Glencore et la crise de trésorerie au Tchad: décryptage de trois deals polémiques

Inauguration des champs pétroliers de Badila en juin 2013

Arriérés de paiement des factures des fournisseurs, retard dans le paiement des salaires des fonctionnaires, baisse du prix du pétrole, gel de la plus part des projets d’investissement publics …. Quel est le dénominateur commun à ces trois évènements ?

Inauguration des champs pétroliers de Badila en juin 2013
Inauguration des champs pétroliers de Badila en juin 2013

L’une des réponses à cette question peut-être surprenante en soi car il faut remonter à trois ans en arrière, c’est-à-dire en 2012 pour avoir le début des éléments d’explications. Il s’agit de trois contrats conclus entre la Société des Hydrocarbures du Tchad (SHT) et la multinationale Anglo-Suisse Glencore et garanti par l’Etat. La conclusion de ces contrats a entrainé une « répartition des cartes » dans le secteur pétrolier tchadien jusqu’ici dominé par le consortium EPPCI constitué d’Exxon Mobil, de Chevron et de Petronas. Elle est aujourd’hui un acteur incontournable de l’amont pétrolier du fait de son rôle d’intermédiaire dans la vente du brut de la SHT d’une part et comme opérateur dans le cadre des contrats de partage de production avec la SHT pour les champs de Badila et Mangara au sud du pays.

Afin de comprendre le poids que représentent ces contrats pour l’avenir du secteur pétrolier tchadien et ses conséquences sur les finances publiques notamment, il est utile de décrypter minutieusement ces transactions au bénéfice des tchadiens.

Les mutations du secteur pétrolier en chiffres
Septembre 2012 : Achat de 25% du capital de Griffiths Energy qui exploite les champs de Badila et Mangara pour 300 millions de $.
Mai 2013 : Prêt de 600 millions de $ remboursé par des prélèvements de 70% des recettes pétrolières au taux d’intérêt de 6,625% majoré du Libor.
Avril 2014 : Rachat de 100% du capital de Caracal par Glencore pour 1,3 milliards de $.
Juin 2014 : Prêt de 1,3 pour le rachat de 25% des parts de Chevron dans le consortium de Doba et de 21,54% du capital de TOTCO et 21,26% du capital de COTCO.
En 2013 : Recettes pétrolières représentaient 70% des recettes budgétaires, 90% des exportations et près de 30% du PIB nominal (FMI, 2014).

 

1er deal : Prise de participation suivie du rachat de Caracal pour les champs de Badila et Mangara

C’est en 2011 que Glencore fait son entrée au Tchad en rachetant à la société canadienne Griffiths Energy, 25% de sa participation dans les champs de Badila et Mangara pour 300 millions de $. 2 ans après, en Avril 2014, elle a signé un nouvel accord avec Griffiths Energy redevenu Caracal. Selon les termes de ce nouvel accord, elle reprend la totalité des actions de Caracal pour 1,3 milliards de $. Cet accord lui permet de développer ces champs couvrant une zone de 29 km2 pour Badila et 71 km2 pour Mangara. Il convient de noter que Griffiths Energy après avoir reconnu des actes de corruption au Tchad a changé de nom pour devenir Caracal Energy.

Les travaux de développement du champ de Badila ont été réalisés par Griffiths Energy avant son rachat par Glencore. L’exploitation a débuté en Juin 2013 avec une production estimée à 25 000 barils par jour pour un investissement de près de 300 millions de $. Cependant, la production de ce champ est actuellement plus faible et est estimée à 14 000 barils par jour.

Inauguré en février 2015, le champ de Mangara quant à lui produira d’après les estimations de Glencore 600.000 barils par jour soit 2 millions de barils par an repartie sur huit puits.

2ème deal : Contrat entre la SHT et Glencore pour la vente du brut tchadien

Glencore a joué un rôle d’intermédiation en devenant le trader de la SHT grâce à un accord signé en Septembre 2012. Les termes de cet accord prévoient que Glencore achète 100% de la part de la redevance en nature reversée par le consortium de Doba. D’après le bimensuel d’information confidentiel en ligne (Africa Intelligence), les termes de l’accord prévoient que la SHT commercialise directement 12,5% du débit total des trois champs initiaux (Komé, Miandoum et Bolobo) ainsi que les 14,25% des champs satellites (Nya, Timbré et Mainkéri).

Le 7 Mai 2013, un autre prêt gagé sur la livraison à terme du brut a été signé (approuvé en Aout 2013). Cette convention de prêt d’un montant de 300 millions de $ relayée par un avenant qui porte le montant à 600 millions de $ permet à Glencore de se rembourser par des prélèvements de 70% des recettes pétrolières au taux d’intérêt de 6,625% majoré du Libor.

D’après un rapport de l’Institut pour la Gouvernance des Ressources Naturelles (NRGI) paru en juillet 2014, ce prêt correspondait à 16% des recettes totales du gouvernement en 2013. Une grande partie de cet emprunt a été déjà remboursé avant la chute du cours du brut à partir de juin 2014.

3ème deal : Rachat des actifs de Chevron par la SHT

D’un montant relativement plus important, le 3ème deal conclu le 12 juin 2014 porte sur un prêt d’un montant de 1,3 milliards de $. Cette somme a permis à la SHT de racheter les 25% de la participation de Chevron dans le projet de Doba. Ce prêt non concessionnel accordé par Glencore avec le concours de 4 banques (Credit Agricole SA, Deutsche Bank AG, Natixis SA et Societé Générale SA) a été justifié comme opération permettant l’acquisition d’un actif stratégique générateur de revenus. Le remboursement de ce prêt était prévu sur les 4 prochaines années sous forme de livraison de brut à Glencore.

En plus de l’acquisition de 25% du consortium de Doba, le deal a permis à la SHT d’acquérir des participations dans les deux sociétés de gestion du pipeline soit 21,54% du capital de TOTCO et 21,26% du capital de COTCO.

Les raisons du départ de Chevron

Le rachat des parts de Chevron dans le consortium de Doba a suscité beaucoup d’interrogations de la part d’analystes du secteur ainsi que des ONG spécialisées dans les industries extractives. L’une des questions qui revenait souvent est pourquoi Chevron a décidé de quitter le Tchad ? A cette question, plusieurs arguments non vérifiables sont évoqués. Cependant, le plus plausible est la baisse de la production dans le bassin de Doba. La production est passée d’une estimation de 225 000 barils/jour, à une production réelle de 173 000 barils/jour en 2005, pour retomber à 83 014 barils/jour en 2013. Cette baisse de la production couplée à une hausse des investissements pour le maintien du niveau de production (nouveaux forages de puits) a entrainé une réduction de la rentabilité du projet.

Rééchelonnement de la dette publique dans un contexte de crise de trésorerie

Comme nous l’avons noté plus haut, les deux prêts ont exacerbé la crise de trésorerie résultant de la baisse du prix du pétrole. Ainsi, bien qu’ayant été remboursé dans sa majeure partie, le prêt de 600 millions de dollars a dû être renégocié compte tenu du fait qu’il ne permettait pas au pays de satisfaire aux conditions qui lui permettrait d’atteindre le point d’achèvement de l’IPPTE. En effet, le gouvernement avait proposé une renégociation des termes de remboursement de ce prêt dont les principaux avenants concernent la baisse de la part des cargaisons du brut consacrée au remboursement du prêt ( passer de 70% à 35%), baisser le taux d’intérêt (passer de 6,625 à 3,75 ou 4%) et rallonger la durée de maturité du prêt de 20 à 60 mois.

L’ambassadeur américain au Tchad James Knight dans une interview citée par Bloomberg estime que le rééchelonnement de cette dette était « la pièce fondamentale nécessaire» permettant au pays d’atteindre en Avril dernier le point d’achèvement de l’IPPTE avec à la clé un allègement de dette d’environ 1,1 milliard $.

En ce qui concerne le prêt ayant servi à la prise des participations par la SHT, dans une interview, le Ministre des Finances et du budget a confirmé que les clauses du contrat (nom de code Projet Badoit) prévoyaient la possibilité d’une baisse du cours du brut (Bloomberg, 2015). Ainsi, la possibilité d’un délai de remboursement supérieur à 4 ans a été bien prise en compte. D’après le FMI (2015), ces dispositions ont permis au gouvernement de renégocier l’allongement de la maturité de l’emprunt qui a permis au pays d’épargner 400 millions $ (150 millions $ au titre du service de la dette et 250 millions de revenus additionnels).

Période des vaches maigres en perspectives

En 2015, les recettes pétrolières devraient continuer de baisser, étant donnée l’incidence de la chute des cours du pétrole sur la totalité de l’exercice budgétaire. Ainsi, le budget 2015 (Loi de Finance Initiale) reposait sur une stabilité du prix du baril à 65 dollars. Il prévoyait déjà un recul des dépenses publiques avec une baisse de 20 % des investissements et transferts, une baisse de 50 % des dépenses de biens et services par rapport à la Loi de Finance de 2014 et un déficit de financement de 177 milliards de FCFA.

Ce déficit s’est encore exacerbé avec la Loi de Finance Rectificative à hauteur de plus de 412 milliards F CFA. Compte tenu de cet important besoin de financement, début septembre, les principaux partenaires techniques et financiers du Tchad se sont engagés à lui apporter un appui budgétaire de 71 milliards F CFA. D’après Cyr Djiena Wembou, Représentant résident de la BAD, en plus de ces contributions, le FMI apportera, en novembre prochain, un autre appui de 24 milliards F CFA (JournalduTchad.com, 2015). Il révèle que d’autres appuis budgétaires de montant plus élevés interviendront en 2016.

Perspectives du secteur à moyen terme

En raison de la baisse du prix du brut, Glencore a annoncé le 13 août dernier des nouvelles coupes dans ses dépenses d’investissements ainsi que des dépréciations sur ses actifs au Tchad (790 millions $). Elle prévoit entre autres de réduire le nombre d’installations de forage en activité. Cela va se traduire par une baisse de la production pétrolière. Déjà la plupart des sous-traitants du secteur ont commencé à licencier du personnel depuis la fin de l’année 2014 et les explorations ont pratiquement baissé.

En termes de répartition, en 2014, la production était assurée à 46% par le consortium Esso. Avec 33% de la production, la SHT s’affirme de plus en plus comme un acteur majeur du secteur pétrolier. Sa production provient des redevances, de sa participation dans le consortium de Doba et du Profit Oil dans le cadre du contrat de partage de production pour les champs de Badila et Mangara. Suivent ensuite la CNPCIC et Glencore avec respectivement 13% et 8%. D’après les statistiques du Ministère du pétrole et de l’Energie, la production totale du pays en 2014 se situait à 38, 72 millions de barils.

exportations
Source : Ministère du Pétrole et de l’Energie

Une plus grande transparence dans la conclusion des contrats de vente du brut

Il ressort de cette analyse qu’il règne une certaine opacité dans la conclusion des prêts gagés sur le pétrole. Bien que l’on puisse comprendre le caractère secret des négociations, une plus grande transparence est nécessaire afin de prévenir des risques de corruption. Il n’y a rien d’intrinsèquement mal à choisir un intermédiaire pour vendre le brut pour le compte de petits producteurs ne disposant pas d’une expérience dans le trading. Toutefois, la prudence est nécessaire surtout dans des situations où des actifs sont cédés dans une totale opacité, de façon discrétionnaire et cela dans un contexte marqué par le non-respect des règles de droit et de corruption répandue.

Une plus grande concurrence à travers des appels d’offres est nécessaire. Le gouvernement tchadien devrait promouvoir la transparence dans la sélection des intermédiaires qui commercialisent son brut. Cela permettrait de conclure de meilleurs accords tout en optimisant la rente du gouvernement.

 1017066_546409012086242_115324617_n A propos de l’auteur : Doctorant au Centre d’Etudes et de Recherche en Developpement International (CERDI) et élève du Cycle International Long de l’Ecole Nationale d’Administration de France (ENA), Guy Dabi GAB-LEYBA a travaillé à la Direction Générale du Budget du Ministère des Finances et du Budget où il était en charge des prévisions et des études économiques.Il est rédacteur en Chef-Adjoint du Journal Tchad Eco et Commissaire aux Comptes du CROSET.

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