Crise ! « Vache maigre » ! « 16 mesures » ! « Arriérés de salaires » ! « Baisse des cours du baril du pétrole » ! Ces expressions saturent l’espace public depuis bientôt trois ans et alimentent certaines évidences partagées par le commun des mortels. Chacun y va de son commentaire sur les origines supposées de la crise et surtout sur la fin probable du supplice. De la vendeuse de bière locale au boutiquier du quartier, en passant par le fonctionnaire, tous s’accordent pour attribuer la crise à la mauvaise gouvernance, en implorant en même temps l’éternel ou en conjurant les efforts de tous les décideurs pour sortir de cette crise qui n’a que trop duré.
En effet, depuis fin 2014, le Tchad fait face à une crise des finances publiques, puis économique, sans précédent. La part des recettes pétrolières dans les recettes totales n’a fait que décroitre passant de 76% en 2011 à 24% en 2015 soit un écart de 52%. Contrat pétrolier entre le gouvernement et la multinationale Glencore (contrat Badoit 2), chute brutale des prix du baril du pétrole et crise sécuritaire aux frontières du pays sont autant des arguments avancés pour expliquer cette crise. Toutefois, point besoin d’être un génie pour parier avec certitude que la mauvaise gouvernance est à l’origine de cette crise. Notre compatriote Issa Mahamat A., dans un essai intitulé « Tchad, comment sortir de la crise économique ? », a très bien mis en exergue les effets pervers de cette mauvaise gouvernance, ayant conduit à la crise actuelle. Que peut-on retenir de ce mélimélo ?
Il nous souviendra que le Tchad a servi de cobaye par la Banque mondiale (BM) en ce sens que le pays a été un champ d’expérimentation d’innovations en matière de gestion des revenus pétroliers. En effet, les dispositions de la loi 001/PR/1999 portant gestion des revenus pétroliers au Tchad, adoptée par les autorités du pays sous la supervision de la BM, avait prévu la mise en place d’instruments permettant au pays de se prémunir contre les effets de la baisse des cours du pétrole. Selon Tulipe (2004), « On attendait de cette expérience originale – où l’association d’Etats africains peu recommandables et de grandes entreprises pétrolières privées sous les auspices de la Banque Mondiale permettrait d’amorcer le cercle vertueux du désenclavement et du développement – qu’elle redore le blason de l’institution. » Hélas, c’est sans compter sur l’agenda de chaque partie prenante du projet. L’opérationnalité de ces instruments a été mise en mal dès les premières difficultés sécuritaires éprouvées par le pays, conduisant à la suppression des « fonds pour les générations futures » et au retrait momentané de la BM du projet. En outre, les règles de fonctionnement du fonds de stabilisation, domicilié à la BEAC, fait que le solde de ce compte est nul depuis 2012. En outre, le pétrole ne se traduisant pas par l’amélioration du panier de la ménagère, chacun a demandé sa part de gâteau. A cet effet, la masse salariale a augmenté de 450% sur la période 2004-2016 suite aux revendications syndicales grandissantes. Des infrastructures de toute nature (écoles, hôpitaux, marchés, stades, aéroports, etc.) ont été réalisées sur l’ensemble du territoire avec un impact mitigé sur la pauvreté dont le taux est passé de 55% en 2003 à 47% en 2011, alors que le nombre de pauvres a plutôt augmenté sur la période considérée. Par ailleurs, d’autres agents ont trouvé les moyens de puiser directement dans la caisse. Conséquence, l’économie du pays est exposée à la moindre variation des prix internationaux du pétrole car d’autres secteurs porteurs ont stagné ou sont négligés pendant le boom pétrolier. Gylfason (2000) disait à ces propos, « Nager dans l’argent facile, elles peuvent trouver que l’éducation ne paie pas. Les nations sans ressources naturelles ont une petite marge d’erreur, et sont moins susceptibles de faire cette erreur. » Qu’à cela ne tienne, faire un bon diagnostic de la situation augure de meilleures solutions.
Gylfason (2000) disait à ces propos, « Nager dans l’argent facile, elles peuvent trouver que l’éducation ne paie pas. Les nations sans ressources naturelles ont une petite marge d’erreur, et sont moins susceptibles de faire cette erreur. » |
Certes le Tchad n’est pas le seul à être frappé de plein fouet par le retournement de la conjoncture sur les marchés internationaux du pétrole. Des pays comme le Venezuela, la Guinée Equatoriale, le Congo, etc. ont dû réduire drastiquement leur train de vie à travers des coupes budgétaires importantes pour faire face à la chute des recettes pétrolières. Le gouvernement tchadien a opté pour une politique d’austérité, résumée dans les « 16 mesures ». Quels sont alors les effets de ces 16 mesures ? Sont-elles efficaces ? Ne créent-elles pas d’autres soucis économique et social ? Les nouvelles taxes instituées par la loi des finances initiale 2017 ne créent-elles pas des effets contreproductifs avec la baisse de l’activité économique ? En même temps, les arriérés de paiements intérieurs sont passés de 1 % du PIB non pétrolier fin 2014 à 3,9 % du PIB non pétrolier (200 milliards de FCFA) en 2015. D’autres estimations portent le montant de ces arriérés à près de 1 000 milliards de FCFA en 2016. L’accumulation des arriérés intérieurs conduit parfois à de graves difficultés économiques : chômage, contraction de la consommation, risque bancaire, etc.
Peu importe les causes de cette crise car mieux vaut être solutionneur que d’être diagnostiqueur face à un mal qui prend de l’ampleur ou face à un bateau qui est entrain de chavirer. Connaitre les conséquences pour mieux apporter les solutions est aussi idéal. Cette crise faut-il le rappeler est un mal nécessaire car elle permettra au Tchad d’interroger la soutenabilité de son modèle économique et de construire de nouvelles fondations dynamiques pour lui permettre de résister dans le futur contre vents et marrées.
La situation actuelle du Tchad est comparable à un bateau en difficulté en pleine mer, nécessitant des expertises des uns et des autres pour sauver le navire. Tchad Eco a dédié sa quatorzième parution exclusivement à l’analyse de la crise en s’appuyant sur des préceptes théoriques, des faits stylisés et des mesures prises par le gouvernement. Il tentera de proposer des pistes de solutions comme plan d’urgence de sortie de crise. Nous souhaitons bon courage à tout le peuple tchadien en cette période de traversée du désert. La contribution de tous sans exception est attendue pour sauver le navire. Ensemble, le Tchad s’en sortira !!!
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