LE CAPITAL HUMAIN AU SERVICE DU DEVELOPPEMENT : NOUVELLES MOBILITES ET COMPETENCES

Source de l’image : www.lemonde.fr

Introduction

Je voudrais avant tout propos remercier l’Association Tchadienne des  Anciens Elèves de l’ENA-France pour l’invitation qui m’a été faite de parler d’un sujet qui me tient à cœur, à savoir le capital humain. Un thème au centre des questions  de croissance économique et des enjeux pour les futures générations, aussi bien pour les pays développés que pour les pays en voie de développement.

L’intérêt que je porte sur ce sujet découle de mes longues expériences aussi bien à la Banque Africaine de développement que dans le Gouvernement tchadien. La revue de la littérature abondante et très pertinente sur le thème a enrichi ma connaissance, ainsi que mes échanges avec d’autres professionnels et personnalités.

Mon intervention va porter sur les points suivants :

  • Concept du capital humain
  • Evolution du concept du capital humain
  • Comment mesurer l’impact du capital humain sur le développement
  • L’Indice du capital humain et la productivité économique
  • Indice du capital humain pour le Tchad et ses conséquences
  • Nouvelles tendances du capital humain
  • Défis des pays en voie de développement
  • Valoriser les compétences existantes, diaspora et mobilité
  • Conclusion

Concept du capital humain

Le capital humain n’est pas un concept nouveau, même si c’est durant ces deux dernières décennies qu’il prend de l’ampleur, surtout auprès des institutions internationales de développement.

Il ressort de la littérature que le concept de capital humain est introduit autour des années1960 par l’économiste américain Theodore Schultz. Le concept a été surtout élaboré dans un ouvrage1 de 1964 d’un autre économiste américain Gary Becker, Prix Nobel de l’Economie en 1992. Ce dernier définit le capital humain comme « l’ensemble des capacités productives qu’un individu acquiert par accumulation de connaissances générales ou spécifiques, de savoir-faire … ».

Le tournant majeur a consisté à traiter l’éducation comme un investissement et non plus comme une forme de consommation. La théorie du capital humain fonctionne par analogie à celle du capital financier ou physique. A ce titre, le capital humain peut s’acquérir, se préserver, se développer, et de même, produire un bénéfice (les revenus perçus). Les dépenses d’éducation et de santé constituent l’investissement dans le capital humain, pour lequel on espère un retour sur investissement comme dans le cas d’autres types de capitaux.

Le capital humain reste néanmoins très particulier. Il affecte tout le fonctionnement de la société mais reste également individuel. C’est l’individu qui se forme, s’enrichit et développe en permanence de nouveaux savoirs et expériences, et met à disposition son capital, qui demeure indissociable de lui.

Evolution du concept du capital humain

Ces dernières décennies, les instituions et organisations de développement ont placé le capital humain au centre de leurs préoccupations, en mieux identifiant son l’impact sur la croissance économique et le développement à moyen et long termes de la société.

Dans une publication 2 de l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economique) en 2007, il est indiqué que le capital humain

« recouvre les connaissances, les qualifications, les compétences et les autres qualités d’un individu qui favorisent le bien-être personnel, social et économique ». Selon certaines données de la zone OCDE, « si le temps moyen que chaque personne consacre à l’éducation augmente d’un an, le produit économique du pays par habitant devrait augmenter, sur le long terme, dans une fourchette comprise entre 4 et 6 %. »Le capital humain se définit alors comme l’ensemble des connaissances et des compétences acquises et l’état de santé des individus, qui leur permettent d’être pleinement productifs dans la société tout au long de leur vie. Ces facteurs du  capital humain déterminent ce que l’individu peut gagner aujourd’hui, et est susceptible de gagner en travaillant dans le futur jusqu’à sa retraite, sachant que cette potentialité peut être affectée principalement par sa santé physique et mentale, et sa formation continue.

L’humanité, à certains moments de l’histoire et à des degrés divers, a su donner l’importance au développement humain comme facteur de développement à moyen et long terme de la société, bien avant la formalisation récente du capital humain. Ainsi, au 7ème siècle avant Jésus Christ, un homme politique chinois, Kuan Chun, disait : “Si votre plan est pour un an, planter du riz. Si votre plan est pour dix ans, planter des arbres. Si votre plan est pour cent ans, éduquer des enfants

Le système d’éducation traditionnelle des sociétés africaines est un exemple clair de l’importance accordée par ces sociétés à une éducation globale pour la survie de la communauté. Tous les enfants d’une même classe d’âge participent obligatoirement aux rites de passage à l’âge adulte. C’est l’occasion de transmettre à cette génération les connaissances accumulées, le savoir faire et le savoir être, des techniques, l’endurance, la sagesse, l’esprit d’équipe et de solidarité. C’est un investissement sur la jeune génération pour qu’elle participe efficacement à toutes activités de la société, et qu’elle puisse assurer la relève.

Le capital humain. « Comment le savoir détermine notre vie ». Brian Keely. OCDE.

En fait, l’éducation reste le pivot de la formation du capital humain, et comprend la formation initiale (préscolaire, scolaire et universitaire), mais aussi toutes les formes d’apprentissages et de formation continue. Plus récemment, en 2003, Nelson Mandela disait : « L’Education est l’arme la plus puissante que l’on peut utiliser pour changer le monde ».

Comment mesurer l’impact du capital humain sur le développement

Les dépenses investies dans la formation initiale et continue d’un individu, et les dépenses investies dans sa santé, permettent de développer ses capacités productives, et d’accroître sa contribution à la production économique. Ces dépenses sont souvent présentées en pourcentage du PIB ou du budget de l’Etat. La question est de savoir si ces dépenses sont suffisantes pour avoir un impact significatif sur l’économie et la croissance d’un pays.

Le lien entre capital humain et développement d’un pays semble évident. Cependant les Gouvernements investissent plus aisément dans le capital physique visible : routes, ponts, chemins de fers, bâtiments, systèmes d’irrigation, etc. Très peu investissent dans le capital humain de leur population, car l’impact immédiat n’est pas visible, les bénéfices sont lents et difficiles à mesurer.

La Banque Mondiale a lancé Le « projet pour le capital humain », une initiative internationale visant à accélérer la réalisation de beaucoup plus d’investissements et de meilleure qualité dans les populations pour favoriser l’équité et la croissance économique. En mars 2019, plus de 55 pays appartenant à toutes les catégories d’économies collaborent déjà avec l’Institution à la mise au point des approches stratégiques qui leur permettront d’améliorer radicalement leurs performances dans ce domaine. La Banque a introduit un indicateur qui permet de mesurer la productivité économique du capital humain : l’INDICE DU CAPITAL HUMAIN.

L’Indice du capital humain et la productivité économique

Le 11 octobre 2018, la Banque Mondiale a publié ses premiers résultats de l’indice du capital humain. C’est un outil qui quantifie la contribution de la santé et de l’éducation à la productivité de la prochaine génération des travailleurs d’un pays.3

L’indice du capital humain est bâti autour de trois grands piliers :

  • La survie à la naissance : Les enfants nés aujourd’hui peuvent-ils survivre de la naissance jusqu’à aller à l’école pour recevoir une éducation formelle. Cette survie est mesurée par le taux de mortalité des moins de 5 ans.
  • L’éducation: Les enfants passent-ils combien d’années à l’école en moyenne, et pour quelle qualité de l’éducation et des apprentissages? Quel volume et quelle qualité de l’éducation  peut  espérer  avoir  l’enfant  à  l’âge  de  18  ans. Quels risques de santé court l’enfant jusqu’à l’âge de 18 ans ?
  • La santé : Il traduit le taux de survie des adultes jusqu’à l’âge de 60 ans. Les individus bénéficient-ils de soins de santé, d’alimentation adéquate, d’environnement familial assurant l’équilibre social et mental, d’un habitat décent, toujours prêts pour apprendre plus à travailler ?
  • L’indice du capital humain4 varie de 0 à 1. Il prend la valeur 1 si un enfant né aujourd’hui peut espérer vivre en pleine santé (ne subir aucun retard de croissance et vivre au moins jusqu’à 60 ans) et atteindre son potentiel d’éducation (14 années de scolarité de qualité avant l’âge de 18 ans).

Par exemple si un pays a un indice de 0,5, cela signifie que le PIB par travailleur aurait pu être deux fois supérieur si le pays a atteint le critère de pleine éducation et de santé complète. Les pays utilisent cet indice pour évaluer le manque à gagner résultant de leur déficit de capital humain, et pour déterminer dans quelle mesure ils pourraient progresser plus vite et transformer ces pertes en autant de gains en agissant maintenant.

L’indice du capital humain 2018 a été calculé pour 157 pays. On note que les 3 premiers pays au monde sont en Asie, et par ordre décroissant, Singapour avec un indice de 0,88 ; Corée du Sud, 0,84 ; et Japon, 0,84. Le premier pays européen est la Finlande en 5ème position avec 0,81. La France est 22ème avec 0,76, et les Etats Unis, 24ème avec 0,76.

Au niveau du continent africain, les pays ayant les taux les plus élevés sont l’Algérie au 93ème rang avec 0,52 et le Kenya, 94ème avec 0,52. En un mot, un enfant né en Algérie ou au Kenya aujourd’hui, si les conditions actuelles d’éducation et de santé persistent, ne sera productif que de cinquante deux pour cent (52%) comparé à un enfant qui aurait reçu une éducation complète et une santé totale. Dans les pays de la zone CEMAC, le Gabon a le plus grand score avec 0,45 et est classé 110ème. En réalité ces chiffres varient évidement suivant le genre, et les garçons vont réaliser plus le capital humain que les filles, dans l’environnement actuel.

L’indice du capital humain est un processus en développement et est certainement appelé à s’améliorer. Malgré des discordances et marges d’erreur que l’on pourrait noter, les grandes différences entre les économies comparées, cet outil constitue pour le moment un instrument de mesure globale de l’impact du capital humain sur le développement, et qui peut orienter les gouvernements dans leur vision et leur programme.

On note une certaine cohérence avec les résultats du programme international de l’OCDE pour le suivi des acquis des élèves (PISA)5. Les élèves des pays participants subissent des tests, principalement dans le domaine scientifique. Ce programme a commencé en 2000 et se renouvelle tous les trois ans. L‘évaluation de 2015 a été publiée en 2016, tandis que celle de 2018 sera publiée en décembre 2019. En 2015, environ 540.000 élèves représentatifs de quelques 29 millions d’élèves âgés de 15 ans scolarisés dans 72 pays ont passé l’épreuve PISA. Les épreuves ont porté sur les sciences comme domaine majeur, et les domaines mineurs étaient la compréhension de l’écrit, les mathématiques, et la résolution collaborative des problèmes. Les résultats ont montré que c’est encore Singapour qui est en tête comme pour l’indice du capital humain. Il est suivi du Japon, de l’Estonie, de la Finlande et du Canada.

Indice du capital humain pour le Tchad et ses conséquences

Le Tchad malheureusement est le 157ème sur les 157 pays, avec un score de 0,29. En conséquence, cela signifie que la productivité moyenne d’un travailleur tchadien né aujourd’hui ne sera que 29% par rapport à un enfant qui aurait eu une éducation complète et une santé totale. Ce classement découle malheureusement de la réalité des chiffres de l’éducation et de la santé au Tchad.

Le taux de mortalité maternelle, néonatale et infantile au Tchad reste l’un des plus élevés en Afrique sub-saharienne et dans le monde

Le Rapport 2014 sur l’Etat du Système Educatif National (RESEN 2014) au Tchad note que « Les performances du système éducatif tchadien le situent très loin de l’objectif d’une éducation primaire pour tous ; seuls 38% des enfants d’une génération achèvent le primaire contre 100 % attendu ».

Avec le taux de croissance de la population du Tchad de 3,6%, un des plus élevés au monde, la population du Tchad est estimée à fin 2018 à environ 15,1 millions d’habitants. 50,6% de cette population a moins de 15 ans (proportion du recensement de 2009), ce qui donne en 2019, une population de 7,6 millions d’habitants de moins de 15 ans. Comme seulement 38% de ces enfants d’une génération achèvent le primaire, cela fait 62% de ces enfants, soit 4,7 millions, qui n’auront même pas achevé le primaire, et qui passeront ainsi dans la vie active. Si on y ajoute plusieurs générations, on imagine ce que cela donne.

Les dépenses publiques d’éducation et de santé sont en baisse depuis 2015. D’après le Rapport d’enquête parlementaire adopté par l’Assemblée Nationale le 22 juin 2018, « Sur les dix dernières années, la contribution de l’Etat au financement du secteur de l’éducation n’a pas dépassé 13% du budget et 2% du PIB, dans un contexte de contraction drastique de l’aide publique au développement. L’objectif stratégique de la réforme était d’atteindre au moins 4% du PIB et 20% du budget en 2015. Malgré cet effort, les coûts unitaires du système éducatif sont les plus élevés d’Afrique… »

En fait, les objectifs en pourcentage du budget ou en pourcentage du PIB ne répondent pas vraiment à la question de l’éducation complète et de santé totale, qui permet d’améliorer effectivement l’indice du capital humain. L’objectif doit se définir en termes d’accès effectif de qualité à l’école et au centre de santé pour chaque enfant tchadien, quelle que soit sa localité. C’est la réalisation de cet objectif qui doit mobiliser toutes les ressources, publiques et privées, tous les moyens technologiques, tous les instruments disponibles nécessaires. Le budget ou la part

du PIB à allouer devront être fixés pour contribuer à assurer cet objectif, et non être des chiffres forfaitaires. Quand on a un long chemin à parcourir comme le Tchad, on ne peut utiliser les normes des pays qui sont déjà très avancées.

L’estimation des ressources requises va au-delà des écoles à construire et des enseignants à former. L’éducation dite gratuite n’a presque jamais été une réalité. En fait, d’autres contraintes telles que la distance à parcourir pour l’école, l’alimentation, les latrines dans les écoles qui découragent les filles, les fournitures scolaires, les corvées d’eau et les corvées agricoles des familles, etc, bloquent l’éducation de base pour tous. Il en est de même des centres de santé. Ainsi, le programme pour l’éducation globale et la santé totale devra inclure la levée de tous ces obstacles.

On pourrait sans se tromper dire que le capital humain est certainement le défi critique le plus important au Tchad. Quel que soit le capital financier et physique, avec une productivité moyenne faible, estimée à 30% des capacités physiques et intellectuelles des travailleurs, aucune transformation durable et profonde n’est possible. Avec la forte croissance de la population, la faible croissance de l’économie, la baisse des budgets de santé et d’éducation de ces dernières années, si rien n’est fait pour arrêter et renverser la tendance, la situation va s’empirer et hypothéquer dangereusement l’avenir du pays.

Nouvelles tendances du capital humain

Le défi du capital humain est au centre des débats pour tous les pays. Les riches pays développés qui en connaissent l’importance investissent sous plusieurs formes dans ce domaine pour rester performants et compétitifs dans l’économie mondiale. Les avancées technologiques accroissent la productivité et l’efficacité des services. Elles créent de nouveaux emplois et introduisent des nouvelles compétences. La priorité pour les Etats est d’investir dans le capital humain afin d’acquérir les compétences dont le marché du travail a besoin.

L’économie du savoir s’impose au monde entier. Désormais, ce ne sont plus les muscles (de plus en plus remplacés par les robots) mais les cerveaux qui font la différence : d’où le fossé croissant qui sépare les revenus selon que l’individu a ou non un niveau d’instruction élevé. Cette tendance est renforcée par la diffusion rapide des technologies de l’information à haute vitesse, la capacité à produire, transmettre, traiter et stocker des volumes inimaginables d’information. Les puissances des ordinateurs, des tablettes et des téléphones, et du réseau internet ne font que croître de façon prodigieuse.

L’édition 2019 du Rapport sur le développement dans le monde de la Banque Mondiale a pour thème le travail en mutation. Le rapport a fait l’analyse suivante :

« le niveau des compétences évolue rapidement, ce qui présente à la fois des opportunités et des risques. De plus en plus d’études montrent que les pays qui ne développent pas leur capital humain ne peuvent pas maintenir une croissance économique durable, préparer leur main-d’œuvre aux emplois plus qualifiés de demain et faire face à la concurrence dans l’économie mondiale. Pour les pays qui n’investissent pas suffisamment dans leur capital humain, le prix de l’inaction est de plus en plus lourd ».

Défis des pays en voie de développement

Les indices du capital humain des pays en voie de développement montrent le chemin à parcourir. Ces pays sont pour l’essentiel dominés par le secteur informel. La productivité des travailleurs dans le secteur informel est faible. Les sociétés informelles sont souvent dirigées par des personnes peu ou non formées, desservant des consommateurs à faible revenu pour leur majorité. La contribution de ces nombreux travailleurs à la croissance économique reste faible ; le changement ne peut venir que d’une nouvelle génération d’enfants plus qualifiée, plus formée et en bonne santé, capable d’être plus productive et de participer à la transformation de l’économie.

L’Afrique est par ailleurs la seule région du monde où le nombre d’adolescents non scolarisés augmente depuis quelques années. Les pays africains doivent mettre le capital humain au centre de leur priorité, élaborer et mettre effectivement en oeuvre leur stratégie pour atteindre leurs objectifs de développement des ressources humaines. Cela exige un grand leadership politique et la réalisation des priorités d’investissements dans les domaines clés des ressources humaines, à savoir : la nutrition, les services de santé et de protection sociale, l’éducation de qualité, les apprentissages et compétences pour favoriser le développement du capital humain. C’est une nécessité incontournable pour accélérer une croissance économique durable et inclusive.

L’enseignement fondamental de base doit devenir une réalité totale effective dans les politiques afin de donner à la nouvelle génération, les bases et les fondements de la confiance en soi pour contribuer au développement de l’Afrique. L’émergence de l’économie du savoir exerce sur les pays en voie de développement une pression de même ordre que celle de la mondialisation. La valeur du savoir et de l’information est de plus en plus évidente dans les économies développées. Le développement du capital humain est un impératif pour tous les pays, quel que soit leur niveau de revenu.

Les nouvelles technologies de l’information offrent une très grande opportunité pour rattraper le retard dans les domaines de l’éducation et de la santé. L’évolution des moyens de communications, les possibilités offertes par des outils comme les drones, les multiples services mobiles large bande, l’intelligence artificielle, etc., ouvrent la porte à des solutions innovantes pour accélérer les acquis dans le domaine de l’éducation et de la santé. Il faudrait donc être imaginatif et viser cet objectif global impératif de voir chaque enfant acquérir la formation minimale vitale que la société attend de lui, pour son épanouissement et sa participation à la productivité de l’économie. Il faut donc faire tous les efforts et sacrifices nécessaires pour atteindre cet objectif, et s’assurer que dans 10 à 15 ans, le bond qualitatif peut être atteint. Ceci n’est pas une option.

Valoriser les compétences existantes, diaspora et mobilité

Aucun développement, aucune vision, aucune pensée de transformation de la société ne sont possibles s’ils ne sont pas d’abord assis sur un socle intellectuel national de compétences reconnues de grande valeur, pouvant rivaliser avec le reste du monde. Malheureusement, beaucoup de cadres formés sont peu ou pas utilisés dans leur propre pays à cause des visions parfois sectaires ou limitées de certains dirigeants, et de leur incapacité à créer un environnement propice. Ceci constitue une énorme perte d’investissement. Les intellectuels de chaque pays doivent être reconnus et valoriser. Ils doivent eux aussi être ouverts au monde, accepter la saine compétition, et le sacrifice de travail nécessaire pour apporter leur savoir et compétence à la transformation de leur pays.

Une priorité doit donc être accordée la valorisation et la promotion des compétences africaines existantes, y compris celles de la diaspora. Il s’agit de faire véritablement émerger et libérer des compétences africaines capables de penser, d’innover et de trouver des solutions adaptées et appropriées aux multiples problèmes de leur pays, leur sous-région et le continent africain. Aucun continent, aucun pays, ne se développe avec les pensées des autres.

Les compétences africaines sont parmi celles qui probablement ont connu le plus de mobilité dans le monde. Les Africains (les Etats et les familles) ont beaucoup investit dans l’éducation et la santé de leurs enfants, et ce sont les pays développés en général qui tirent profit du capital humain des travailleurs de la diaspora africaine. Il serait intéressant d’évaluer les pertes subies par l’Afrique. Un effort est certes fait dans certains pays africains pour attirer à juste titre les transferts des ressources financières vers le pays d’origine.

Cependant, l’utilisation du savoir de la diaspora ne semble pas être au centre des préoccupations. Pourtant il apparaît clairement une volonté de la diaspora de jouer un rôle sur le continent, et de mettre leur compétence au service du développement de l’Afrique. Les nouvelles technologies et les mutations qu’elles entraînent dans le travail montrent que la distance est de moins en moins un facteur de blocage. Ceci offre donc une plus grande opportunité pour la contribution de la diaspora. Ceci est d’autant plus utile que la mobilité hors du continent n’est malheureusement pas prête de s’arrêter. Les foyers de tensions, les guerres et le terrorisme, le chômage, un environnement peu favorable au développement des affaires, l’instabilité politique et sociale, etc. en Afrique, accroissent le départ des cadres africains vers les pays développés, et découragent ceux, nombreux, qui voudraient bien revenir en Afrique.

L’Afrique doit valoriser et tirer profit de cette réalité qui fait qu’il y a plus de scientifiques et d’ingénieurs africains vivant aux USA qu’il n’en réside dans toute l’Afrique ; tandis que 40% de tous les scientifiques africains se sont installés dans  les pays membres de l’OCDE. Leur savoir-faire est précieux pour l’Afrique à laquelle ils sont attachés pour la plupart. La diaspora Africaine peut permettre de mobiliser des créateurs d’entreprise, des scientifiques, des innovateurs, des chercheurs de toute sorte. Il faudrait développer une politique volontariste et innovante d’implication active de la diaspora aux niveaux national et régional.

Le Continent devra contribuer à la conception, au financement et à la création d’écoles d’excellence africaines qui permettent une collaboration sous régionale et inter-régionale. Il doit promouvoir la production intellectuelle dans différents secteurs clés du développement. Les recherches dans tous les domaines dans les universités africaines devront bénéficier des priorités de financement aussi bien des gouvernements que des partenaires extérieurs. On devra leur confier des missions de recherche et assurer le financement. Ce sont les résultats de ces recherches qui peuvent apporter des solutions durables aux problèmes de société, y compris celui du capital humain.

Conclusion

En conclusion, beaucoup de pays africains ont connu des croissances économiques appréciables ces dernières décennies, grâce à une bonne politique de stabilité macro-économique et budgétaire, une amélioration de l’environnement des affaires, et une bonne santé des cours de certaines matières premières. Des progrès ont été faits en matière de créations d’écoles, de scolarisation et de santé. Les Gouvernements ont planifié et réalisé des investissements pour constituer un capital physique (infrastructure, équipement).

Cependant on n’a pas assez investit sur le capital humain, pour avoir des travailleurs instruits, compétents et en bonne santé pour renforcer la productivité économique. Les Politiciens pensent souvent à court terme pour leur popularité, alors que l’investissement dans le capital humain ne produit ses bénéfices qu’après plusieurs années. Les rendements des individus commençant leur éducation de base aujourd’hui ne seront réalisés que dans 10 à 15 ans. Pourtant dans la plupart des pays africains les priorités de politiques d’investissements ne vont pas effectivement dans ce domaine malgré les bons discours et programmes habituels. La réalité aujourd’hui est que les multiples visions pour les futures années ne verront jamais le jour si le capital humain n’est pas au rendez vous et au centre des efforts.

Il y a donc un défi réel qui consiste à mobiliser effectivement l’engagement politique. L’indice du capital humain crée une opportunité de dialogue avec les Gouvernements pour qu’ils jouent un rôle central et s’engagent dans l’investissement dans le capital humain. Il s’agit d’investir sur tous les enfants du pays en âge d’aller à l’école, et d’assurer leur santé.

Que chaque pays s’engage dans ce grand défi du capital humain, et que tous les partenaires s’accordent pour soutenir les pays africains dans cette voie. Les nouvelles tendances qui se développent avec les nouvelles technologies de l’information offrent des opportunités pouvant permettre de faire des bonds en avant. Il faudrait développer une dynamique mondiale autour de la question du développement du capital humain.

SHORT BIO DE Monsieur BEDOUMRA KORDJE

Monsieur Bédoumra Kordjé a bénéficié d’une longue expérience internationale de 29 ans de carrière à la Banque Africaine de Développement (BAD). Après avoir exercé comme expert pendant près de 13 ans, il a occupé pendant 16 ans des postes de direction, où il a gravi tous les échelons jusqu’au poste de Secrétaire Général puis de Vice-président, jusqu’en janvier 2012.

Il a exercé des hautes responsabilités de l’Etat au Tchad de février 2012 à février 2017. Il a occupé les fonctions de Ministre du Plan, de l’Economie et de la Coopération Internationale, Ministre des Finances et du Budget et a été deux fois Secrétaire Général de la Présidence de la République.

Durant ses hautes fonctions de l’Etat, il a été Président du Conseil d’Administration de la Banque des Etats de l’Afrique Centrale (BEAC) et Président du Comité Ministériel de l’Union Monétaire de l’Afrique  Centrale (UMAC). Il a été élu en octobre 2014 Président du Conseil des Gouverneurs du Fonds Monétaire International (FMI) et de la Banque mondiale pendant les Assemblées Annuelles de ces deux Institutions  à Washington ; à ce titre, il a présidé en octobre 2015 les Assemblées annuelles du FMI et de la Banque Mondiale à Lima au Pérou. Il a été candidat finaliste à la Présidence de la Banque Africaine de Développement en mai 2015.

Il dirige aujourd’hui un cabinet conseils.

Commandeur de l’ordre de mérite civique de la République du Tchad  Commandeur de l’ordre de l’Indépendance de la République de Guinée Equatoriale

Monsieur Bedoumra Kordjé est titulaire du Diplôme d’Ingénieur civil des Télécommunications de l’Ecole Nationale Supérieure des Télécommunications de Paris (1979).

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