Interview de Michel Garenne, chercheur et praticien du développement

Tchad Eco a rencontré le chercheur et praticien du développement, le démographe Michel Garenne dans les couloirs de l’école de droit de l’université d’Auvergne en France où se tenait la deuxième journée des 40 ans du CERDI. M. Garenne nous livre ses analyses sur le dividende démographique en Afrique.

 

Tchad Eco : Je suis Aristide MABALI de Tchad Eco. Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?michel-garenne

Michel Garenne (MG) : Je suis Michel Garenne, démographe de profession, Directeur de Recherche à l’IRD, je travaille actuellement à l’Institut Pasteur et j’ai beaucoup de relations avec la FERDI et le CERDI où j’enseigne la démographie depuis près de 16 ans. J’interviens également à l’université du Witwatersrand à Johannesburg où je dirige des travaux de recherches.

Tchad Eco : Je vous rencontre dans le cadre des 40 ans du CERDI. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

MG : C’est formidable d’avoir vu le CERDI croître aussi rapidement, il a vraiment acquis une maturité et une dimension internationale, ce qui n’était pas gagné d’avance. Donc, c’est grâce à Monsieur et Madame Guillaumont que c’est devenu un centre de recherche international incontournable et certainement de très loin le meilleur pour l’Afrique francophone.

Tchad Eco : On ne peut pas parler de développement sans population. Que pensez-vous de dividende démographique dans les pays Africains ?

MG : Le dividende démographique est une question délicate qui comporte plusieurs dimensions. La première évidemment, qui est la plus importante, est la maitrise de la fécondité, c’est-à-dire la baisse de la natalité. Le dividende s’améliore quand la fécondité baisse. Par contre, la baisse de la mortalité a tendance à augmenter le rapport de dépendance. La migration peut jouer un rôle important, très important même dans certains pays. Donc, l’évolution du rapport de dépendance, qui est la clé du dividende, dépend de ces trois dynamiques : fécondité, mortalité et migration.

Dans les pays où la migration joue peu de rôle et où la fécondité est restée élevée, le dividende a plutôt empiré puisque le rapport de dépendance a plutôt augmenté du fait de la baisse de la mortalité, comme c’est le cas du Tchad ou du Niger par exemple. Par contre dans les pays d’Afrique australe où la baisse de la fécondité a été très rapide, le rapport de dépendance a nettement diminué, il est passé environ de 1 à 0.5, pour donner un ordre de grandeur. Cela peut avoir éventuellement un impact économique, mais pas nécessairement. Dans l’impact économique du dividende, il faut bien distinguer l’impact macro de l’impact micro. Au niveau macroéconomique, tout dépend de la structure de l’économie. Par exemple, en Europe quand le rapport de dépendance a diminué avec la baisse de la fécondité aux XIXème et XXème siècles, on a gagné parce qu’on avait des capacités d’épargne importantes et que l’épargne était le principal moteur de la croissance. En Afrique, au niveau macro, le principal moteur de la croissance n’est pas l’épargne, donc à priori l’impact de la baisse du rapport de dépendance (ou du dividende démographique) sur l’économie sera faible parce que l’épargne n’est pas suffisante. Par contre, au niveau micro, c’est-à-dire au niveau des ménages, l’impact du dividende est énorme, puisque pour un chef de ménage, élever 4 ou 8 enfants ce n’est pas la même chose, donc en termes de revenu par tête, évidemment si vous avez 2 fois moins d’enfants votre revenu va augmenter considérablement. Donc, il faut bien distinguer macro et micro. Au niveau macro j’attends très peu d’évolutions positives, par contre au niveau micro, qui d’ailleurs a été très peu analysé, je pense que la maitrise de la fécondité devrait avoir un impact important sur le revenu des ménages, sur leur capacité à soigner les enfants, à éduquer les enfants, et sur de nombreux autres paramètres tout aussi importants.

Tchad Eco : parlant de la maitrise de la fécondité dans les pays africains, on se rend compte que l’investissement dans la santé ne suffit pas, il faut d’autres mesures. Tenant compte de vos expériences de praticien du développement, quels conseils vous pouvez donner aux Etats africains ?

MG : Au niveau de la maitrise de la fécondité en Afrique, il faudrait déjà distinguer radicalement le milieu rural et le milieu urbain. En milieu urbain, on est en train de gagner la bataille car les programmes de planning familial fonctionnent bien. Même au Tchad et au Niger, la fécondité baisse régulièrement en milieu urbain. Par contre, en milieu rural, on a complément négligé les choses, et dans la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest la fécondité a très peu baissé. Par contre, dans les pays d’Afrique australe, on a bien approché le problème du planning familial et on a enregistré des baisses de fécondité très importantes. Dans quelques pays d’Afrique centrale, la baisse de fécondité dans le milieu rural est quasiment négligeable, c’est le cas par exemple de la Zambie, de l’Ouganda, et du Congo. Donc dans ces pays, il reste un problème qui n’a pas été résolu. En milieu urbain, les évolutions sont très positives, mais en milieu rural elles sont souvent négatives.

Tchad Eco : l’expérience contemporaine a montré que les pays asiatiques se sont développés dans les années 1990 grâce au dividende démographique. Cela était conditionné par des investissements importants dans les secteurs sociaux. Pensez-vous que cela pourrait se faire en Afrique ?

MG : il faut bien voir que dans les pays asiatiques, on a assisté à 2 mouvements concomitants : la maitrise de la fécondité et le développement économique. Si on regarde de manière attentive en longitudinal, sur 60 ans (entre 1950 et 2010), la corrélation entre dividende démographique et croissance économique est quasiment nulle. En transversal, c’est différent parce que les pays qui ont investi le plus dans la maitrise de la fécondité sont aussi les pays qui ont mieux réussi leur développement économique. Donc, quand on fait un classement des pays, on trouve toujours une corrélation positive entre dividende démographique et croissance économique. Par contre si on regarde en longitudinal, dans les pays qui ont très bien réussi tels que la Corée du Sud ou Taïwan, les périodes pendant lesquelles le rapport de dépendance est élevé sont des périodes de fortes croissances alors que la croissance a diminué dans les années 2000 quand le rapport de dépendance était plus faible. Et donc en longitudinal la corrélation apparait négligeable.

Tchad Eco : l’actualité oblige. On voit que la structure de la population et la morosité des conditions de marché du travail dans les pays africains font que les jeunes ont tendance à privilégier la migration comme une réponse à cette situation avec des conséquences énormes en termes de vie humaine. Quels commentaires faites-vous ?

MG : Pour les pays du Sahel, y compris le Tchad, la réponse à la pression démographique a été l’émigration, tout simplement parce que le développement économique était très faible. Dans un pays comme le Sénégal, il n’y a pratiquement pas eu de croissance économique. Un pays comme le Tchad a même enregistré une croissance négative pendant des longues années. Si on prend l’ensemble de la bande sahélienne, entre le Tchad, le Niger, le Sénégal, le Mali, le Burkina, et la Mauritanie, environ 4 à 5 millions de personnes sont parties au cours des 50 dernières années. Si les tendances continuent, ce seront plus de 40 millions de personnes qui iront chercher ailleurs, ce qui pose des problèmes majeurs parce que les pays d’accueil traditionnels, Côte d’Ivoire, Afrique du Sud, France, Etats-Unis ne sont pas décidés à recevoir 40 millions de sahéliens. Personne ne sait comment les choses vont évoluer, cela reste donc une question ouverte.

Tchad Eco : Le printemps arabe apparu en 2011 semble être lié au mouvement de jeunes dû au faible développement économique que vous venez d’évoquer. Pensez-vous que ces mouvements peuvent s’étendre à d’autres pays compte tenu de la similarité des structures économiques de nombreux pays africains ?

MG : Il s’agit en effet de la concentration des jeunes qui arrivent sur le marché de l’emploi avec des aspirations extrêmement élevées. On a vu cela en Europe en 1968, en Asie centrale dans les années 1990, et maintenant évidemment dans les pays du Sahel. On doit faire face à un problème considérable, créé par une énorme masse des jeunes qui arrivent sur le marché, qui sont souvent assez éduqués mais qui ne trouvent pas d’emploi. Et donc les solutions auront une dimension politique : soit elles induiront des changements politiques, soit on aura recours à des migrations massives, soit on arrivera à des solutions plus radicales qui peuvent toujours se produire.

Tchad Eco : Merci ce temps accordé à Tchad Eco. Avez-vous un mot de la fin ?

MG : Il est important de réfléchir sur toutes ces questions, d’analyser ce qui s’est passé sur le long terme pour comprendre les processus. Puis il conviendra de mettre en place des mécanismes qui pourront permettre de répondre aux questions qui se posent déjà et qui vont se poser de manière plus aigüe à terme, à l’horizon 2050, en particulier les questions de migration.

Interview réalisée par Dr Aristide MABALI

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