Interview de l’ancien Ministre de l’Economie et de la Planification du Développement M. Ngueto Tiraina Yambaye

L’ancien Ministre de l’économie et de la planification du développement M. Ngueto Tiraina Yambaye

Tchad Eco s’est approché du Ministre de l’Economie et de la Planification du Développement dans une interview spéciale, interview réalisée avant le dernier remaniement ministériel. En poste en tant que Ministre, il nous livre ses propos au sujet du PND et de la Table Ronde de Paris

Tchad Eco (TE): Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Je m’appelle Ngueto Tiraina Yambaye, je suis Economiste de Formation et de Profession et je dirige le Ministère de l’Economie et de la Planification du Développement depuis le 5 février 2017.

Je suis marié et père de cinq enfants.

TE : Le Tchad vient d’élaborer sa « Vision 2030, le Tchad que nous voulons » et son Plan National de Développement 2017-2021 (PND 2017-2021). La Vision vise l’émergence du Tchad à l’horizon 2030 et le PND 2017-2021 doit « jeter les bases de cette émergence ». Quels sont les contenus de ces deux documents de planification du développement ?

NTY : Je voudrais vous remercier pour cette opportunité que vous nous offrez pour expliquer à l’opinion publique ce que c’est la Vision 2030 du Président de la République et son premier PND 2017-2021. En effet, cet entretien entre en droite ligne des instructions du Chef de l’Etat qui exhorte chaque Ministre à communiquer plus avec les Media pour que la population soit bien informée sur les activités de chaque département ministériel.

Il faut noter que quatre axes stratégiques ont été retenus dans la Vision 2030 et le PND 2017-2021 pour enclencher la transformation structurelle de l’économie tchadienne et promouvoir une croissance forte, durable, créatrice d’emplois décents pour l’amélioration du bien-être social. Ces quatre axes stratégiques sont : l’Unité Nationale (I) ; la Bonne gouvernance et l’Etat de droit (II) ; Une Economie diversifiée et compétitive (III) ; l’Amélioration de la qualité de vie de population (IV).

S’agissant de l’Axe 1 « bâtir une nation unie et créative », deux sous-axes ont été identifiés : (i) la promotion d’une culture de paix, des valeurs citoyennes et de la cohésion nationale ; et (ii) la promotion des valeurs culturelles et le redimensionnement du rôle de la culture comme levier de développement inclusif.

Concernant l’Axe 2 « renforcer les bases de la Bonne Gouvernance et de l’Etat de droit », quatre (04) sous-axes ont été définis : (i) la promotion de la performance et de la motivation dans l’administration publique ; (ii) la promotion d’une bonne gouvernance économique ; (iii) le renforcement de la gouvernance démocratique ; et (iv) le renforcement de la sécurité comme facteur de développement.

L’Axe 3 du PND 2017-2021 qui vise à « diversifier les sources de croissance économique et à dynamiser les secteurs porteurs de croissance et créateurs d’emplois décents », comporte trois sous-axes: (i) une économie diversifiée et en forte croissance ; (ii) un financement de l’économie assuré majoritairement par l’épargne intérieure, les crédits à l’économie et les capitaux privés étrangers ; et (iii) des infrastructures comme levier du développement durable.

Enfin, s’agissant de l’axe 4 qui a pour objectif de « créer un cadre de vie propice à l’épanouissement de la population tchadienne, tout en assurant la préservation des ressources naturelles et en s’adaptant aux changements climatiques », il est structuré en deux sous-axes, à savoir : (i) un environnement sain avec des ressources naturelles préservées ; et (ii) un cadre propice à l’épanouissement du bien-être.

Pour chacun de ces axes, des programmes et Projets ont été inscrits dans le Programme d’Actions Prioritaires, conformément aux priorités exprimées par les départements sectoriels.

Une fois adopté, le PND 2017-2021 constitue l’unique cadre programmatique de référence pour toutes les interventions en matière de développement socio-économique du pays. Les différents programmes de coopération doivent contribuer effectivement à réaliser ses priorités et le budget de l’Etat devra refléter ces priorités dans l’allocation des ressources.

TE : Quelles sont les hypothèses sur lesquelles est basée l’élaboration du PND 2017-2021 ?

NTY : Les objectifs macroéconomiques et budgétaires assignés au PND 2017-2021 visent à porter le taux de croissance moyen annuel à 3,3% sur la période 2017-2021. En effet, le schéma de croissance du PND découle du cadrage macroéconomique réalisé selon le scénario de référence. Ce scénario réaliste est construit à partir de la situation économique et financière actuelle, du contexte sous-régional et international. Il prend également en compte le plan de réformes à court et moyen termes et les mesures communautaires prises en décembre 2016 par les pays de la CEMAC.

TE : Par quels mécanismes, la Vision et le PND 2017-2021 permettront d’atteindre l’émergence du Tchad à l’horizon 2030 ?

NTY : Le Dispositif institutionnel national de Suivi et d’Evaluation de la mise en œuvre est un facteur déterminant pour atteindre les objectifs. En effet, les mécanismes retenus ont été formulés à partir des leçons tirées des expériences passées et doivent être dynamiques. L’Economie tchadienne demeure sous financée et encore non saturée et il est plus aisé pour un investisseur de rentabiliser ses investissements au Tchad qu’ailleurs.

Par exemple, le Système bancaire et financier du Tchad ne finance pas la plus grande partie de notre économie portée par l’Agriculture et l’élevage et qui représente 80% en termes de PIB et aussi 80% des tchadiens vivent en milieu rural. Le PND cherche à combler ce déficit de financement de l’Economie en mettant l’accent sur le financement de l’Economie agro-pastorale et rurale pour booster une croissance inclusive et l’emploi.

TE : Le Tchad a organisé une Table Ronde de mobilisation de ressources pour le financement du Plan d’Action Prioritaire du 06 au 08 Septembre 2017 à Paris. Quels en sont les résultats ?

NTY : L’organisation d’une Table ronde est d’abord un exercice de communication et de plaidoyer pour mieux faire connaitre au reste du monde ce que notre pays dispose comme atouts en matière d’opportunité d’investissement. Vous étiez témoin que cette Table ronde a connu un franc succès comme évoqué dans son communiqué final rendu public. IL faut noter que le Président de la République a réussi le pari de formuler une nouvelle politique économique de long terme (Vision 2030) assortie de son premier Plan quinquennal PND 2017-2021. L’organisation de la Table ronde de Paris qui en est la phase de mobilisation des ressources a permis à travers son succès éclatant faire comprendre au reste du monde que le Tchad est une économie qui compte où il faut venir investir. Le soutien et l’engagement personnel du Chef de l’Etat pour ce grand Forum a contribué à son succès.

Le Tchad a obtenu un peu plus de 20 milliards de dollars de promesse de soutien financier de la part de ses partenaires techniques et financiers, traditionnels et non traditionnels. C’est quatre fois plus que le montant du gap prévisionnel recherché pour boucler le financement du PND qui est de 3700 milliards de FCFA.

TE : A l’issue de la Table ronde, le Président de la République du Tchad a déclaré, « je suis venu les poches vides et je repars les poches pleines ». Qu’est-ce que le tchadien lambda doit retenir de cette déclaration ?

NTY : S.E. M. le Président de la République, Chef de l’Etat exprimait surement sa joie après la lecture du communiqué final de la Table Ronde. Ce sont des annonces sur les intentions de financements émanant de chaque partenaire technique et financier. Comme telles, nous devrons continuer a travailler pour mobiliser effectivement ses ressources. C’est ce que le Gouvernement est en train de faire dans la phase post Table Ronde à ce jour, conformément aux mécanismes retenus.  Il faudrait aussi noter que la mise en œuvre du PND s’étale sur la période de cinq ans et les décaissements se feront sur la période de 2017-2021.

TE : Quel est le mécanisme de suivi et évaluation du PND 2017-2021 ?

NTY : Pour en savoir un peu plus, je vous renvoie aux termes du Décret n° 1725/PR/2017 du 02 octobre 2017 portant « mise en place d’un dispositif institutionnel national de suivi et d’évaluation de la mise en œuvre du PND 2017-2021 ».

Le dispositif existe effectivement et la mise en œuvre du PND est en marche. A la date du 20 Décembre 2017, nous avions déjà sécurisé plus de 1 000 milliards de FCFA pour les Projets publics et prives.

TE : En écoutant les réactions de certains tchadiens suite à l’organisation de la Table Ronde de Paris, la question de la bonne gestion de ressources financières promises revient le plus souvent. D’autres pensent que ces ressources promises pourraient être utilisées comme les ressources pétrolières qui n’auraient pas permis au pays de se développer. Auriez-vous des commentaires par rapport à ces propos ? Et comment renforcer la confiance de la population à l’action publique ?

NTY : En écoutant les réactions de certains tchadiens suite à l’organisation de la Table Ronde de Paris, la question de la bonne gestion de ressources financières promises revient le plus souvent. D’autres pensent que ces ressources promises pourraient être utilisées comme les ressources pétrolières qui n’auraient pas permis au pays de se développer. Auriez-vous des commentaires par rapport à ces propos ? Et comment renforcer la confiance de la population à l’action publique ?

Effectivement, la question m’a été posée à maintes reprises. Trois cents fiches de projets et programmes de développement se trouvant à des stades différents étaient adossées au PND 2017-2021 présenté à la Table Ronde de Paris. Les ressources qui seront mobilisées sont destinées à financer ces Projets qui émanent soit du secteur public, privé, des ONG et de l’organisation de la société civile, de certaines communautés voire des individus ou groupe. Lors de la Table Ronde, il y avait des séances de négociations en parallèle (B to B) où les promoteurs des projets ont pu discuter et signer des Mémorandum d’Entente (MOU) avec les potentiels investisseurs. Cet exercice se poursuit à ce jour avec les différents groupes pour concrétiser les intentions initiales.

Le développement étant un processus à long terme, les négociations pour la mobilisation des ressources se poursuivent et le Gouvernement se propose d’organiser quatre Forum en 2018 en complément de la Table ronde de Paris.

Bref, le dispositif de suivi de la mise en œuvre du PND crée toutes les conditions de transparence et d’efficacité de la gestion des ressources mobiliseés dont la plus grande partie est orientée vers le secteur privé.

TE : Le Tchad traverse une crise économique depuis le second semestre de 2014. Le PND 2017-2021 est-il une réponse à cette crise ?

NTY : En Economie comme je le disais, le développement est un processus continu et le PND n’est pas une réponse à la crise dont vous parlez. La vision 2030 et le PND 2017-2021 ont une existence indépendante de la crise financière actuelle. Qu’il y’ait crise ou pas, le Gouvernement a besoin d’un cadre programmatique de référence pour mettre en œuvre sa politique économique et sa vision. La crise est un phénomène conjoncturel qui habite toute économie et elle se produit de manière cyclique. Les instruments pour juguler la crise sont des mesures d’urgence et de court terme. La crise actuelle étant conjoncturelle et structurelle, le gouvernement a mis en place un cadre de réflexion qui doit développer après une étude et une analyse approfondie du diagnostic de l’économie nationale, propose des mesures idoines de stabilisation et de relance de l’Economie nationale. Ce cadre appelé Plan d’Urgence de Relance de l’Economie Tchadienne (PURET) complète utilement le processus du PND. L’objectif principal est la transformation structurelle de notre économie basée sur la diversification. Celle-ci générera des ressources importantes pour anticiper sur les crises.

Avec la Directrice Générale du FMI, Mme Christine LAGARDE

TE : Pour le Tchadien lambda, la conjoncture économique du pays est le signe de la malédiction des ressources naturelles. Qu’en pensez-vous ? Comment réduire la dépendance de l’économie tchadienne aux ressources pétroles ?

NTY : Je ne pense pas qu’il y a « malédiction des ressources naturelles ». Une expérience a été faite et les leçons tirées nous servent à mieux nous éclairer pour l’émergence souhaitée de notre pays en 2030. La transformation structurelle de notre économie et sa diversification permettront à notre économie nationale de développer des résistances aux chocs exogènes et d’éviter que notre économie soit dépendante d’un seul secteur comme le pétrole par exemple.

Le développement étant un concept global et intègré, il est un tout cohérent et les réponses financières seules ne font pas le développement. L’argent seul ne vous permet pas de vous développer, il faut aussi bien gérer ses ressources et dans la durée, avoir des capacités d’anticipation pour ne pas être surpris par une crise quelconque. L’émergence du Tchad en 2030 comme vision du Chef de l’Etat est possible ; il nous appartient, nous tchadiens, de travailler encore plus pour atteindre cet objectif qui est très possible parce que le Tchad dispose de tous les atouts.

TE : De nombreuses réformes ont été implémentées ou sont en cours d’exécution dans divers secteurs de l’économie du pays (finances publiques, climat des affaires, etc.). Quel bilan en faites-vous ? Et que préconisez-vous pour que ces réformes aient les résultats escomptés ?

NTY : Le PND 2017-2021 a tout prévu ces actions en termes de réformes préalables à mettre en œuvre pour l’atteinte de l’objectif recherché et redonné confiance à tous les différents investisseurs et partenaires techniques et financiers. A la fin de chaque Axe du document du PND2017-2021, vous trouverez un tableau avec un chronogramme précis. C’est une exigence pour la stabilité macroéconomique, booster le secteur privé national, dont 67% du financement du PND lui sont réservés ainsi que l’attrait des investisseurs directs étrangers (IDE).

Les reformes sont un processus continu et dynamique et nous le faisons pour notre bien d’abord afin de mettre à jour notre Système économique afin qu’il soit toujours performant et compétitif. Dans le cadre du PND, nous avions préconisé évaluer même toutes les réformes déjà mise en œuvre pour mieux apprécier leurs pertinences. Il s’agira pour nous de nous remettre régulièrement en cause de façon lucide et objective pour toujours être plus performant. Le dispositif de suivi de la mise en œuvre du PND est une parfaite réponse a votre préoccupation.

TE : Les différents rapports des précédentes stratégies de développement du Tchad ont souligné la faible appropriation de ces documents par la population qui en est par ailleurs l’ultime bénéficiaire. Quelles sont les stratégies mises en place pour une meilleure appropriation du PND 2017-2021 par la population ?

NTY : L’appropriation est fondamentale pour la mise en œuvre et le suivi-évaluation. Au-delà du fait que l’élaboration de la Vision 2030 et de son premier PND 2017-2021 a été participative et inclusive, le Gouvernement est conscient qu’il faut encore intensifier le volet communication tant au niveau national qu’international. A cet effet, le Ministère de l’Economie et de la Planification du Développement en collaboration avec les Ministères sectoriels et avec l’appui de certains partenaires techniques et financiers est en train de mettre en place une stratégie de communication et un plan d’action annuelle de communication tous azimuts dans ce sens.

Interview réalisé par Jareth BEAIN.

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