Absence de la complémentarité et la diversification des échanges commerciaux en zone CEMAC

Le siège de la Cemac à Bangui en RCA

Les pays membres de la CEMAC mettent en œuvre depuis quelques années, des réformes structurelles pour améliorer le cadre régional économique en vue de renforcer l’intégration sous régionale et de soutenir une croissance durable. A cet effet, les Etats sont censés adopter une politique de promotion des échanges commerciaux intra-CEMAC, vecteur important d’une intégration régionale réussie. Cette politique insiste sur la complémentarité et la diversification. En quoi la complémentarité et la diversification des produits pourraient constituer des atouts à l’accroissement des échanges commerciaux au sein de cette sous-région et comment cela impacterait la consolidation de l’intégration ? Nous nous proposons de répondre à ces interrogations sur la base d’un examen des problèmes liés aux effets de la complémentarité et de la diversification en zone CEMAC.

Le siège de la Cemac à Bangui en RCA
Le siège de la Cemac à Bangui en RCA

Il convient de rappeler au préalable qu’en 1980, les représentants des États africains réunis à Lagos au Nigeria avaient adopté un plan dit « Plan de Lagos » qui comporte des actions en faveur d’une politique de complémentarité et de diversification économique. Cependant, en dépit de l’importance particulière accordée aux schémas de libéralisation commerciale comme outil d’expansion des échanges intra-communautaires, ces schémas ont connu une mise en œuvre contrastée d’une sous-région à l’autre. Alors que certaines Communautés Economiques Régionales (CER) s’attèlent encore à mettre en place leur zone de libre-échange (ZLE), d’autres sous-régions ont réussi à atteindre le stade de l’union douanière avec un Tarif Extérieur Commun (TEC) plus ou moins opérationnel. Dans bien de cas, les échanges entre pays en développement et surtout l’Afrique, sont négligeables et ne représentent qu’une faible part du commerce extérieur total du pays.

Les notions de complémentarité et de diversification

Cela signifie-t-il que des structures économiques, en particulier celles des pays membres de la CEMAC n’ont pas les complémentarités ou les diversifications requises pour que les échanges se développent? Pas nécessairement à notre entendement. En effet, les recherches et travaux empiriques menés par certains auteurs (Hammouda et al. 2006) sur le terrain ont montré que le commerce entre PED a un potentiel d’expansion, qui constitue une base importante pour instaurer entre eux une coopération économique fondée sur des potentialités de commerce et d’investissement mutuellement bénéfiques.

Il existe deux formes de complémentarité : la complémentarité commerciale qui est une résultante des exportations et des importations et la complémentarité productive qui est caractérisée par les excédents de production d’un pays ou d’une région. On peut donc sur le plan empirique différencier deux approches de la complémentarité: l’approche commerciale qui met l’accent sur l’échange des biens complémentaires et l’approche productive qui fait dériver les échanges de la complémentarité des productions.

L’approche commerciale de la complémentarité, se retrouve dans l’analyse de Meade (1955) pour qui la création d’unions régionales efficaces est conditionnée par la complémentarité découlant du fait qu’un pays membre d’une Union ou d’une Communauté est le principal fournisseur des biens importés du pays partenaire et son principal client pour les biens exportés par ce dernier. Dans son modèle d’équilibre partiel, il a montré que la similitude des économies partenaires de l’union douanière, si elle se combine avec la complémentarité potentielle, représente la meilleure disposition à l’intégration régionale.

Concernant l’approche productive, l’un des auteurs à adopter cette approche est Erbès (1966), qui montre que l’intégration régionale est appelée à réaliser des actions de complémentarité en visant l’établissement de toutes les relations économiques possibles pour les échanges de produits. Pour Bye et De Bernis (1977), la complémentarité productive constitue un des facteurs déterminants du renforcement de l’intégration régionale parce qu’elle favorise la spécialisation et les échanges de biens et services des partenaires d’une même zone communautaire.

Que disent les chiffres ?

La théorie traditionnelle du commerce international stipule que le succès d’un accord d’intégration est lié à une certaine complémentarité des économies concernées. Cette hypothèse a servi de base de travail dans l’évaluation des potentialités d’échanges entre pays nord-africains. Michaely (1996) a confirmé l’importance de la complémentarité dans l’intégration régionale en élaborant un indice de complémentarité commerciale, ce dernier étant défini comme l’écart des structures d’exportation et d’importation de deux pays ou groupes de pays (Hugon, 2001).

Ehoussou (2005) a analysé les potentialités d’échanges commerciaux, sur la base d’indices de complémentarité. Il a démontré que les indices entre les pays africains sont faibles, traduisant une faible probabilité de réussite de la mise en œuvre des accords commerciaux bilatéraux. Les mêmes indices, calculés au niveau de la région nord-africaine, reflètent une nette augmentation comparativement aux indices bilatéraux. Il a donc retenu que la libéralisation commerciale doit se faire dans un cadre régional afin d’avoir une chance d’améliorer le commerce intra-zone. Des potentialités de complémentarité existent, pour développer le commerce intra-CEMAC. Des conditions doivent donc être créées pour mieux cerner ces complémentarités et les valoriser sur la base d’une étroite collaboration et surtout l’exécution des projets communautaires relatifs aux différentes infrastructures transnationales mises en place par les États membres. L’expérience de l’Asie nous montre que les complémentarités sont possibles au niveau d’une communauté régionale; elle démontre comment des considérations de marché peuvent impulser un processus d’intégration régionale.

Cependant, la problématique de la complémentarité en zone CEMAC a été mise en veilleuse. Fouda (2003) soutient que l’une des conditions de réussite de l’intégration économique dans la zone CEMAC, est la disposition, avant le passage des accords, de potentialités productives qui encouragent la complémentarité, en créant ainsi des courants additionnels d’échange.

La complémentarité productive signifie, la capacité d’une production, d’un secteur donné de générer des excédents, d’être exportée vers un autre pays de la CEMAC et ainsi de contribuer à l’émergence d’un courant d’échanges infrarégional. Cette exportation dans le pays partenaire peut viser l’approvisionnement d’une industrie de transformation ou tout simplement la consommation finale, contribuant de la sorte à renforcer les échanges intra-CEMAC et donc l’intégration régionale.

L’expérience de la zone CEMAC en matière de diversification économique

Dans la zone CEMAC, à part le Cameroun, tous les pays ont une structure commune dans leur architecture productive et caractérisée par la prédominance de la monoculture et de la faiblesse des dotations; la conséquence étant la faible complémentarité des échanges des produits entre les pays membres de la zone CEMAC. Concernant la diversification, une économie est dite diversifiée si sa structure est productive et dispersée en un grand nombre d’activités différentes les unes des autres par la nature des biens et services produits.

En Afrique, au lendemain des indépendances, la plupart des pays et en particulier ceux de la CEMAC ont entamé un processus de diversification de leurs structures économiques, à travers des politiques industrielles d’import-substitution, afin de réduire progressivement leur dépendance par rapport aux produits de base. En raison de la place primordiale de l’État dans la mise en œuvre de ce processus, ces expériences d’industrialisation en Afrique, se sont soldées par des échecs et ont conduit au cours des années 90 à la privatisation du tissu industriel. Toutefois, malgré ces échecs, de nombreux auteurs ont persisté à démontrer l’exigence d’une réorientation des stratégies de développement du continent africain vers la diversification de son tissu productif, en vue de la stabilisation de ses recettes d’exportation et de l’amélioration de sa compétitivité internationale.

La CEMAC n’a pas aussi réussi à diversifier son économie, parce que les entreprises industrielles étaient conçues pour de pays de petites tailles. Les coûts élevés qui en avaient résulté, rendaient les produits peu compétitifs ; les marchés nationaux de cette zone, sont peu importants, qu’il s’agisse de la population ou du pouvoir d’achat en général, ce qui constitue également l’un des principaux obstacles pour les pays essayant de diversifier la structure de la production. Dans cet ordre d’idées, la question fondamentale est celle de savoir quelles sont les conditions préalables pour mener un processus de diversification de la base productive qui soit fructueux en zone CEMAC? En d’autres termes, comment intégrer une politique de diversification optimale dans les dynamiques de croissance économique des pays de la CEMAC ?

Le processus de diversification dans les pays de la CEMAC peut être apprécié à travers l’évolution de la structure des exportations. Cette approche, qui consiste à considérer la notion de diversification des économies de la CEMAC comme étroitement liée à celle de la dynamique de leurs exportations, peut se justifier, compte tenu de leurs structures de production, dominées par l’exploitation et l’exportation de produits de base (Gros et alii, 2006). Ces économies sont fortement concentrées autour des secteurs pétroliers, miniers et agricoles. À la faveur de l’embellie sur les marchés pétroliers au cours de ces dernières années, des ressources financières ont été accumulées, démontrant d’une part une forte vulnérabilité face au retournement de la conjoncture et d’autre part la nécessité de repenser les stratégies de développement à court, moyen et long terme dans l’optique de rendre durable les performances macroéconomiques récentes. En effet, l’évolution de la démographie croissante en zone CEMAC et les conséquences qui en résultent à moyen et long terme à cause de la dépendance au pétrole exigent que les pays membres de la CEMAC prennent au sérieux la politique de diversification des produits autres que les ressources minières. Cette politique pose ainsi la problématique des instruments, outils et divers moyens qui devraient être privilégiés afin de créer la dynamique de diversification des bases de production et d’exportation.

Il faut noter que la faible performance du commerce intra régional qui est censé galvaniser l’intégration économique régionale en zone CEMAC résulte d’une combinaison de plusieurs contraintes. D’abord, les échanges commerciaux dans les États membres de la CEMAC se caractérisent par un manque de complémentarité. On note que chaque pays possède son industrie du bois (Cameroun, Congo, Gabon, Guinée Equatoriale, RCA), son huilerie à base du coton, d’arachide ou de palme (Cameroun, Gabon, Tchad), ses usines textiles (Cameroun, Tchad); des industries si peu complémentaires et souvent surdimensionnées qui ne favorisent pas le développement des échanges communautaires.

Ensuite, d’une part, le faible commerce intra sous régional dans la CEMAC est également la conséquence de l’inadéquation des initiatives de coopération et d’intégration régionales, qui contribuent à l’absence de diversification entre les profils de productions nationales ou renforcent celles-ci. D’autre part, les faibles performances enregistrées sont imputables principalement aux contraintes suivantes : l’incapacité de mettre en œuvre les politiques de restructuration des modes de production existants afin de promouvoir le commerce intra-sous-régional ; la mauvaise évaluation des coûts et des avantages liés au commerce intra-sous-régional et ses effets d’entraînement sur l’intégration sous régionale ; l’absence ou l’inadéquation de l’offre des produits fabriqués localement destinés au commerce intra-sous-régional et l’insuffisance des informations sur les marchés des pays voisins et les types de produits commercialisables existants.

La question du secteur informel

Enfin, en raison de l’importance du secteur informel, une partie des transactions commerciales entre les pays de la CEMAC n’est pas enregistrée à l’intérieur des zones d’échanges, en particulier dans les zones où les frontières sont perméables. Dans ce contexte, ne faut-il pas vulgariser (institutionnaliser) les échanges intra sous régionaux informels ? En effet, les efforts déployés aux niveaux national et sous régional, pour l’intégration de la CEMAC, omettent de prendre en compte les activités et le potentiel du secteur informel. Or, il faut tenir compte de ce secteur dans lequel opère la grande majorité de toutes petites entreprises (TPE) de la région. Une très large fraction des petites entreprises et toutes petites entreprises (PE/TPE) travaille en situation informelle, se tenant à bonne distance de l’environnement légal, réglementaire et institutionnel du secteur privé, qu’elles connaissent mal et dont elles ne savent pas tirer le meilleur parti. Cet environnement n’est de toute façon pas adapté à leurs besoins spécifiques, et ne prévoit aucune mesure favorisant leur promotion, au plan individuel comme au plan collectif. C’est pourquoi il s’agira de voir comment inciter le secteur informel le plus performant et qui pourrait bénéficier du processus de mise à niveau à rejoindre le secteur formel pour lui donner les moyens d’un développement durable et pérenne. Car, c’est en fonction de son aptitude à exploiter l’ingéniosité, le potentiel et l’énergie de toutes les activités économiques et commerciales de la sous-région, que la CEMAC réussira son intégration.

En définitive, sur le plan commercial, l’intégration dans la CEMAC ne sera couronnée d’un succès que s’il se développe en son sein un véritable marché. La réussite à ce niveau passe par une base productive, dont la nature est déterminante. Elle doit être complémentaire et diversifiée, afin de permettre des demandes croisées entre les partenaires à l’intégration. Pour y parvenir, il faut se déconnecter de la logique de la monoculture et développer au sein des pays membres de véritables politiques nationales d’ouverture à vocation sous régionale, plutôt que de subir une ouverture naturelle qui alimente l’intégration verticale.

Sans titre

A propos de l’auteur : Dr. Ngattai-Lam MERDAN est Docteur en sciences économiques de l’Université Jules Verne de Picardie à Amiens. Il est également titulaire d’un diplôme de l’Ecole Supérieure de Commerce (ESC) de Rouen en « études et  marketing décisionnelle ». Il dispense depuis une vingtaine d’années des cours de marketing, d’économie et d’études de marché dans les Universités et grandes écoles d’Afrique centrale.

 

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