Réussir une réforme économique: un challenge pour les pays en développement

Le rôle de l’Etat comme prestataire de services a été unanimement admis par les différents courants économiques. Ce rôle semble moins tenu par les Etats dans les pays en développement (PED). Pourtant, s’il existe des pays où le rôle de l’Etat en tant que prestataire de services doit être prépondérant, c’est bien dans les pays pauvres et ce compte tenu de la multiplicité des défaillances qui auto-entretiennent la pauvreté. Ceci exprime donc un besoin réel d’implémenter des réformes économiques en mesure de juguler cette situation de vulnérabilité.
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Parmi les prescriptions des institutions internationales en faveur du développement de ces pays figurent au premier rang des réformes structurelles (Birdsall et Torre, 2001; Merlevede, 2003). Le retournement idéologique opéré au début des années 80s, connu sous le nom de consensus de Washington, fait partie des réformes les plus importantes expérimentées par les PED. Ces réformes se distinguent des politiques macroéconomiques et visent à influer sur la trajectoire d’une économie à long terme en modifiant sa structure.


Cependant, l’implémentation des réformes engendre des coûts politiques et économiques répartis inégalement entre les groupes sociaux (Fernandez et Rodrik, 1991; Alesina et Drazen, 1991). Une illustration parfaite vient du modèle de guerre d’usure où malgré la nécessité de procéder à des réformes, aucun groupe n’est prêt à les engager de peur de supporter à lui seul leurs coûts (Alesina et Drazen, 1991). De ce fait, la tâche la plus importante en économie politique des réformes est de trouver un paquet de réformes qui a une faible probabilité d’être abandonnée (Alesina et Drazen, 2001; Campos et al., 2010). Au-delà des débats doctrinaux et de souveraineté nationale relative à l’autonomie dans la conduite des politiques économiques, l’incapacité des PED à implémenter des réformes suggère d’identifier les déterminants de succès et d’échec des réformes dans ces pays.Sans titreLes réformes au Tchad : Le cas de l’administration publique

Au Tchad, le besoin de réformer l’administration publique date de depuis le milieu des années 90s. Ces réformes sont motivées par le constat que l’administration publique est inefficace, suggérant la nécessité impérieuse de la réformer afin de la rendre plus performante. La vue synoptique de ces réformes suggère que la lutte contre la corruption constitue leur leitmotiv.

Cependant, le pays n’a pas échappé à l’épineuse question de comment réussir les réformes. Certaines ont pu résister au renversement et ont produit des effets indéniables, d’autres par contre ont eu une espérance de vie égale au temps que son initiateur passe au gouvernement ou encore le temps d’un effet d’annonce.

Sans titreRéformer : une histoire des perdants et des gagnants

Tout choix économique (libéralisation commerciale, adoption d‘une nouvelle technologie, privatisation), donne lieu à des gains (taille du gâteau augmente), car c’est l’objectif recherché. Toutefois, ce choix entraine une redistribution du gâteau. Par exemple, la décentralisation est une réforme qui oblige l’Etat à fragmenter ses prérogatives et à introduire plus de concurrence et de contre-pouvoirs. Surtout, les responsables centraux sont contraints à déléguer l’exécution du budget de leur département aux responsables locaux. Autrement dit, il s’agit de renoncer aux rentes que pourraient générer l’exécution du budget à travers la passation des marchés publics. Un autre exemple est une politique de libéralisation commerciale qui, en augmentant le revenu national, va supprimer les rentes des détenteurs de licence d’importations et réallouer une partie de ces rentes vers ceux qui n’en détenaient pas avant ladite réforme.

Ainsi, deux groupes naissent suite à une réforme : le groupe des perdants et celui des gagnants. La réussite ou l’échec de toute réforme repose donc en grande partie sur le pouvoir respectif des gagnants et des perdants. Dans ce contexte, si les perdants de la réforme sont plus nombreux et/ou plus forts que les gagnants, il va sans dire que le risque de voir la réforme échouée est élevé (Fernandez et Rodrik, 1991).

Les réformateurs doivent faire face à deux types de contraintes politiques :

  • des contraintes de faisabilité/ ex ante : elles peuvent bloquer le processus de décision et empêcher les réformes d’être adoptées ;
  • des contraintes ex post : elles sont liées aux effets de retour et au renversement politique une fois que les réformes ont été mises en place et que se produisent leurs premiers effets.

Le risque de renversement d’une réforme est accentué par l’incertitude sur l’identité des perdants et des gagnants. En effet, en présence d’asymétrie d’information, certaines réformes peuvent rencontrer l’opposition d’une majorité empêchant leur mise en place alors que ces réformes n’auraient pas eu d’opposition majoritaire si elles avaient été faites. Aussi, le pouvoir d’engagement du pouvoir réformateur est un élément clé dans l’implémentation des réformes dans ce sens où si ce dernier est faible, non seulement les perdants feront échouer ladite réforme, mais l’incertitude devient plus grande. Ce qui accroît l’incohérence temporelle, expression désignant le fait que le pouvoir réformateur ne respecte pas ses engagements ou n’ait pas la capacité de faire respecter ses engagements au prochain pouvoir.

Comment réussir une réforme ?

L’économie politique apporte des éléments de réponse pour réussir une réforme. Deux approches sont utilisées en économie politique des réformes : approche normative et approche positive.

L’approche normative répond à la question comment relâcher les contraintes politiques pour que les réformes puissent être promulguées ? Elle s’intéresse à la prise de décision des décideurs/réformateurs et le fait que ces derniers soient soumis à des contraintes politiques. Un exemple de contrainte politique est le fait qu’un gouvernement soit renversé par les groupes de pression (perdants de la réforme). De ce fait, le respect des quatre prescriptions suivantes est nécessaire :

La manière de présenter la réforme : il s’agit de proposer un paquet de réformes qui donne des compensations aux perdants. Autrement dit, il est question de verser des transferts aux perdants pour « acheter leur accord », c’est un moyen de faciliter la mise en place des réformes. Bien entendu cela engendre des coûts à court terme qu’il faut comparer aux bénéfices de long terme de ladite réforme.

Privilégier le gradualisme à la thérapie du choc : en raison d’asymétrie d’information sur les perdants et les gagnants, il est conseillé de promulguer les réformes graduellement. A ce niveau, la littérature économique met en opposition le cas de la Chine, adepte du gradualisme et les pays de l’ex-URSS, partisans de la thérapie du choc. La réussite économique de la Chine corrobore, d’après cette littérature, la supériorité du gradualisme sur la thérapie du choc. Le gradualisme abaisse le coût de l’expérimentation et permet de rendre le statut quo moins acceptable par la majorité. La difficulté liée à cette solution est relative au pouvoir d’engagement du pouvoir car il n’est pas en mesure de faire accepter des transferts faisant office de compensation au prochain pouvoir. Aussi, elle présente un gain d’efficacité moindre que les réformes promulguées ensemble.

Mise en place des institutions qui rendent crédibles l’engagement à fournir des compensations : des institutions créées par voie des urnes sont susceptibles de rendre crédible les engagements contrairement à celles qui relèvent du pouvoir discrétionnaire.
Arrêter un calendrier de mise en œuvre : le meilleur moyen de créer l’irréversibilité est souvent de définir des blocs de réformes avec un calendrier ou des séquences et des transferts de compensation de façon à créer des appuis.

L’approche positive de la réforme se propose d’analyser les conflits entre groupes d’intérêts induits par ladite réforme. Le but est moins de fournir des recommandations politiques que d’essayer de comprendre l’évolution des rapports de pouvoir entre les groupes d’intérêt. Ainsi, la première étape à toute réforme est l’identification de toutes les parties prenantes, chacune avec son rôle et son degré d’implication.

Quelques politiques économiques

Leçon 1 : Le concept de “crisis-induces-reform hypothesis” soutient l’idée que les réformes sont induites par les conjonctures économiques difficiles. D’après cette hypothèse, la conjoncture difficile que traversent les pays exportateurs de pétrole pourrait être un catalyseur pour implémenter des réformes allant dans le sens de la diversification de ces économies. Dans le même ordre d’idée, le changement à la tête de la douane tchadienne obéît à cette logique si et seulement si ce changement est suivi d’effets à long terme. Les crises économiques sont considérées comme les prérequis pour les efforts vers les réformes (Bates and Krueger, 1993).

Leçon 2 : Le rôle important de la volonté politique dans la réussite d’une réforme. Raballand et al. (2009) suggèrent qu’indépendamment de sa qualité, la réussite d’une réforme douanière dépend de la volonté des dirigeants. James T. Walsh écrit que « bien souvent, ce n’est pas l’argent, mais la volonté d’agir qui fait défaut » (Walsh, 2008). Cette hypothèse semble proche de la pratique, par contre, son implémentation semble moins facile car la volonté politique est endogène, suggérant qu’il faut d’abord intéresser la classe dirigeante. Ceci est corroboré par l’inertie observé dans les institutions économiques et politiques.

Leçon 3 : Le rôle facilitateur des apports extérieurs a été mis en exergue dans la littérature. L’idée principale est que ces apports pourraient réduire les coûts des réformes en dédommageant les perdants. Suivant cette logique, les partenaires techniques et financiers, sous prétexte que les objectifs à atteindre sont souvent identiques, peinent à tenir compte des singularités de chaque pays et préconisent des mesures génériques qui s’avèrent régulièrement inefficaces. D’ailleurs l’échec des aides conditionnelles s’explique en partie par la non prise en compte du contexte local et de la non appropriation des réformes par les intéressés.

Leçon 4 : La décentralisation offre un meilleur cadre pour réussir l’implémentation graduelle des réformes politique et économique. Ces réformes, mises en place globalement, auraient échoué (Adamolekun, 1999). En effet, le gradualisme abaisse le coût de l’expérimentation et permet de rendre le statut quo moins attractif dans le temps dans le sens où il peut avoir des interactions entre les collectivités décentralisées. Cela veut dire que si une réforme réussit dans une juridiction décentralisée, rendant le statu quo moins attractif, les autres juridictions peuvent s’approprier de ladite réforme.

Aristide MABALI

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