Les Faits : analyse critique des programmes publics en faveur de l’agriculture au Tchad

Source : http://www.aoc-developpement.org/

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« Depuis que le premier tanker de pétrole tchadien a quitté le port de Kribi, en octobre 2003, je n’ai cessé de dire à mes compatriotes de ne pas perdre la tête, le pétrole étant une matière périssable, tandis que l’agriculture et l’élevage sont nos deux mamelles… ». Ces paroles du Président tchadien Idriss DEBY ITNO lors d’une interview récente accordée au magazine panafricain Jeune Afrique (N°2925 du 30 janvier au 05 février

2017) mettent en évidence les défaillances du gouvernement dans la mise en œuvre de la politique en faveur du développement du secteur agricole. Bien que ce secteur ait bénéficié de ressources publiques conséquentes durant ces 15 dernières années, force est de constater que l’impact de ces dépenses publiques sur la production agricole est faible. Quelle est l’ampleur de ces financements ? Qu’est-ce qui explique cette inefficacité des dépenses publiques dans le secteur agropastoral ? Et quel a été l’impact de ces financements sur la production agricole ? Telles sont quelques-unes des questions qui seront abordées dans cet article.

 

Poids du secteur agricole dans l’économie du pays et performance du secteur

Au cours de la décennie 2002-2012, plusieurs documents de politiques et stratégies de développement du secteur agricole et rural, précisant les priorités du pays et susceptibles d’assurer la relance des activités de productions agricoles ont été élaborées. La faible capacité d’implémentation des politiques publiques explique dans une certaine mesure la faible performance des dépenses publiques agricoles. Ce secteur qui représentait approximativement 40% du PIB a vu sa part dans la production nationale fortement baissé en raison de la hausse de la production pétrolière. Ce qui a profondément modifié la structure de l’économie du pays et en particulier des exportations. En effet, après 2004, la part du secteur agricole dans le PIB du pays représentait en moyenne 27,6% en moyenne entre 2003 et 2012.

Le secteur agricole génère aussi une part significative des revenus d’exportations grâce aux exportations de coton et de bétail (45% des exportations hors pétrole). En termes de répartition, le secteur agricole à lui seul représente 13,2% de la PIB tandis que le sous-secteur élevage 14,4% du PIB en moyenne entre 2003 et 2012. En termes d’importance, il convient aussi de rappeler que 78% de la population du pays réside en milieu rural où l’agriculture constitue la source principale de revenu.

Malgré ce potentiel de croissance considérable, le secteur n’a enregistré qu’une croissance moyenne de l’ordre de 2% entre 2007 et 2011 avec de fortes variations. La croissance dans les autres sous-secteurs est tout aussi faible et stable avec une moyenne de 1,9%. Notons aussi que le rapport entre production céréalière/PIB fluctue énormément avec un taux de croissance de 3,6% tandis que la production agricole industrielle en % du PIB décroit. La baisse de la production industrielle est imputable à la crise structurelle que traverse la CotonTchad société nouvelle ainsi que la baisse de la rentabilité de la Compagnie sucrière du Tchad (ex SONASUT) malgré son rachat par le groupe agro-alimentaire Somdiaa.

Il convient toutefois de rappeler que l’accroissement de la production agricole ces dernières années résulte de l’accroissement des surfaces agricoles plutôt que de la productivité (BM, 2013). Le rapport de la Banque mondiale conclut que les dépenses publiques agricoles ont cru beaucoup plus rapidement que la contribution du secteur au PIB. Ce qui met en exergue des problèmes de gouvernance dans la gestion des fonds accordés aux principaux organismes de ce secteur (PNSA, ONASA, CotonTchad).

C’est ce qui ressort de l’analyse de la figure ci-dessous qui montre que bien que la production céréalière nette soit accrue (33% en moyenne avec une forte variation), elle n’a pu résoudre le problème récurrent d’insécurité alimentaire dans le pays qui s’est accru. En effet, entre 2002 et 2012, le besoin céréalier a doublé passant de 1, 28 million de tonnes pour la campagne agricole 2002-2003 pour s’établir à 1,9 millions de tonnes en 2011-2012 soit un accroissement de plus de 50%.

« Le rapport de la Banque mondiale conclut que les dépenses publiques agricoles ont cru beaucoup plus rapidement que la contribution du secteur au PIB. Ce qui met en exergue des problèmes de gouvernance dans la gestion des fonds accordés aux principaux organismes de ce secteur (PNSA, ONASA, CotonTchad).

 

 

Les cas alarmants du PNSA et de l’ONASA

Plusieurs organismes publics ont reçu des financements en vue d’accroitre la production agricole. Sur la période 2005-2012, trois organismes sous la tutelle des Ministères agropastorales (PNSA, ONASA et COTON Tchad) ont dépensé 85% des ressources publiques consacrées à l’amélioration de la production agricole et de la sécurité alimentaire soit près de 157, 5 milliards de FCFA.

C’est le cas par exemple du Programme National de Sécurité Alimentaire (PNSA) crée en 2005 avec pour objectif d’améliorer la sécurité alimentaire par l’accroissement de la production agricole. C’est dans ce cadre que le PNSA était considéré comme le principal vecteur de l’implémentation de la stratégie sectorielle de développement de l’agriculture au Tchad en vue répondre aux défis de l’insécurité alimentaire en zone rurale et de la lutte contre la pauvreté. Sur la période 2005-2012, cette structure a dépensé 41% des dépenses publiques consacrées au secteur agropastoral (environ 10 milliards de FCFA en moyenne entre 2005-2007). Le PNSA ne réalise pas directement les activités inscrites dans son plan d’action. Il fait le plus souvent appel à des prestataires extérieurs pour l’acquisition de ses intrants agricoles dont des organismes publics tels que l’ONDR, la SODELAC et l’ITRAD. Bien que des rapports d’évaluation des activités du PNSA ne soient pas disponibles au public, le rapport de la Banque mondiale met déjà en exergue des problèmes de gouvernance dans la gestion de ces fonds qui expliquent les performances médiocres de ce programme.

L’Office National de Sécurité Alimentaire (ONASA) a été créé en 2001 pour canaliser et mieux orienter l’aide alimentaire. Avec des dépenses publiques de 4,8 milliards de FCFA sur la période 2005-2012, cet organisme recevait la deuxième grande part des dépenses publiques consacrées au Ministères agropastorales juste après le PNSA pour des résultats tout aussi décevantes.

La 3ème structure bénéficiant d’une part significative des dépenses publiques consacrées aux dépenses agropastorales est la coton Tchad. Cette société connait une situation de crise endémique qui dure depuis plus de deux décennies. (Cf. article d’opinion sur le coton Tchad). Sur la période 2005-2012, cette société a reçu en moyenne 24% des ressources publiques consacrées aux Ministères agropastorales. Ces ressources ont permis à cette société de subventionner les campagnes agricoles sans pour autant améliorer la rentabilité de la société qui demeure toujours déficitaire.

En somme, le rapport de la banque mondiale (2014) aboutit à la conclusion selon laquelle les faibles performances du secteur agropastoral seraient imputables à des carences en matière de gestion budgétaire, à la lourdeur des procédures de passation des marchés publics, au manque de communication entre les bailleurs et les gestionnaires de projet, à la lourdeur des procédures des bailleurs eux-mêmes et aux problèmes de mobilisation de la contrepartie gouvernementale.

« Le rapport de la banque mondiale (2014) aboutit à la conclusion selon laquelle les faibles performances du secteur agropastoral seraient imputables à des carences en matière de gestion budgétaire, à la lourdeur des procédures de passation des marchés publics, au manque de communication entre les bailleurs et les gestionnaires de projet, à la lourdeur des procédures des bailleurs eux-mêmes et aux problèmes de mobilisation de la contrepartie gouvernementale. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les défis du secteur agropastoral

En définitive, les principaux défis pour ce sous-secteur sont de pouvoir mettre en valeur l’important potentiel agricole pour résorber le déficit en produits vivriers et garantir la souveraineté alimentaire du pays. Pour y parvenir, il conviendrait d’agir concomitamment sur plusieurs fronts en améliorant l’accès aux intrants agricoles, en accroissant les projets de contrôle d’eau (barrage de rétention, puits, canalisation, …), en améliorant la productivité agricole ainsi que les infrastructures de transport et de stockage.

Relever ces défis permettra d’améliorer durablement la production agricole. Il conviendrait aussi de mettre l’accent sur les mesures d’adaptation face aux chocs externes tels que la sécheresse, les invasions acridiennes et les inondations qui ont exacerbé l’impact des changements climatiques sur les populations. D’ores et déjà, les effets de ces changements climatiques sont perceptibles (récurrence des conflits agriculteurs/éleveurs ou entre agriculteurs en lien avec l’accès aux terres cultivables, …).

Pour aller loin, …

World Bank, 2014, chad public expenditure review in the agricultural, rural development, and food security sector ministry of agriculture and environment, 90 pages.

PADACKE F., 2016, la filière cotonnière au Tchad, historique, évolution et perspectives, 25 pages.

HAUSWIRTH D., 2006, Diagnostic de la filière coton au Tchad Perspectives et privatisation, Etude, 75 pages.

Auteur : Guy Dabi GAB-LEYBA

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