Le Brexit : Quelles leçons tirées ?

source : www.globalresearch.ca/

Les Britanniques se sont exprimés le 23 juin dernier à 51.9% en faveur d’une sortie du Royaume Uni (RU) de l’Union Européenne (UE). Ce vote, encore appelé Brexit, est apparu comme un coup de massue pour bon nombre d’hommes politiques et d’analystes, eu égard à l’ampleur des incertitudes liées à ses répercussions, et surtout à l’importance capitale des interrogations qu’il soulève par rapport au système économique en place. La présente contribution, s’appuyant sur la panoplie d’analyses existantes sur les effets économiques potentiels du Brexit, essaie particulièrement de repositionner ce vote dans une perspective historique, d’en discuter les enjeux et les implications à portée structurelle, et d’en tirer des enseignements pour la quête d’un développement plus harmonieux et mieux partagé. 

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Du rêve des pères fondateurs de l’UE au Brexit

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, le Général De Gaulle et le Chancelier Allemand Adenauer, voyaient en la création de la communauté économique européenne (CEE, qui deviendra plus tard l’UE), un moyen de promotion de paix, de prospérité et d’interdépendance, qui rendrait « la guerre non seulement impensable, mais matériellement impossible ». Cependant, De Gaulle s’est opposé à deux reprises (1963 et 1967) à l’entrée du RU dans la CEE, prétextant que des aspects de l’économie britannique, touchant notamment aux règles du travail et du secteur agricole étaient incompatibles avec l’Europe, et que le RU « nourrissait une hostilité profonde envers tout projet européen ». L’adhésion du RU en 1973 à l’UE a aussi fait l’objet d’oppositions en interne, lesquelles avaient conduit à un référendum en 1975, lors duquel les Britanniques s’étaient prononcés à 67.2% en faveur de la poursuite de l’aventure européenne. Qu’est-ce-qui a donc bien pu changer entre 1975 et 2016 qui puisse expliquer ce revirement des Britanniques par rapport au projet européen ?

Des origines (économiques) de la colère des électeurs britanniques

On pourrait résumer ce qui pourrait être qualifié de vote de « colère » des Britanniques en ces termes : « Le Brexit illustre ce qui peut arriver quand les gens ont l’impression que leurs emplois sont menacés du fait des accords de libre-échange ». Une telle colère est à la base des rhétoriques protectionnistes grandissantes, et qualifiées de « populistes » par beaucoup d’analystes. Les prémisses de cette colère étaient pourtant déjà perceptibles lors des rejets du projet de Constitution européenne par les électeurs Français et Néerlandais en 2005. Le vote massif grec en 2015 contre le plan de réformes de leur économie pourrait, dans une certaine mesure, être également interprété comme une forme de désaffection (fondée ou non) du projet européen. Qu’est qui pourrait expliquer ce scepticisme vis-à-vis de l’Europe, et plus généralement des politiques d’ouverture ?

Il existe un décalage entre les prédictions des théories sous-tendant les politiques de libre-échange et les résultats observés dans la réalité. Les théories suggèrent en effet que les perdants des politiques d’ouverture pourraient trouver diverses formes de compensation, tandis que dans la pratique il s’avère que ces compensations des perdants par les gagnants ne sont pas si automatiques, et requièrent une certaine organisation en amont, et c’est bien à ce dernier niveau que les politiques publiques ont le plus souvent échoué. Des signes annonciateurs existaient pourtant, comme l’a bien récemment rappelé l’économiste Dani Rodrick de Harvard, à travers une synthèse des alertes décelables dans la littérature. Entre autres, le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz avait mis en garde contre le danger des inégalités de revenus nées des dérives du libre-échange, soulignant notamment que la concentration des fruits du commerce entre les mains de multinationales au détriment de la grande masse des travailleurs éroderait à terme la popularité des politiques d’ouverture commerciale. D’autres analyses ont également montré que la concurrence étrangère (notamment chinoise) a tiré les salaires vers le bas, conduit à la fermeture d’usines, expliquant près de 44% des pertes d’emplois enregistrées de 1990 à 2007 aux Etats-Unis, ravivant la désaffection des classes laborieuses vis-à-vis des politiques d’ouverture.

Au RU plus spécifiquement, l’érosion progressive du secteur industriel (la part du secteur est passée d’environ 30% du PIB au début des années 1990 à environ 20% du PIB en 2015), conjuguée aux effets néfastes de la crise de 2008, de même que les coupes budgétaires (restriction des conditions d’accès à la protection sociale) qui s’ensuivirent ont fini de convaincre une certaine opinion de ce que le système économique serait truqué en faveur des riches, notamment le monde (cupide) de la finance, qui aurait été indument renfloué sur le dos des contribuables, alimentant un repli protectionniste, doublé de sentiments anti-immigrations, avec en toile de fond le rejet d’une Europe balbutiante face à la crise des réfugiés Syriens. L’abandon d’une portion des souverainetés nationales au profit de la politique commune de l’UE rend en effet difficile de satisfaire aux besoins et préférences spécifiques et parfois divergents des électeurs de chaque pays. C’est ainsi que les divergences de positions des différents pays de l’UE par rapport à la gestion des questions migratoires ont pu jouer un rôle majeur dans le vote des Britanniques en faveur de la reprise en main de leur pleine souveraineté. Dans une certaine mesure, le rétrécissement du secteur industriel au profit des services a aussi résulté en une concentration des fruits de la reprise économique encore fébrile au niveau des grands centres urbains comme Londres, au détriment des villes de l’intérieur du pays, lesquelles auraient donc voté plus massivement en faveur du Brexit.

Enjeux et implications politico-économiques du Brexit et enseignements pour l’Afrique

L’enjeu majeur pour les dirigeants de l’UE demeure la sauvegarde du rêve de ses pères fondateurs, en préservant l’unité et la stabilité de l’UE. Il leur incombe de veiller essentiellement à ne pas fragiliser le système financier toujours en convalescence et de freiner autant que possible d’autres élans souverainistes, notamment en France, Hollande, Italie et au Danemark. Plus généralement, et pour paraphraser Dani Rodrick, il convient de noter qu’il existerait un triangle d’incompatibilité entre l’Intégration économique, la Souveraineté politique, et la Démocratie. Une de ses dimensions doit être sacrifiée –les Britanniques ont opté de sacrifier la première. Les décideurs politiques devraient donc travailler à l’avènement d’un libre-échange plus responsable, si tant est qu’il faille éviter de jeter le bébé avec l’eau du bain, en ne se laissant pas ravir la vedette par des rhétoriques ultra-nationalistes, lesquelles ont historiquement précédé des épisodes de conflits inter-Etats.

Pour les pays africains, un parallèle important mérite d’être fait en ce qui concerne le triangle d’incompatibilité, notamment pour ceux de la partie francophone, membres de la zone Franc. Cette zone est sujette à des critiques de plus en plus grandes. Il ne serait pas très déraisonnable de dire que cette zone d’intégration ne doit sa survie qu’à la faible profondeur des processus démocratiques dans ces pays. La définition des objectifs de la politique monétaire n’y fait presque pas l’objet de discussions dans les programmes politiques lors des campagnes électorales, sans oublier que ces programmes y sont encore relativement peu déterminants dans résultats des scrutins. L’on pourrait de surcroît avancer que la définition des objectifs (non des instruments) de la politique monétaire dans ces pays n’est que l’émanation d’un vestige colonial. En vertu des pratiques dans les banques centrales de démocraties modernes, la définition des objectifs (non des instruments) de la politique monétaire devrait refléter l’expression de la volonté populaire, et reposer sur le principe sacro-saint de la redevabilité politique. Il appartient donc aux intellectuels, think-tanks et autres structures de veille citoyenne de pallier ces insuffisances des processus démocratiques dans ces pays en sensibilisant les populations et/ou leurs représentants dans les Parlements sur les enjeux de la politique monétaire, toutes choses qui concourront à garantir que les populations demeurent l’alpha et l’oméga des orientations de ladite politique. Il en va de même de la négociation des accords commerciaux, dans lesquels seul l’intérêt supérieur des populations devrait guider les mandats des négociateurs. Là également, les intellectuels, think-tanks et autres structures indépendantes devraient peser sur le débat public, en vue d’une prise en compte effective des intérêts des populations dans les termes des accords qui seront conclus.

Dans la lignée des motifs susmentionnés de rejet des politiques d’ouverture, émanant de l’étroitesse de la base de la croissance, les gouvernants Africains sont aussi invités à améliorer la qualité de leur croissance économique, c’est-à-dire une croissance qui soit plus transformatrice de la structure de l’économie, mieux partagée, et plus réductrice de la pauvreté. Le cas échéant, leurs économies continueront d’afficher des taux de croissance importants, mais qui resteront très peu ressentis dans le panier de la ménagère, car essentiellement tirés par des secteurs desquels sont exclus une grande partie de la population (mines et pétrole par exemple), alimentant ainsi l’insécurité qui tend à se régionaliser et l’installation d’environnements non propices à l’attraction des investissements étrangers, ce qui fragilisera les perspectives de croissance, et ainsi de suite.

Pour aller loin :

Blogs de Brookings Institute et du CGDEV pour une analyse détaillée des effets économiques potentiels sur l’Afrique et les potentiels canaux de transmission.

 

 Rene tapsoba A propos de l’auteur: René Tapsoba est économiste au département des finances publiques du Fonds Monétaire International (FMI). Il détient un master et un doctorat en développement économique du CERDI, Université d’Auvergne (France). Il a reçu le prix de meilleure thèse en économie de l’institut CEDIMES à Paris en 2012.

Les points de vue exprimés ci-dessus sont ceux de l’auteur, et ne représentent pas ceux du FMI, de son conseil d’administration, ou de sa direction

 

1 Commentaire

  1. Article relativement intéressant René, mais avec des manques dans l’analyse historique je trouve, notamment dans l’histoire et le contexte du Royaume-Uni.

    -L’adhésion du Royaume-Uni en 73 intervient dans une période où le pays connaît un profond déclin, alors que les pays de l’UE ont connues une période de faste avec les 30 glorieuses. Le Royaume-Uni y a vu l’opportunité de relancer son économie en ayant accès au marché unique.

    -Le vote du Brexit n’est pas qu’un vote de colère, mais aussi culturelle et sociologique. L’Écosse et l’Irlande du Nord ont voté pour le Remain, ce qui traduit leur posture historiquement indépendantiste vis-à-vis du Royaume-Uni, au contraire des campagnes anglaises qui ont toujours manifesté leur volonté souverainiste, et du Pays de Galles qui s’est souvent rallié à la position anglaise dans l’histoire.

    -L’érosion du secteur industriel est surtout dû à la politique d’assainissement et de restructuration menée sous Tatcher lors de son mandat de 1979 à 1990, et qui a entrainé la fermeture d’un grand nombre d’usines et un accroissement continue du chômage dans le secteur secondaire avant même l’ouverture commerciale. Ensuite, en ce qui concerne le poids du secteur industriel il est certes moins important en proportion en 2015 par rapport en 1990, mais il faudrait regarder l’évolution en valeur absolue, la base de calcul n’étant pas la même entre les deux périodes et le secteur tertiaire ayant eu une trajectoire de croissance plus forte que le secteur industriel, mais ce qui ne veut pas dire que ce dernier a décliné.

    -Il est dommage de parler du repli protectionniste et du sentiment anti-immigration sans évoquer les accords du Touquet entre la France et le Royaume-Uni (et donc le blocage des réfugiés sur le territoire français), et la campagne de désinformation qui a entouré la campagne des pro-Brexit sur ce sujet.

    -La concentration des richesses au Royaume-Uni dans les centres urbains au détriment des provinces n’explique pas à lui seul le vote de celles-ci en faveur du Brexit. Elle s’inscrit aussi dans la tradition des provinces anglaises en faveur de mesures capitalistes et libérales, comme au XIXème siècle avec l’adoption des Corn Laws et de l’Enclosure Act qui ont été mise en place respectivement pour bénéficier de prix des céréales plus bas avec le libre-échange, et de la protection de la propriété et des bénéfices par les propriétaires terriens. Un état d’esprit qui a souvent été rejeté par les états membres européens, jusqu’à en devenir finalement un de ses fers de lance.

    -De plus, à propos du triangle d’incompatibilité, on peut difficilement dire que les anglais ont sacrifié l’intégration économique, puisqu’ils ont toujours bénéficié d’arrangement pour être le moins intégrée tout en bénéficiant des avantages de l’accès au marché unique et d’un pouvoir de décision dans les instances européennes : pas d’adoption de la monnaie unique, important rabais sur la contribution au budget européen etc…

    -Enfin, le Royaume-Uni a toujours cherché à être indépendant de l’UE, n’y voyant qu’une opportunité économique dans son adhésion et la peur d’être mis à l’écart si elle ne le faisait pas. La construction européenne a davantage été dynamisée par la France et l’Allemagne dans l’idée de former une zone de paix après avoir connu le nazisme et le fascisme, ce que n’a pas connu le Royaume-Uni sur son territoire d’où une idée d’un destin européen qui a toujours eu beaucoup moins de résonance dans la pensée britannique.

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