Téléphonie mobile au Tchad: Un marché en plein boom malgré des prix élevés et une qualité médiocre des services

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Coûts de communication élevés, qualité de connexion médiocre,… Tels sont les griefs des usagers lorsqu’on évoque avec eux le sujet controversé de la téléphonie mobile au Tchad. Ce secteur qui a connu un essor considérable depuis le début des années 2000s constitue désormais l’une des principales sources de recettes budgétaires du pays.

Source : http://telephoneretranger.com
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Compte tenu de son importance dans l’économie du pays et de ses enjeux financiers, il est intéressant de mettre en évidence les caractéristiques de ce secteur au Tchad notamment son poids réel dans l’économie du pays et sa contribution aux recettes budgétaires.

La téléphonie mobile en Chiffres au Tchad

tableauPoids de la téléphonie mobile dans l’économie tchadienne 

Au Tchad, comme dans la plupart des pays en développement, la téléphonie mobile a enregistré une rapide croissance depuis le début des années 2000s. Le taux de pénétration de la téléphonie mobile est ainsi passé de 0,07% en 2000 pour s’établir à 39,75% en 2014. Cette hausse du taux de pénétration s’est traduite par une hausse du chiffre d’affaires qui est passé de 110,6 milliards de FCFA en 2010 pour s’établir à 178 milliards de FCFA (271 millions d’€) en 2014, soit une croissance moyenne annuelle de l’ordre de 10% depuis 5 ans.)

Malgré cet essor, le secteur emploie peu de personnes directement. Une enquête de l’Autorité de Régulation des Communications Electroniques et Postales (ARCEP, 2015) estime que le secteur employait directement plus de 1 200 personnes en 2015 dont près de la moitié (48,2%) pour l’opérateur public SOTEL suivi respectivement de Tigo (27,8%) et d’Airtel (24%).

Les caractéristiques du marché des télécoms au Tchad s’assimilent à une situation de duopole entre Airtel, propriété du groupe indien Bharti et Millicom Chad avec le nom de marque Tigo. Depuis 2010, Tigo est devenu leader du marché devant Airtel avec 56% des parts de marché contre 43% des parts pour Airtel. L’opérateur public qui gère la téléphonie fixe (Tawali) et mobile (Salam) ne pèse que pour 1,3% des parts de marché auquel il faudrait ajouter les Fournisseurs d’Accès Internet (FAI) avec 0,003%. Compte tenu de la proportion relativement élevé d’usagers utilisant les réseaux des deux opérateurs, le nombre d’usagers unique de la téléphonie mobile a été ramené à 3,1 millions de personnes correspondant à un taux de pénétration net de 26,5% (ARCEP, 2015).

graphique 1

Depuis 2010, Tigo est devenu leader du marché devant Airtel avec 56% des parts de marché contre 43% des parts pour Airtel.

 

Contribution de la téléphonie mobile aux recettes budgétaires

Grâce à sa caractéristique d’avoir un nombre limité de collecteurs, le secteur de la téléphonie mobile est relativement facile à taxer comparativement aux autres secteurs et beaucoup plus dans les pays en développement où la base taxable est relativement étroite. Il existe plusieurs études traitant de la fiscalité de la téléphonie mobile au Tchad. La dernière en date publiée en 2015 par Deloitte sur la base des données de l’année 2013 estime à 23,8% la part des impôts et redevances versés à l’Etat en proportion du chiffre d’affaires alors que la moyenne mondiale s’établissait à 31,9%. Avec un chiffre d’affaires de 155,83 milliards de FCFA, cela signifie que la téléphonie mobile a rapporté en 2013 près de 37,09 milliards de FCFA d’impôts et redevances à l’Etat.

Il est identifié pas moins de 16 impôts et taxes payés par les utilisateurs et les opérateurs. A ces impôts et taxes, il convient d’ajouter les redevances payées au profit de l’ARCEP. Mis à part les droits et TVA sur les importations des téléphones portables, les usagers supportent la TVA sur les appels, les SMS et les données mobiles au taux de 18%, la redevance audiovisuelle au taux forfaitaire de 10 FCFA pour le premier appel de la journée, les redevances FNDS et environnement aux taux respectifs de 1,18 FCFA et 1 FCFA par appel.

Mis à part ces impôts supportés par les usagers, les opérateurs supportent principalement l’impôt sur le revenu des sociétés dont le taux au Tchad est fixé à 40%, ce qui est largement au-dessus de celui appliqué dans les pays de l’UEMOA (entre 25 et 30%) ou dans les pays développés (15 à 20%).

graphique 2Perception de la qualité des services mobiles au Tchad

En dépit du boom dans ce secteur, la qualité des services mobiles est jugée médiocre par la plupart des utilisateurs. Ces derniers déplorent en particulier la cherté et la lenteur des connexions internet. Pour les appels, en dehors des grands centres urbains, ceux-ci sont souvent perturbés dans les petites villes. Une enquête réalisée en 2011 par Clarity Telecom montre par exemple que 86% des utilisateurs d’internet estiment que les connexions au Tchad sont lentes. Comme nous le montrons dans l’encadré 1, l’amélioration de la qualité des connexions internet au Tchad a pris du retard en raison des déconvenues dans le déploiement de la fibre optique.

graphique 3
Source : Rapport de l’étude de l’ARCEP (ex-OTRT) réalisée par Clarity Telecom (2014).

 

 

 

 

 

 

 

L’épineuse question de l’accès internet

Le faible taux de pénétration d’internet au Tchad (1,90% en 2011 contre 5,7% en Afrique subsaharienne) atteste du retard pris par le pays et de l’échec des différents projets mis en œuvre depuis 2009 afin de doter le pays d’un réseau de fibres optique (voir Encadré 1). La crise structurelle que traverse l’opérateur public SOTEL est une des raisons du faible niveau de développement de l’internet filaire ou ADSL. C’est ce qui explique qu’actuellement, la majorité des usagers utilisent les connexions mobiles. Ce type de connexion est caractérisé par une certaine lenteur en raison de l’étroitesse de la bande passante. Le déploiement de la fibre optique était censé permettre à la fois d’améliorer la fluidité de la connexion internet mais aussi à en réduire le coût.

graphique 4

Le coût du mobile est-il si élevé au Tchad ?

Pour apprécier le coût supporté par les usagers des services de téléphonie mobile, on utilise l’ARPU (Average Revenu Per User). Il est obtenu en divisant le chiffre d’affaires par le nombre d’abonnés. Selon les résultats d’une étude de l’ARCEP, en 2013, chaque utilisateur de téléphone dépense en moyenne 2800 FCFA chaque mois pour ses communications (appels, SMS et internet). Sur la période 2008-2013, les données montrent que ce coût a baissé d’au moins 38%. Bien que les prix aient considérablement baissé, les usagers les estiment toujours élevés. En témoigne une enquête de l’ARCEP datant de 2011 qui montre que 38% des personnes interrogées estimaient que les prix pratiqués sont chers contre 53% qui les estimaient satisfaisants. 

Comparé à d’autres pays, l’ARPU du Tchad (43 951 FCFA par an) se situe dans la moyenne mondiale d’après une étude publiée en 2015 par le cabinet Deloitte. En effet, d’après cette étude, l’ARPU annuel se situe dans une fourchette compris entre 17 000 FCFA au Sri Lanka et 97 797 FCFA en Jamaïque.

Le TCMO (Tax in % of the Cost of Mobil Ownership) est un autre indicateur mesurant la part des impôts et taxes dans le coût d’achat et d’usage des téléphones portables. Il permet de comparer la taxation de la téléphonie mobile entre pays. Les résultats de l’étude de Deloitte montrent qu’au Tchad, chaque utilisateur supporte 12 750 FCFA par an au titre d’impôt et taxes alors que la moyenne mondiale (20 760 FCFA) est largement au-dessus. Cela signifie par conséquent que la charge fiscale supportée par les usagers au Tchad contrairement à ce qu’avancent les opérateurs est largement en dessous des moyennes mondiales. Il n’en est pas de même de l’impôt sur le revenu des sociétés dont le taux appliqué au Tchad (40%) est supérieur à ceux de la plupart des pays du monde. Dans tous les cas, les charges fiscales supportés par les usagers et les opérateurs se répercutent sur le prix final des services de téléphonie mobile (appels, SMS et connexions internet) et expliquent dans une certaine mesure leur cherté.

Une autre explication des prix élevés pratiqués par les opérateurs pourraient être le niveau élevé du coût de fonctionnement et notamment le poste dépense énergétique. Bien que nous n’ayons pas d’éléments chiffrés nous permettant de comparer ces charges, il est logique de penser que ces derniers expliquent dans une certaine mesure le faible niveau de compétitivité des entreprises tchadiennes. En effet, au Tchad, toutes les entreprises disposent d’un groupe électrogène et l’énergie constitue l’un des principaux postes de dépense. Cela est confirmé par le rapport 2012 du World Economic Forum sur la compétitivité dans lequel est le Tchad est classé 140ème sur 144 pays en matière de fourniture de l’énergie électrique. Ce rapport mentionnait aussi que « le développement du secteur privé reste entravé par de nombreux autres facteurs comme la corruption, le faible niveau de développement des infrastructures routières et de transport, la crise énergétique récurrente, … ».

Une autre explication des prix élevés pratiqués par les opérateurs pourraient être le niveau élevé du coût de fonctionnement et notamment le poste dépense énergétique.

 

Source : Observatoire annuel 2013 de l’ARCEP

Des actions en vue d’une amélioration de la téléphonie mobile au Tchad

La loi n°013/PR/2014 relative aux communications électroniques a conféré à l’ARCEP la mission de réguler les activités des compagnies de téléphonie mobile au Tchad en vue de protéger les usagers. Cependant, force est de constater que ces derniers estiment que leurs intérêts ne sont pas véritablement défendus par cet organisme.

Des organisations de la société civile telles que l’association de défense des consommateurs (ADC) se sont fixés pour mission de mener des actions afin de contraindre les opérateurs à améliorer la qualité de leurs services et à en réduire les coûts. Dans ce cadre, plusieurs journées de boycott des services mobiles ont été organisées dans le pays (15 Mars 2013, 6 Mai 2015 et 30 janvier 2016). Il est permis de douter de l’impact réel de ces actions si le régulateur n’arrive pas lui-même à contraindre les opérateurs à baisser le prix et à améliorer la qualité de leurs services.

Etant donné qu’il est difficile dans le contexte actuel de baisser la charge fiscale des opérateurs et des usagers de téléphonie mobile compte tenu du faible niveau de pression fiscale hors pétrole, il conviendrait de mener des actions en faveur d’une amélioration de la compétitivité des entreprises. Cela passe par exemple par un accroissement de l’offre en électricité afin d’en réduire le coût mais aussi l’opérationnalisation de la fibre optique. Il est certain que la mise en exploitation effective de cette fibre attendue pour la fin de cette année permettrait un accroissement du taux de pénétration d’internet au Tchad en plus de l’amélioration de la productivité.

Guy Dabi GAB-LEYBA

 

 

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