Editorial : le secteur des télécommunications : un potentiel inexploité au Tchad ?

Au Tchad comme partout dans le monde, l’importance des télécommunications dans le développement socioéconomique n’est point à démontrer. L’expansion exponentielle du secteur des télécommunications justifie à juste titre ce rôle prééminent dans les économies modernes. Ainsi, selon le journal The Economist (2009), « aucune technologie ne s’est jamais diffusée aussi rapidement dans le monde. » De nos jours, plusieurs innovations sont adossées aux télécommunications et ce dans tous les secteurs porteurs de croissance tels que l’agriculture, la finance, la santé, le commerce, le transport, etc. La contribution du secteur à la création des richesses nationales a été mise en évidence par plusieurs études empiriques (Jalava et Pohjola, 2002 ; Waverman et al., 2005 ; Qiang, 2009). Ces études montrent aussi que la contribution de l’industrie du mobile est plus forte dans les pays en développement que dans les économies développées.

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Des usagers de la téléphonie mobile au Tchad. Source : Jeune Afrique

La pénétration de l’industrie du mobile sur le marché tchadien s’est faite à la fin des années 90s avec l’entrée en scène du premier opérateur privé de téléphonie mobile LIBERTIS. Les années 2000s ont vu l’arrivée de plusieurs autres opérateurs et ce suite à la libéralisation du marché des télécommunications. On compte aujourd’hui au total quatre opérateurs de téléphonie (fixe et mobile). Cependant, il est important de relever que le secteur de la téléphonie est ultra dominé par le mobile avec deux mastodontes dont les parts de marché représenteraient plus de 98% (Tigo et Airtel) en 2014. D’après le rapport de l’ARCEP (2014), le secteur des télécommunications comptait en 2014, 5 275 300 clients, soit un taux de pénétration de 40,4%. Un taux qui place le pays parmi les moins pénétrés par cette technologie ; les pays comme le Gabon, le Mali, le Ghana, le Congo et la Mauritanie ont dépassé la barre de 100% de taux de pénétration, sans prise en compte du phénomène de multi SIM. En outre, le secteur a cumulé la même année un chiffre d’affaires global de 178 milliards de FCFA (271,4 millions d’euros). Compte tenu de sa contribution en recettes fiscales (37,09 milliards de FCFA d’impôts et redevances en 2013), en emploi (plus de 1 207 emplois directs formels en 2013), à la réduction des coûts de transactions et en diverses ressources dérivées, l’industrie du mobile vient juste après le pétrole en termes de contribution à la création de richesse nationale.

Malgré l’expansion du secteur de la téléphonie mobile induite par la libéralisation du secteur au Tchad, les services proposés restent chers et la qualité du réseau fortement critiquée par les abonnés. Le tarif d’interconnexion du Tchad reste deux fois, voire trois fois plus élevé que celui de beaucoup d’autres pays semblables (ARCEP, 2014). A ces tarifs exorbitants, s’ajoute la qualité médiocre des services offerts, pour ne pas dire plus. On est même tenté dire que les opérateurs ont choisi de casser le sucre sur le dos des consommateurs, dixit l’éditorialiste de la télé Tchad, M. Ahmat Makaïla. Malheureusement, ni l’Autorité de Régulation des Communications Electroniques et des Postes, ou moins encore l’Association pour la Défense des Droits des Consommateurs demeurent impuissantes face à cette arnaque. En plus, la différentiation on-net (intra-réseau)/off-net (inter-réseaux), punie par la loi sous d’autres cieux en raison de son caractère anti-concurrentiel, est pratiquée par tous opérateurs au Tchad, faisant du consommateur la seule victime. Pis, malgré le nombre relativement élevé d’opérateurs, le consommateur doit supporter différentes taxes imposées par l’Etat pour le financement de ses politiques sectorielles. Ainsi, au début l’Etat avait imposé une redevance audiovisuelle de 10 F CFA sur le premier appel passé ou message envoyé dans la journée pour le financement de la création artistique, la presse, la formation professionnelle dans le métier de la communication et les droits d’auteur. Puis, 1,18 F CFA par appel téléphonique au profit du Fonds national de développement du sport (FNDS), 1 F CFA au profit du Fonds national de développement des sports, 50 F CFA par minute sur chaque appel international entrant au pays, etc. Bref, le consommateur se trouve être désabusé par cet imbroglio technico-financier.

Bien que ces différents prélèvements sur les services de téléphonie mobile soient qualifiés de financements innovants par les institutions internationales, il n’en demeure pas moins que leur mode de gestion interne au Tchad soit entaché d’irrégularités. Le fiasco entourant le retrait de l’équipe nationale de foot des qualifications de la CAN 2017 en dit plus.

L’industrie du mobile ne peut jouer pleinement son rôle que si le processus d’adoption est facilité par tous les acteurs. Ainsi, l’Etat, en admettant la concurrence, protège non seulement le consommateur, mais accroît également les possibilités de renflouer ses caisses à travers des recettes fiscales. Il se doit également de créer les conditions et infrastructures nécessaires pour permettre au secteur de libérer toutes ses potentialités. Les opérateurs téléphoniques se doivent d’innover en proposant des services adaptés au contexte national. Ce n’est pas de la magie si le Kenya est connu aujourd’hui sous le surnom de « Silicon Savannah » en matière d’innovations financières à travers la téléphonie mobile. La société civile quant à elle se doit d’être ingénieuse dans sa stratégie de défense de droits des consommateurs que nous sommes.

Vu l’apport combien de fois important du secteur des télécommunications dans nos sociétés, Tchad Eco consacre son dixième numéro au rôle des télécommunications dans la soutenabilité de l’économie tchadienne. Il met un accent particulier sur l’analyse des différents goulets d’étranglement susceptibles de nuire le développement de ce secteur en proposant des pistes de solutions innovantes à toutes les parties prenantes pour permettre à ce secteur de libérer toutes ses potentialités comme dans les autres pays en développement. Et puis, la conjoncture économique et politique ne justifie-t-elle pas un tel thème ?

 

Jareth BEAIN Président du CROSET

 A propos de l’auteur : Economiste spécialiste en Gestion de Politique Economique (GPE du CERDI), Jareth BEAIN dispose d’une longue expérience au sein d’un think thank spécialisé sur les questions de gestion des ressources naturelles. Il a été également consultant pour la Banque Mondiale. Il est Directeur de Publication de Tchad Eco et Président du CROSET. Pour voir le profil Complet de Jareth BEAIN.

 

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