FAITS : A la découverte de la douane tchadienne

Le pont de Nguéli à la frontière entre le Tchad et le Cameroun

Le 28 octobre dernier, un évènement a défrayé la chronique au Tchad à travers les réseaux sociaux. Il s’agit du limogeage du Directeur Général des douanes Saleh DEBY, mieux connu sous le surnom de Salaye DEBY.

Le pont de Nguéli à la frontière entre le Tchad et le Cameroun
Le pont de Nguéli à la frontière entre le Tchad et le Cameroun

Cet évènement constitue une parfaite illustration du dilemme auquel doivent faire face les autorités tchadiennes dans un contexte de crise sans précédent des finances publiques. Le pays connait depuis le second trimestre de l’année 2014, de récurrentes crises de trésoreries qui se traduisent par des difficultés du Trésor Public à honorer ses engagements financiers. Celles-ci se manifestent par des retards dans le paiement des salaires de fonctionnaires et un gel de la plupart des grands projets d’investissements publics. Afin de mieux comprendre l’enchaînement d’évènements ayant conduit au limogeage de l’ex-DG des douanes ainsi que les derniers décrets et arrêtés du Ministre des Finances entrainant un renouvellement à la tête des régies financières (Impôts et Trésor notamment), il est utile de s’appesantir sur la structure et l’ évolution de la douane depuis ces dernières années. En effet, la corruption qui gangrène cette administration ainsi que son incapacité à mieux collecter les recettes douanières est intimement liée aux soubresauts socio-politiques auxquels le pays a été confronté.

Les raisons socio-politiques de la baisse des recettes douanières

vvA la différence des autres pays africains, la principale caractéristique de la douane tchadienne est la forte présence de pseudos-douaniers qui se sont substitués aux véritables douaniers ayant suivi une formation régulière. Ces pseudos-douaniers mieux connus sous les noms de «bogo-bogo» ou « Karang-Karang » sont en fait des anciens combattants des mouvements rebelles qui ont été reversés dans le corps des douanes. International Crisis Group (2006) montre que la baisse des performances de collecte douanière est étroitement corrélée à la prise en main des principaux postes douaniers par ces pseudos- douaniers. A la faveur des multiples accords de paix signés avec les rebellions armées, le régime a intégré des miliciens au sein de la douane qui outrepassant leurs fonctions, taxent les commerçants à l’instar des douaniers régulièrement formés. Au fil des ans, ces « douaniers-combattants » ont été régulièrement promus dans les postes douaniers réalisant plus de recettes, donc qualifiés de « bureaux juteux » (Nguéli, Touboro, Bol,…). Debos (2013) montre que ce comportement généralisé de prévarication des douanes bénéficie du soutien implicite des personnalités très proches du pouvoir et participe à la mise en place d’un « certain business de la guerre ». Alors que les accords de paix permettent aux leaders de rébellions de s’enrichir et d’accéder à des postes de responsabilités au sein de l’administration, les combattants sont pour la plupart reversés au sein de l’armée régulière sous l’appellation « d’officiers assimilés ». Les plus chanceux d’entre eux sont coptés dans la fonction publique où ils ont une prédilection pour les administrations où les possibilités d’enrichissement sont élevées (police, gendarmerie, eaux et forêts, douanes et impôts).

Bilan des tentatives de reformes de la douane

Bien qu’il y ait une prise de conscience de la nécessité d’une réforme de la douane, l’arrivée des recettes pétrolières semble avoir réduit les incitations des dirigeants à les mener et cela malgré les signaux d’alarmes envoyés par les partenaires au développement (FMI et Banque Mondiale notamment). En particulier, la Banque Mondiale en partenariat avec l’Union Européenne ont financé le Programme d’Appui à la Réforme des Finances Publiques (PAMFIP). Ce programme qui inclut un volet réforme douanière s’est traduit par la mobilisation d’une assistance technique en vue de moderniser cette régie. Cependant, il est permis de douter du succès de ces réformes du fait principalement du manque de la volonté politique. Ce cas particulier de la douane peut être généralisé à l’ensemble des actions de réforme des finances publiques du pays. Leur réussite est conditionnée à une volonté au sommet de l’Etat. Or, il semble que jusqu’à une période récente, malgré une volonté de façade, les réformes censées rendre efficiente la gestion des finances publiques du pays se sont heurtées aux intérêts puissamment établis et qui bénéficiait d’une certaine approbation de la classe dirigeante.

A titre d’exemple, en 2012, bien que le recensement de la douane ait permis de détecter un bon millier de faux-douaniers, les résolutions prises en vue de redonner à la douane ses lettres de noblesse n’ont pas été suivi d’effet. Par conséquent, malgré quelques déclarations fracassantes, les recettes douanières ne se sont pas considérablement améliorées.

Pourquoi le Guichet Unique du Commerce Extérieur (GUCE) n’a pas pu changer la donne ?

L’engouement à l’utilisation du GUCE se justifie par sa capacité à permettre une meilleure mobilisation des recettes douanières du fait d’une réduction drastique des possibilités de corruption. Il a été ainsi prouvé dans plusieurs PED que l’introduction du GUCE a permis d’accroitre les recettes douanières (Rwanda, Kenya, Benin, …) Pour les opérateurs économiques, l’utilisation du GUCE se traduit par un abaissement des coûts grâce à la réduction des délais ; une baisse de temps de sortie et de dédouanement des marchandises ; une prévisibilité dans l’application et l’interprétation des règles et enfin une plus grande efficience dans l’utilisation des ressources économiques. Pour l’Etat, le GUCE permet une utilisation plus efficace et rentable des ressources; des rentrées régulières (et souvent accrues) des recettes ; une meilleure discipline des opérateurs commerciaux ; un renforcement de la sécurité et enfin une amélioration de l’intégrité et de la transparence.
Dès 1999, le pays a choisi le système SYDONIA++, développé par la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED), pour l’automatisation de ses bases de données et de ses statistiques de recettes douanières. Les mesures les plus emblématiques concernent (i) l’informatisation de l’administration douanière et notamment les postes frontaliers de Ndjamena (Nguéli et Moundou/Touboro), (ii) la limitation des check-points à 12 sur les deux corridors N’Djamena-Douala par Kousseri et N’Djamena-Douala par Touboro et enfin (iii) la baisse significative du coût de transport sur le corridor.

Malgré tous ces efforts, force est de constater que les recettes douanières ne se sont pas significativement améliorées. Plusieurs raisons sont évoquées dont un manque de communication sur les avantages qu’offre le GUCE. En plus de cela, le déploiement du logiciel SYDONIA ++ à travers les 10 principaux postes douaniers sur les 70 postes que compte le pays se heurte à des nombreux obstacles (faible qualité de la connexion internet pour mettre en réseau les principaux postes douaniers). Actuellement, ce logiciel n’est opérationnel que dans 4 postes douaniers traitant près de 40% des déclarations douanières du pays (OMC, 2013).

Au-delà de ces obstacles techniques, la véritable entrave à son déploiement demeure la résistance d’un certain nombre de groupes d’intérêts qui verraient disparaitre leur intérêts si ce système devenait pleinement opérationnel.

Cela se traduirait bien entendu par une diminution des possibilités d’enrichissement illicites. C’est donc la résistance de ces groupes d’intérêts qui explique ce retard dans la pleine opérationnalisation du GUCE. A ces raisons, il convient aussi d’ajouter la nécessité de la mise en œuvre d’actions coordonnées en faveur de la réduction des exemptions fiscalo-douanières (FMI, 2011).

Baisse des performances de collecte avec l’arrivée des recettes pétrolières

Des travaux récents montrent que les pays riches en ressources naturelles ont moins d’incitations à collecter les autres recettes fiscales (Bornhorst et al, 2008). Ainsi, dans le cas du Tchad, l’arrivée des recettes pétrolières explique dans une certaine mesure la faible incitation du gouvernement à s’impliquer davantage dans la mise en œuvre des réformes nécessaires à une meilleure mobilisation des recettes hors pétrole.

Montagnat-Rentier and Parent (2012)

Bien que l’intégration économique se soit traduite par une baisse des recettes douanières dans la plupart des PED, la baisse de ce type de recettes au Tchad est très en deçà de la moyenne des pays de l’Afrique subsaharienne francophones. En effet, alors qu’en moyenne, les impôts et taxes sur le commerce extérieur représentaient 12% des importations en 2009 pour ces pays, ceux du Tchad sont passés entre 1996 et 2009 de 13,7% à 2,5%, ce qui correspond à une baisse de près de 82% (Montagnat-Rentier et Parent, 2012). Sur la même période, alors qu’on assiste à une hausse moyenne des impôts et taxes sur le commerce extérieur de 8,3%, au Tchad par contre, on a assisté à la plus importante chute (-57,1%).
La cause de cette mauvaise performance est intimement liée à la corruption endémique qui sévit au sein de la douane. Bien que cette corruption soit relativement répandue dans les PED, la particularité du Tchad est que l’instabilité politique qu’a connue le pays a exacerbé ce déficit de gouvernance. Ainsi, d’après le rapport Doing Business 2010 de la Banque Mondiale, il faut 8 150 $ pour importer un container au Tchad contre 5 069 $ et 2 503 en moyenne respectivement dans la zone CEMAC et UEMOA. Le pays occupe l’avant dernière place (124ème/125) du classement des pays par rapport à l’efficience de leur administration douanière.

Ces indicateurs sont corroborés par ceux de la performance de mobilisation des recettes fiscales hors pétrole. Ainsi, la pression fiscale hors-pétrole du pays est la plus faible de la zone Franc, comptant pour 7,4% du PIB hors pétrole en 2013 comparé à la moyenne dans la zone CEMAC qui était de 14%, tandis que celui de la zone UEMOA était de 16%. La plus grande partie de ces recettes hors pétrole (66% en moyenne sur la période 2010-2012) provient de la Direction Générale des Impôts qui a par exemple collecté en 2012 près de 242 milliards de FCFA sur 373,4 milliards de FCFA de recettes hors pétrole. Le second plus grand contributeur est la douane avec 28% suivi de façon marginale par la Direction Générale du Trésor avec 2,9%.

Répartition des recettes pétrolières par régies financières sur la période 2010-2012 Source : Ministère des Finances et du Budget
Répartition des recettes pétrolières par régies financières sur la période 2010-2012
Source : Ministère des Finances et du Budget

Des actions pour une plus grande mobilisation des recettes douanières

La crise des finances publiques au Tchad doit être analysée comme une opportunité pour une meilleure discipline budgétaire. Les récents changements à la tête de ces administrations peuvent être perçus comme une certaine volonté de l’Etat d’améliorer la gestion des finances publiques. Gageons que ces réformes s’inscriront dans la durée. L’appui technique et financier des partenaires au développement est plus que nécessaire pour une pérennisation des acquis qui seront engrangés suite aux réformes en cours. Bien que l’opération médiatisée de recensement de vrais -douaniers en 2012 ait permis de purger cette administration de faux-douaniers qui y pullulaient. Il devient tout aussi urgent de briser le cercle-vicieux de reversement système des combattants dans les administrations. La déliquescence de l’administration tchadienne trouve son origine dans cette pratique (Lire Tchad Eco n° 4).

Pour résoudre cette problématique de réinsertion des ex-combattants des rébellions armées, il faudrait penser à mettre en place des programmes de démobilisation-réinsertion beaucoup plus efficaces que ceux qui ont été mise en place ces 25 dernières années. Debos (2013) montre que sitôt les accords de paix signés et après avoir bénéficié de quelques compensations en espèces, les combattants reprennent les armes à la première occasion dès qu’un leader de leur région d’origine ou membre de leur groupe ethnique leur fait appel. En outre, parvenir à briser le cercle vicieux du business de la guerre exigerait non seulement d’améliorer la gouvernance démocratique mais aussi ses composantes économique et financière. Si des actions couronnées de succès sont menées dans ces trois axes, cela devrait se traduire par une amélioration de la qualité des institutions. Cette amélioration de la qualité des institutions est le seul gage d’une plus grande efficacité des politiques publiques.

Parvenir à réorganiser la douane tchadienne est une tâche qui sera complexe et risquée tant les intérêts en jeu sont importants. Sa réussite est conditionnée à une forte volonté politique et tout porte à croire que dans le contexte actuel, il y’ait une certaine convergence d’intérêts pour pouvoir mener à bien ces réformes cruciales pour le devenir socioéconomique du pays.

Guy Dabi GAB-LEYBA

 

 

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