Quelles politiques agricoles pour la soutenabilité de l’économie tchadienne

Les questions énergétiques et alimentaires sont aujourd’hui au cœur des enjeux politiques, économiques et environnementaux dans le monde, du fait des écarts croissants entre une offre limitée et une demande croissante dans ces deux domaines. Ces déséquilibres alimentent une crise généralisée qui frappe les économies africaines et en particulier celle du Tchad.

L’agriculture

Le rôle de l’agriculture dans la croissance économique des pays les moins avancés (PMA) est l’un des thèmes d’actualité les plus débattus dans le monde. Il ressort de ce débat un consensus selon lequel l’agriculture reste un moteur essentiel à la croissance économique, en assurant environ plus de 27 % à la formation du PIB.

Dans ces pays, plus de 80 % de la population vivent en milieu rural. La plupart d’entre elles dépendent directement ou indirectement de l’agriculture pour leur survie. L’agriculture constitue la principale activité économique et occupe une grande partie des populations actives : 40 % à 90 % dans la plupart des cas et près de 70 % de la population active (FAO, 2001). Elle joue un rôle important dans la croissance économique de ces pays et, comme l’affirme Bella (2009), elle est un secteur en amont des autres secteurs d’activités, car elle fournit des ressources nécessaires à leur développement.

C’est également dans le même sens que les physiocrates (Quesnay, 1758 ; Mirabeau 1763 ; Nemours, 1768) ont attribué à l’agriculture un rôle prépondérant dans le développement économique d’une nation. Pour ces derniers, seule l’agriculture est en mesure de dégager un surplus net. Quant à l’industrie et le commerce, ils ne font que transformer la richesse, mais n’en créent pas.

En ce qui concerne le Tchad, après son indépendance en 1960, l’agriculture remplissait son rôle qui était de produire des denrées alimentaires et des cultures de rente (coton, gomme arabique, etc.) destinées à l’exportation. A ce titre, l’agriculture tient sa première place dans l’économie tchadienne. Sa contribution à la formation du PIB a toujours été supérieure à 20 %.

La première contribution du secteur agricole, y compris l’agriculture vivrière et commerciale, l’élevage et la chasse, la pêche, et la sylviculture, représentait environ 40% du PIB national jusqu’en 2004. C’est aussi un grand pourvoyeur d’emplois qui occupe les 2/3 de la population active du pays dont plus de la moitié est composée de femmes. La seconde contribution fondamentale de l’agriculture est la production d’aliments qui constitue une réponse immédiate aux questions de l’insécurité alimentaire et de la pauvreté particulièrement importante en raison des pénuries alimentaires récurrentes que connaît le Tchad. La troisième contribution de l’agriculture à la croissance générale concerne la fourniture de matières premières aux industries agroalimentaires du pays (PNSA, 2012). Mais l’émergence du secteur pétrolier en 2003 a considérablement modifié le contexte économique en offrant au pays de nouvelles opportunités de diversifier les leviers de sa croissance économique. On constate également que cette modification a été accentuée par le phénomène du changement climatique et de la baisse de la fertilité des sols.

En effet, depuis plusieurs décennies, cette agriculture considérée comme le moteur de l’économie nationale connait quelques difficultés liées aux facteurs institutionnels, politiques et structurels malgré quelques réformes en vue de redonner à l’agriculture son rôle historique. Le secteur agricole, n’a enregistré qu’une croissance annuelle moyenne de 2% entre 2007 et 2011 marquée par de fortes fluctuations avec un minimum de -14% en 2011 et un maximum de 27% l’année précédente. L’année 2011 a été marquée par des aléas climatiques (sécheresse, baisse de la pluviométrie, variabilité climatique) qui ont considérablement affecté la production agricole. La croissance du sous-secteur de l’élevage, pêche et sylviculture a été relativement plus stable durant la même période avec une moyenne annuelle de 1,9%. En revanche, le PIB de l’agriculture vivrière a subi de fortes fluctuations à la hausse et à la baisse avec un taux de croissance annuel moyen de 3,6%, alors que le sous-secteur de l’agriculture industrielle a vu son PIB se contracter.

Conscients de ces difficultés, les gouvernements qui se sont succédé au Tchad ont procédé à des réformes en vue d’assurer la sécurité alimentaire au pays. C’est ainsi que par exemple, le gouvernement a adopté en avril 2013 une politique et stratégie nationale de développement de l’agriculture dont l’un des objectifs est de contribuer durablement à la croissance économique. Le secteur agricole ainsi demeure la clef pour l’atténuation de la pauvreté.

Par ailleurs, le pays est sujet aux chocs exogènes tels que les sécheresses et inondations exacerbés par l’impact du changement climatique, les invasions acridiennes, et les conflits occasionnant des mouvements internes et transfrontaliers des populations. Ces chocs exposent la population à des situations de famine récurrentes. L’agriculture est l’un des leviers clés pour la transformation structurelle de l’économie et la croissance grâce à sa contribution graduelle à la sécurité alimentaire et nutritionnelle. Ainsi pour restaurer à l’agriculture son rôle historique, il faut promouvoir et mettre en œuvre des politiques agricoles basées sur des preuves. Ce qui exige la collecte de données et d’informations de bonne qualité pour suivre les performances et les progrès des politiques et programmes. Une analyse précise de ces données et informations est ensuite faite pour prendre des décisions, sélectionner des options réalistes et crédibles et orienter les politiques, programmes et stratégies. Un passage à revue des conclusions et des recommandations du document de la Revue diagnostique des dépenses publiques de base dans le secteur de l’agriculture, du développement rural et de la sécurité alimentaire permettra d’évaluer les actions réalisées et non réalisées. En d’autres termes :

Renforcer la liaison entre l’agriculture et le secteur moderne

De nombreuses mesures s’imposent pour assurer une liaison de l’agriculture vers l’industrie :

  • Transformation des produits de base

Il y a nécessité de promouvoir une transformation locale plus accrue des produits de base. Cette proposition n’a rien d’original, elle est évoquée depuis des décennies dans les analyses économiques du Tchad. La transformation des produits de base donne une plus grande valeur ajoutée au produit, et donc augmente la richesse créée. En même temps, il y a création d’emplois. L’exportation des produits de base à l’état brut contribue à la détérioration des termes de l’échange.

  • Appui à la création des agro-industries

L’industrie alimentaire est l’une des industries utilisant les produits agricoles. Les importations alimentaires se sont fortement multipliées au Tchad. Des mesures incitatives doivent être mises en place pour permettre l’essor des agro-industries locales utilisant la matière première issue du secteur agricole. Avec l’essor considérable des agro-industries, la structure de la demande à l’agriculture serait modifiée afin que le secteur agricole serve de secteur en amont des autres secteurs d’activité.

  • Création des industries pour les intrants agricoles

La cherté des engrais et autres intrants agricoles reste un problème récurrent pour les agriculteurs tchadiens. Une industrie locale permettrait de réduire les coûts d’accès à ces intrants.

Développer le secteur agricole

  • Moderniser l’agriculture

L’économiste P. HUGON constate qu’en Afrique, l’augmentation de la production agricole est généralement plus due à une augmentation de la surface cultivable qu’à une amélioration des rendements, se traduisant par une agriculture plus extensive qu’intensive. L’agriculture utilise très peu de capital. Les exploitations utilisant plus de capital sont les grandes exploitations dont la production est vouée à l’exportation. Ainsi, Il y a urgence d’améliorer la productivité agricole par une augmentation de l’intensité capitalistique et technologique.

  • Procéder à une réforme agraire

La Terre est un facteur de production crucial dans l’activité agricole. L’attribution des terres cultivables doit se faire en faveur de ceux qui ont la capacité de les mettre en valeur et les droits des propriétaires fonciers doivent être davantage protégés. L’application du droit coutumier expose souvent les entrepreneurs à des expropriations abusives. Dans un tel contexte d’incertitude, l’investissement dans le secteur agricole devient risqué.

  • Investir dans l’agriculture

Les États africains s’étaient engagés à fournir 10 % de leur budget à l’agriculture. Ce chiffre n’est pas encore atteint. Or les problèmes dans le secteur agricole sont nombreux notamment la cherté des engrais et autres intrants, l’insuffisance des moyens de conditionnement en particulier pour les cultures vivrières.

L’ENERGIE

Ce secteur joue un rôle transversal dans la mise en œuvre des politiques publiques de développement. Cependant un diagnostic effectué par le FMI en 2008 sur la situation en énergie électrique des pays de la CEMAC nous démontre que les infrastructures en Afrique demeurent largement insuffisantes, de sorte que le décalage entre l’offre et la demande ne cesse de se creuser. Dans l’UEMOA, l’écart négatif entre l’offre et la demande exprimée atteignait entre 205 et 324MW en 2008, soit presque la totalité de la capacité électrique installée au Sénégal. Dans la CEMAC, l’écart entre l’offre et la demande est 190 à 270MW, soit plus de deux fois la puissance totale installée du Congo.

Le taux d’accès à l’électricité est très faible: 15% en CEMAC et 17% en UEMOA (contre 24,6% en moyenne en Afrique Subsaharienne et 37,4% en moyenne dans les pays à faible revenu hors Afrique). Les taux d’accès montrent des disparités entre pays. Ainsi, dans la zone CEMAC, le Gabon (70%) se distingue nettement du Cameroun (22%), de la RCA (2%) et du Tchad (1%). De même en UEMOA, la Côte d’Ivoire (60%) et le Sénégal (40,7%) présentent des taux d’accès très supérieurs au ceux du Burkina Faso (17%), du Mali (14%), de la Guinée Bissau (8%) et du Niger (7%).

Dans ce diagnostic il importe de remarquer la prise en compte des ressources énergétiques telles que le pétrole et le gaz, mais sur le plan de la production d’électricité à base d’énergies renouvelables, les pourcentages ici présentés sont nettement différents.

En corollaire, l’accès à l’électricité reste un phénomène urbain, c’est-à-dire limité aux grandes villes et accessoirement aux petites villes et villages. Par exemple, au Cameroun et au Congo, seulement 14% de la population rurale à accès au réseau contre 40% et 25% de la population urbaine, respectivement. Même en Côte d’Ivoire, qui présente le taux d’accès à l’électricité en milieu rural le plus élevé, celui-ci ne s’élève encore qu’à 15%. Dans d’autres pays, la population rurale est de fait coupée de l’accès à l’électricité, par exemple en Guinée Bissau (2%), au Mali (1%) et au Niger (0,3%). Ainsi comparativement aux autres pays particulièrement à ceux de la zone CEMAC, le taux d’accès à l’électricité au Tchad est très faible, ceci constitue donc un facteur limitant au développement économique et social pourtant l’analyse économique du secteur montre que le pays est riche en sources d’énergies renouvelables (l’énergie solaire, la biomasse constituée de la production annuelle de bois et autres matières ligneuses, etc.). Outre, les cinq Etats de la CEMAC (le Cameroun, le Gabon, le Congo, la République Centrafricaine et la Guinée équatoriale), dotés d’une importante ressource en hydro énergie, pourraient optimiser l’exploitation de cette ressource et fournir le Tchad, en construisant un réseau régional planifié dans le cadre du Pôle Energie de l’Afrique Centrale. Pour résoudre significativement ces handicaps, il faut une parfaite disponibilité d’énergie en quantité et qualité suffisantes ; avoir un prix de l’électricité parmi les plus bas de la sous région pour soutenir la compétitivité économique et faciliter l’accès à l’électricité au monde rural à plus de 95% d’ici 2030. Pour ce faire, l’élaboration d’une stratégie énergétique de développement qui consiste tout d’abord à estimer le taux de croissance de la demande en énergie électrique par rapport à l’offre, le coût du kilo watt chez le consommateur, l’évolution des programmes d’électrification rurale et urbain visant à déterminer le taux d’électrification rurale des régions et le niveau des infrastructures électriques sur l’ensemble du territoire. Toutes ces opérations visent à effectuer des prévisions et une planification nationale dans le secteur énergétique afin d’estimer une comptabilité énergétique, entreprendre des opérations d’efficacité énergétique ou une modernisation du réseau électrique local ou national.

Certes, le Tchad connaîtra dans les années à venir un véritable boom de développement économique et social avec la réalisation de grands chantiers déjà lancés ou programmés : la modernisation de l’agriculture, la redynamisation de l’industrie, la transformation des matières premières, l’extension et la multiplication des infrastructures et la construction de nouvelles villes, les besoins en diverses formes d’énergie vont croître.

Dans la volonté d’assurer une meilleure adéquation entre l’offre et la demande d’électricité, le Tchad doit étudier des scénarios de développement des infrastructures dans le secteur de l’énergie électrique à horizon 2030, favorisant respectivement le jumelage entre les énergies renouvelables et non-renouvelables. La nouvelle stratégie énergétique nationale déclinée en plans d’action à court, moyen et long terme visant à relever les défis dans le secteur de l’électricité, devrait avoir pour objectifs majeurs d’assurer la sécurité d’approvisionnement et la disponibilité en énergie sur tout le territoire, l’accès généralisé à l’énergie à des prix raisonnables, la maîtrise de la demande, l’introduction des nouvelles technologies dans le but d’effectuer des économies, l’énergie électrique à travers une stratégie d’efficacité énergétique dans différents secteurs (résidentiel et tertiaire, industriel, des transports) et la préservation de l’environnement. La mise en œuvre d’une politique résolue d’efficacité Energétique, véritable devrait être un axe prioritaire de la stratégie énergétique du Tchad si elle est élaborée selon les objectifs du développement durable.

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