L’Etat, n’étant pas un acteur économique comme les autres, le financement de ses dépenses a toujours été sujet de controverses et des débats. Il semble d’ailleurs que c’est le seul sujet ayant trait aux ressources que les non économistes abordent de façon décomplexée avec les spécialistes du domaine. C’est ainsi que du temps des rois mages à l’époque des démocraties républicaines, le financement des dépenses de l’institution publique et la question de son déficit ont divisé au-delà des cercles économiques.
Malgré la pluralité des opinions sur le sujet, nous avons globalement regroupé celles-ci en deux grandes familles : il y a ceux qui estiment que l’Etat en tant que garant de la puissance publique devrait avoir accès aux ressources de façon illimitée et d’autres qui estiment que la non limitation de ses ressources peut entrainer des comportements déviants et perturber l’allocation des ressources à la collectivité. Il est bon de savoir que la position prise par tous ces auteurs renvoit implicitement au rôle de l’Etat dans l’économie. Ceux qui voient en l’Etat la capacité de garantir les fonctions régaliennes et sociales minorent les effets de la dette publique ; ceux qui le voient comme le garant de l’ordre institutionnel trouvent que la dette publique est un fardeau qui pèse sur les citoyens.
La théorie libérale et la dette publique
Les thèses libérales qui s’opposent à l’accumulation de la dette publique ont connu un franc succès au cours des années 1960 lorsque de par le monde le financement des déficits publics par la création monétaire et l’augmentation des impôts aboutissent à une récession économique caractérisée par un chômage et une inflation galopante. Les partisans de cette théorie dont les plus connus sont Hayek, Ricardo, Barro et Buchanan démontrent que le recours au déficit public peut nuire à la collectivité dans le cas où l’emprunt de l’Etat peut évincer les investissements privés (effet d’éviction), augmenter les impôts dans le futur (équivalence ricardienne) ou créer de distorsions des prix dans le cas du financement des déficits par la création monétaire (Effet Cantillon). Ils en appellent donc à un Etat responsable qui vive essentiellement de ses recettes et qui assume ses dettes sans aucune facilité. L’hypothèse de base de ce courant de pensée est que l’Etat débarrassé des obligations sociales se contente de fournir les services régaliens qui créent les conditions favorables à la croissance économique. L’augmentation des recettes publiques permettra de réduire ainsi les dettes publiques. L’arithmétique de base à cette théorie est que le taux de croissance doit être supérieur au taux d’intérêt obligataire sur la dette publique. Le succès de ces thèses explique son adoption dans une large partie du monde. Aux Etats-Unis et en Angleterre, Ronald Reagan et Margareth Thatcher amorcent la dérégulation monétaire et financière nécessaire pour favoriser les possibilités des emprunts publics sur les marchés financiers. Le traité de Lisbonne qui a servi de base à la création d’un marché commun dans la zone euro suspend définitivement le recours des Etats aux prêts de leur banque centrale en mars 1973. En Afrique à la fin des années 1970, qu’ils soient dans une union monétaire ou en change libre tous les pays sont contraints aux mêmes restrictions sous la houlette du FMI.
Déficit public, levier de croissance
Contrairement aux libéraux, Keynes et tous les auteurs qui soutiennent la thèse de l’interventionnisme étatique estiment que l’augmentation de la dépense publique peut être un levier de croissance ou un régulateur de l’activité économique. Pour ces auteurs lorsque la demande effective (dépenses d’investissement et de consommation réalisées) est insuffisante pour assurer le plein-emploi. L’Etat peut améliorer cette situation en augmentant la demande publique. La création monétaire dont il détient le monopole peut permettre d’augmenter les dépenses publiques dans la réalisation des grands travaux. Cela est de nature à améliorer la situation initiale.
De nos jours les partisans de l’endettement public comme André Orléan, reprennent les arguments de Keynes et s’opposent aux théories qui voudraient que l’Etat vive essentiellement de ses recettes. Leur argument se fonde sur le fait que depuis l’abandon des planches à billets et du financement des emprunts via la banque centrale, les dettes des Etats évoluent dans des proportions très éloignés des fondamentaux de l’économie.
Arbitré par les marchés financiers les taux d’intérêts sur la dette des Etats n’évoluent pas selon la loi du marché mais selon un comportement dit « moutonnier » ou le cours d’un actif peut varier selon l’opinion des leaders du marché ou des agences de notation sans que sa valeur fondamentale ne se modifie. Ainsi certains Etats malgré les politiques d’austérité qui compriment les dépenses ont des dettes publiques en constante évolution. |
Dans ces conditions, les keynésiens se posent la question de savoir pourquoi demander à l’Etat de vivre uniquement sur ses ressources si ces dettes peuvent s’élever sans augmentation des dépenses publiques ? Ils tirent la conclusion que les Etats outre les impératifs régaliens ont des obligations sécuritaires, sociales et culturelles que la logique marchande n’intègre pas dans la détermination des taux d’intérêt. Dans ce cas les agences de notation qui sont créées à l’ origine pour orienter les investisseurs privés ne peuvent être des baromètres de la vie des nations.
L’endettement public des pays africains
Comment expliquer la dette des pays africains ? Les théories économiques que nous venons de passer en revue permettent de comprendre leur évolution mais n’en sont pas vraiment responsables. Outre la gabegie et la corruption qui caractérisent ces pays les orientations des politiques économiques qui ont accompagné l’endettement des pays africains s’observent sur deux périodes distinctes. De 1970 à nos jours, les pays africains ont d’abord choisi les thèses keynésiennes avant de se voir imposé les options libérales.
Au début des indépendances devant la quasi absence d’un secteur privé dynamique l’ensemble des pays du continent applique une politique économique à tout point de vue semblable à la vision keynésienne. Dans ce contexte, les moyens internes ne suffissent plus à réaliser tous les projets. La genèse de cet engrenage commence à partir de 1973 lors du premier choc pétrolier, le prix du pétrole multiplié par cinq, apporte des revenus confortables aux pays producteurs de pétrole qui les placent à leur tour dans les banques occidentales ; ces dernières les proposent aux pays africains contents de s’endetter à des taux faibles pour financer leur programme de développement. C’est la naissance de la partie privée de la dette des pays africains. Dans le même temps les marchandises produites au Nord ont du mal à trouver preneur à cause de la récession économique et du début du chômage massif. Ces pays riches décident alors de distribuer du pouvoir d’achat au Sud, afin de les inciter à acheter les marchandises du Nord. C’est ainsi que sont mis sur pied des prêts d’État à État, souvent sous forme de crédits d’exportations. C’est la naissance de la partie bilatérale de la dette extérieure des pays africains. La dette multilatérale quant à elle a commencé à prendre du volume entre 1968 à 1973, pendant cette période la Banque mondiale va inciter les pays africains à emprunter dans l’espoir affiché de financer la modernisation de leur appareil d’exportation et les connecter au marché mondial.
Les politiques d’inspiration keynésienne ont montré leurs limites, à la fin de l’année 1979, de commun accord l’idée est de tourner cette page et désormais ce sont les options libérales qui sont privilégiées (austérité budgétaire et baisse drastique des budgets sociaux “non-productifs” ; dévaluation de la monnaie locale ; taux d’intérêt élevés). La dérégulation de marchés monétaires et financiers en occident intervient en même temps que la suspension des planches à billets pour les pays africains membre du FMI. Les Etats pour lutter contre l’inflation doivent s’endetter sur des marchés financiers ou les taux d’intérêts influencés par la hausse des taux américains et le risque pays est en constante évolution. De l’ordre de 4-5 % dans les années 1970 les taux d’intérêt sur la dette des pays africains, augmentent brutalement avec les taux américains, et passent à 16-18 % au moins, voire davantage. Par conséquent, du jour au lendemain, un pays africain doit rembourser trois fois plus d’intérêts. Le comble pour ces pays est que les emprunts massifs contractés par les dirigeants n’ont pourtant que très peu profité aux populations.
Nécessité de réformes
Au regard de l’histoire et à la lecture des théories économiques nous pouvons affirmer que la dette des Etats africains est née des options keynésiennes mais a été nourrie et entretenue par la gabegie et les options libérales. S’il est établi que les limites de l’interventionnisme étatique sont certaines dans le temps pourquoi les options libérales ont d’avantage augmenté la dette qu’ils étaient censés réduire ? La réponse à cette question se trouve dans le fait que depuis la libéralisation financière des années 1970 les taux de croissance et les taux d’intérêts obligataires évoluent dans des dimensions très différentes. Alors que le taux de croissance est déterminé par la capacité de production interne d’un pays, le taux d’emprunt obligataire est déterminé sur un marché financier de plus en plus volatile. Dans ces conditions, il est pratiquement impossible à un Etat de créer de la richesse au même taux que le taux des obligations. Les propositions de réformes pour réduire la dette des pays africains doivent s’articuler autour de la suspension des prêts sur les marchés financiers internationaux et l’amélioration de l’efficacité des dépenses publiques.
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