fait que les dépenses courantes en vue de l’opérationnalisation de ces infrastructures n’ont pas suivi. Ainsi, sur la période 2005-2006, les dépenses courantes ont augmenté de 156% tandis que les investissements sur ressources internes se sont-elles accrues de 270%.

En outre, le pays se distingue par le coût de construction le plus onéreux de l’Afrique subsaharienne avec un coût 4 fois plus élevé que dans les pays voisins (Banque Mondiale, 2013).

Sur les 10 dernières années, seulement 2,5% du PIB soit 10,3% du budget ont été alloués au secteur de l’éducation, ce qui est bien inférieur aux engagements pris dans le cadre de l’initiative Fast-Track (20% du budget alloués à l’éducation). 85% de ces dépenses sont consacrés aux salaires et autres dépenses courantes tandis que les 15% restant ont été alloués aux investissements du secteur.

Inadéquation entre offre de formation et besoins du marché de l’emploi  

La Banque Mondiale (2007) montre que seulement 36% des sortants de l’université exercent un emploi correspondant à leur formation alors que 50% sont sans emploi et que les 14% restant exercent une activité sous-qualifiée par rapport à la formation reçue. Parmi les sortants du lycée, seuls 26% exercent un emploi correspondant à leur niveau de qualification. Le bilan formation-emploi pour les années récentes suggère pour sa part que la production de diplômés dans la partie haute du système est entre 7 et 8 fois excédentaire par rapport aux demandes du marché de l’emploi (on estimait en 2007 à environ 3000 le nombre annuel de sortants de l’enseignement supérieur et à seulement 400 le nombre annuel de nouveaux emplois de cadres).

Des pistes de solution pour une meilleure efficacité du système éducatif

Le concours de l’ENA a relevé un mal pernicieux qui mine depuis plus d’une décennie notre système éducatif: La corruption dans les concours publics. Cette promotion de la médiocrité par la falsification des résultats des concours a été justifiée par certains comme un moyen de rééquilibrage dans l’administration publique des diverses composantes ethniques du pays et cela en dépit du faible niveau des personnes admises.

L’une des conséquences de cette dérive est la baisse de niveau du personnel enseignant qui se répercute sur les élèves. Il n’est pas rare de nos jours de rencontrer de personnes occupant des postes élevés dans l’administration commettre des fautes de syntaxe basique démontrant du coup leur faible maitrise des langues officielles que sont l’Arabe et le Français, suscitant des doutes sur l’origine de leur diplômes.

Au-delà des discours des autorités après la proclamation des résultats du Bac, une prise de conscience nationale s’avère nécessaire. Il reviendrait aux plus hautes autorités de démontrer leurs engagements à lutter contre la corruption et les déviances dans le système éducatif.

Introduire plus de transparence dans l’organisation des concours de recrutement dans les Grandes Ecoles et dans la Fonction Publique, au lieu de privilégier des quotas régionaux.

Il conviendrait aussi comme cela se fait actuellement dans le cadre du Projet d’Appui à la Formation des Agents de l’Administration Publique au Tchad (PROFAP)’appuyer les programmes de formation continue afin de renforcer les capacités du personnel éducatif et celui de l’administration publique en général. Les Technologies de l’Information et de la Communication pourraient être d’un grand apport pour plus d’efficience.

En ce qui concerne les dépenses publiques consacrées au secteur, la principale recommandation est que la promotion d’une meilleure efficacité des dépenses passe par une bonne coordination entre les Ministères des Infrastructures et celui de l’Education. Il faudrait aussi une amélioration de l’adéquation de l’offre aux besoins en termes de qualité de l’éducation et des capacités d’accueil. Cela pourrait être réalisé par un meilleur approvisionnement des fournitures scolaires de base telles que les table-bancs, les manuels scolaires et bien entendu la lutte contre la pénurie d’enseignants et du personnel d’encadrement dans certaines localités. Il conviendrait aussi de lutter contre le détournement des fournitures scolaires qui prévaut du fait d’une corruption à tous les niveaux de la hiérarchie éducative.

Encadré 1 : Pourquoi était-il nécessaire de supprimer le redoublement

Le problème : D’après la Banque Mondiale (2007), en 2004, on observait au Tchad 25% de redoublants au cycle primaire, 18% au collège et 24% au lycée. Ces chiffres sont particulièrement élevés en comparaison des autres pays (primaire: 16% en moyenne en Afrique et 10% en moyenne sur l’échantillon des pays les plus performants pour atteindre la scolarisation universelle).

Ces taux élevés de redoublants sont le résultat  (i) d’habitudes prises par le système (héritage colonial), (ii) du présupposé que le redoublement est lié à la qualité et que faire plus redoubler les élèves permet in fine d’améliorer les acquisitions scolaires. Cependant, la recherche au niveau international et l’analyse au Tchad montrent que la décision de redoublement n’est pas toujours juste. Le niveau de l’élève n’explique pas à lui seul la décision de redoublement. Les décisions de redoublement dépendent souvent de facteurs ‘subjectifs’ comme la position relative de l’élève dans la classe, le milieu et les conditions d’enseignement ainsi que la qualification du maître.

Il convient de noter que la supposée efficacité pédagogique du redoublement n’est pas prouvée. Les analyses au niveau pays montrent que l’argument selon lequel des redoublements élevés pourraient être justifiés pour des raisons liées à la qualité de l’éducation, n’est pas empiriquement vérifié. Au Tchad l’analyse a montré que toutes choses égales par ailleurs, les résultats au CEPE étaient meilleurs dans les écoles où les redoublements étaient les moins fréquents.

Les conséquences : Le redoublement exerce un effet négatif important sur les abandons. Les études aux niveaux pays, école et individus coïncident également sur ce point. Les redoublements exacerbent les abandons en cours de cycle, qui demeure le principal frein pour atteindre la scolarisation primaire universelle. Au niveau international, on estime que 1% de plus de redoublants est associé à 1,2% de plus d’abandons. Le redoublement a un impact important sur les coûts. Il fait payer deux années d’étude au système pour une seule année validée.

Les solutions: Le rapport ne suggère pas une politique de promotion automatique généralisée (qui pose des problèmes par ailleurs), mais conduit à considérer un chiffre de 10% de redoublants comme à la fois souhaitable et possible (valeur de référence de l’initiative Fast-Track). Cette stratégie a prouvé son efficacité, notamment au Niger et en Guinée.

Source : Rapport de la Banque Mondiale sur le secteur éducatif tchadien (2007), pages : 29-30

 

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A propos de l’auteur : Doctorant au Centre d’Etudes et de Recherche en Developpement International (CERDI) et élève du Cycle International Long de l’Ecole Nationale d’Administration de France (ENA), Guy Dabi GAB-LEYBA a travaillé à la Direction Générale du Budget du Ministère des Finances et du Budget où il était en charge des prévisions et des études économiques.Il est rédacteur en Chef-Adjoint du Journal Tchad Eco et Commissaire aux Comptes du CROSET.

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