Le combat de la société civile tchadienne a connu un tournant décisif en 2004 avec la mise en route de la coalition tchadienne « Publish What You Pay » (PWYP) en anglais ou en français « Publiez Ce Que Vous Payez ». Lancée en juin 2002 par Georges SOROS, la Campagne PCQVP est une résultante du combat de la société civile internationale : Global Witness, Revenue Watch (RWI), Open Society Foundation (OSF), Catholic Relief Services (CRS), Transparency International, CAFOD, Save the children UK et OXFAM UK. Cette campagne a été préparée par l’impact de l’Agenda 21 ou Déclaration du sommet mondial sur le développement durable de Rio de Janeiro au Brésil en 1992. Cette Déclaration a proclamé le lien indissoluble entre « développement légitime et impératif des générations actuelles à partir des revenus de leurs ressources naturelles, la préservation de leur environnement et des générations futures».
A la genèse immédiate de PCQVP se trouve un pays Africain, l’Angola. En effet, Global Witness, une ONG britannique dans son rapport d’étude intitulé « Un réveil brutal », publié en décembre 1999 affirmait que les banques et les compagnies pétrolières étaient en intelligence pour le pillage des ressources pétrolières angolaises durant la quarantaine d’années de guerre qu’a connue le pays. Pour Global Witness, le refus des compagnies pétrolières de rendre publique l’information sur les quantités de pétrole exportées et les sommes versées aux autorités, participe de la distraction des revenus pétroliers. C’est ainsi que Global Witness décida de lancer un appel aux compagnies pétrolières opérant en Angola, au motif de « Publiez ce que vous payez ». Cet appel à très vite suscité l’adhésion des autres ONG internationales citées plus haut. La cible naturelle de la Campagne, ce sont les ressources extractives qui sont : le pétrole, le gaz et les minerais solides. Ses cibles institutionnelles sont d’une part, les compagnies d’explorations et d’exploitation et d’autre part les pays qui accueillent ces compagnies.
Il est généralement reconnu que PCQVP est l’une des coalitions qui a le mieux réussi au cours de la dernière décennie. Elle a commencé avec 6 organisations basées au Royaume Uni et est devenu un mouvement mondial de plus de 680 membres, couvrant 59 pays et 39 coalitions. A ses débuts, PCQVP était considérée comme une campagne-créneau qui inscrivait fermement la transparence des revenus issus des industries extractives (IE) à l’ordre du jour de la communauté internationale. Grâce à l’action courageuse et concertée des différentes coalitions à travers le monde, la question de la transparence dans la gestion des revenus tirés des industries pétrolières, gazières et minières n’est plus un tabou et les clauses de confidentialité, sources de corruption sont tombées.
Historique de la coalition tchadienne
Faisant suite à la Campagne internationale, lors d’un forum organisé par la Commission Justice et Paix en 2004, la société civile du Tchad a lancé la Coalition Tchadienne Publiez ce que vous Payez ». Pour marquer sa spécificité elle a ajouté « ce que vous gagnez » devenant ainsi (PCQVP-PCQVG). Dès le départ, la coalition s’est voulue une plate-forme composée de plusieurs organisations nationales et sous régionales dont les ADH, les syndicats, les organisations des femmes et des jeunes, de la presse privée et les institutions religieuses.
Ces organisations membres travaillent toutes dans les domaines de l’éveil de conscience citoyenne, de la promotion des droits de l’homme. Etant une campagne pour promouvoir la transparence dans les IE, la coalition est structurée de telle sorte qu’en fonction de sa spécificité, elle soit porteuse de ses valeurs et les impulse dans ses actions, mais aussi et surtout le déroulement de ses activités.
Après dix années de travail assidu et ardu, la coalition a connu une mutation. Elle a établi une charte de gouvernance et s’est structurée pour correspondre aussi au changement intervenu au niveau international avec la vision 20/20 qui vise « un monde où tous les citoyens bénéficient de leurs ressources naturelles aujourd’hui et demain ». Il s’agit désormais d’appliquer la chaine de valeur dite « chaine de changement » de PCQVP qui suit le principe selon lequel à chaque étape du processus d’extraction de l’enquête géologique initiale à l’évaluation finale des dépenses des revenus tirés des ressources naturelles, les citoyens doivent avoir leur mot à dire sur la gestion de leurs ressources. C’est une évolution notable qui exige l’implication effective des populations aux différentes étapes de l’exploitation. Ces populations doivent donner leur avis sur la nécessité d’extraire la ressource naturelle.
La coordination nationale a fait place au Copil (Comité de Pilotage de la Coalition). Convaincues par ses actions pertinentes, d’autres associations ont depuis adhéré à la coalition, participant ainsi à la structure de gouvernance de la coordination. Pour atteindre la base, la coalition a lancé des coalitions sous régionales correspondant pour la plupart aux bassins pétroliers : Bongor, Kélo, Bol, Moundou, Doba, Sarh et Abéché.
L’objectif de la coalition est d’assurer le plaidoyer au niveau national et international pour la gestion transparente des fonds publics en général et les revenus provenant des Industries Extractives en particulier. |
Les réalisations de la Coalition
Plusieurs campagnes de sensibilisation dans les communautés à la base pour une gestion équitable des ressources publiques ont été menées dans le pays. Des études notamment sur l’impact des revenus pétroliers sur les populations des zones d’exploitation ou du rapport entre l’ITIE et le Collège de Contrôle des Ressources Pétrolières ont été réalisées. Elles ont servi de support pour les plaidoyers et d’animations lors des journées d’information publique. Aussi, sont organisées de nombreuses conférences-débats dont la dernière a porté sur l’impact de la baisse du prix du pétrole sur l’économie tchadienne.
La coalition tchadienne éveille la conscience des acteurs impliqués dans la transparence, informe la population sur la gestion des ressources et mobilise des associations, des réseaux pétrole et des populations. Elle joue l’interface entre les populations, les pouvoirs publics et les IE en matière de transparence. La grande réussite de la coalition est la campagne qui a conduit à l’adhésion du Tchad en 2007
L’implication consciente et responsable des membres de la coalition dans les différents organes de gouvernance de l’ITIE Tchad a contribué à l’acceptation du Tchad comme pays candidat le 16 Avril 2010 ; puis sa reconnaissance comme pays conforme le 14 octobre 2014. Il faut souligner que de plus en plus, les populations de sa zone d’intervention participent activement au suivi des dépenses publiques et défendent leurs intérêts à travers des structures locales solides.
Les bénéficiaires
Les bénéficiaires des actions de la coalition sont les groupes vulnérables, les élus locaux et les Autorités traditionnelles, administratives et militaires ; les institutions publiques et parapubliques ; les services déconcentrés de l’Etat ; les compagnies opérant dans les secteurs des IE.
La mission de la coalition se réalise parfois dans un contexte hostile tant du côté des populations manipulées que de certaines autorités portées par leurs seuls intérêts. Comme membre d’un orchestre, la coalition a joué sa partition. Elle a suscité le débat à différents niveaux y compris à la base. Grâce à l’ITIE qu’elle a soutenu, des informations conséquentes sont rendues disponibles et de plus en plus accessibles pour l’usage des différents acteurs.
Difficultés, défis et perspectives
Plusieurs acteurs sont supposés intervenir pour promouvoir la bonne gouvernance et une gestion responsable des revenus issus des IE. Malheureusement ces autres acteurs attendent beaucoup de la société civile qui semble être plus démunie, plus fragile.
De nombreuses initiatives sont lancées à travers le monde, notamment la loi américaine Dodd Frank dans sa section 1054 et les directives européennes et Canadiennes. Elles sont des opportunités offertes à tous pour demander des comptes et exiger une plus grande transparence tant du côté des gouvernants que des entreprises extractives cotées en bourses dans les grands pays.
La faiblesse des moyens tant humains que financiers, à l’instar des autres coalitions francophones, est un vrai challenge pour la coalition tchadienne manque pour réaliser sa mission. Il faut relever aussi que les organisations membres privilégient d’abord leurs propres activités. Cela exige une nouvelle stratégie d’action et du courage de la part de ses membres.
Par Abbé Raymond Madjiro, Moraliste, Président du Copil.
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