Théorie: Contribution de la téléphonie mobile à la structuration des marchés

L’économie tchadienne comme toutes celles des pays en développement est caractérisée par des secteurs d’activités structurée en une pyramide où le secteur primaire est le plus dominant avec plus de 80% d’actifs (ECOSIT 3, 2011). Les secteurs secondaire et tertiaire se partagent les autres composantes de l’économie avec un léger avantage au secteur tertiaire. Cette configuration est symptomatique du manque des infrastructures routières, aéroportuaires et surtout de la faiblesse du secteur privé et donc d’un marché intérieur dynamique.Sans titre

C’est dans ce contexte que les opérateurs de la téléphonie mobile ont été accueillis sur les bords du Chari au début des années 2000s. Aujourd’hui quatre compagnies se partagent le marché mais avec deux poids lourds qui réalisent 80% du chiffre d’affaires global, notamment les opérateurs Airtel et Tigo. Plus de quinze ans après leur arrivée, outre les retombées en matière d’emplois ou d’apport aux finances publiques qu’est-ce que la téléphonie mobile a apporté de nouveau à l’effort de structuration d’un marché unique sur le territoire économique.

Apport de la téléphonie mobile aux efforts de réduction de la pauvreté

Parmi les conditions de la concurrence pure et parfaite figure en bonne place l’accès aux informations et la libre participation aux marchés. En effet, la libre circulation des capitaux et des ressources humaines est essentielle pour répondre aux désirs d’investissement et de consommation des acteurs économiques. Dans le contexte tchadien, le faible niveau de développement des infrastructures routières et aéroportuaires a rendu difficile la libre circulation des biens et des personnes. Seule celle des flux financiers est devenue une réalité depuis presque dix ans à la faveur des services de la téléphonie mobile.

Amorcé par les Etablissements de Microfinance, le transfert des capitaux s’est développé progressivement avec les agences de voyage et aujourd’hui avec les cabines téléphoniques. Le phénomène est une pratique courante dans le quotidien des tchadiens et participe largement à l’inclusion financière. Pour mieux apprécier l’impact de ce phénomène, il est judicieux de lire l’étude de la représentation locale de la Banque mondiale de N’Djamena sur l’essor de l’économie tchadienne dix ans après l’exploitation du pétrole. Dans cette étude, il est établi que l’exploitation du pétrole de 2003 à 2013 a permis de réduire la pauvreté de 55% à 46 %.

La principale conclusion de cette étude est que grâce aux transferts des fonds par les téléphones mobiles, les travailleurs du secteur pétrolier ont partagé leurs revenus en temps réel avec les populations des zones rurales qui comptent parmi les plus démunis. C’est ce qui a permis de réduire la pauvreté.

A cette conclusion, il est intéressant de noter que cette pratique a non seulement amélioré la répartition du revenu national mais également réduit le taux d’intérêt dans l’accès aux capitaux dans les zones rurales. En effet, avant le transfert des fonds via les téléphones mobiles les pratiques usurières étaient légions dans les campagnes.

Contribution de la téléphonie mobile à la dynamique du marché intérieur

Comme nous l’avons noté plus haut, l’utilisation de la téléphonie mobile a permis d’améliorer l’inclusion financière mais qu’en est-il du marché des biens et services ? Pour que la téléphonie mobile améliore la dynamique du marché intérieur elle devra contribuer à la mise en place d’un système caractérisé par l’atomicité de l’offre et de la demande. Pour ce faire, dans chaque secteur d’activité, l’accès aux marchés et aux informations de ce marché sera recherché pour plus de compétitivité.

Parmi les difficultés non résolues par l’industrie du mobile dans le cadre de la dynamique du marché intérieur au Tchad, il y a premièrement le faible accès aux marchés. La téléphonie mobile ne permet guère de résoudre ce problème car moins de 50 % du territoire économique est couvert par les opérateurs agréés. Les opérateurs économiques localisés dans les régions faiblement couvertes par les réseaux téléphoniques sont souvent exclus des activités économiques par manque d’information. Ce qui est source d’inégalités économique et sociale.

La deuxième difficulté est que les opérateurs économiques n’ont pas accès aux mêmes types d’informations. En effet, malgré une forte augmentation du nombre d’abonnés qui se chiffre aujourd’hui à plus de cinq millions (ARCEP, 2014), la répartition des abonnés est très inégalitaire car la ville de N’Djamena à elle seule compte presque 20 % d’entre eux. L’abonnement à un opérateur de téléphonie mobile est un avantage dans l’accès aux informations et tout autant un handicap pour celui qui n’en a pas. 

Les limites de la téléphonie mobile dans la structuration des marchés

A la lumière de notre analyse, nous pouvons affirmer que la téléphonie mobile peut être un moyen puissant pour parvenir aux objectifs de croissance et de bien-être social, mais ce rôle ne doit pas être sur estimé. Dans le cas du Tchad, il est observé que malgré une nette évolution dans tous les aspects, le secteur ne peut résoudre à lui tout seul, les difficultés que rencontrent les autorités à développer les échanges économiques dans un cadre intégré.

L’accès aux marchés et la transparence sur ces marchés relèvent avant tout de l’existence des infrastructures fiables et d’institutions fortes. Dans le cas du Tchad, les efforts de décentralisation doivent se poursuivre, ils se feront dans l’optique de relier les régions productrices entre elles à travers les chaines de valeur sur chaque produit. Une fois que la libre circulation des biens et des personnes sera effective sur l’ensemble du territoire, l’utilisation de la téléphonie sera un moyen pour améliorer l’efficacité d’un marché enfin intégré.

BEGUY DJIMOUNOUM

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