Opinions : IPPTE et évolution temporelle des indicateurs dans le secteur de la santé

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Entrée principale de l’Hôpital central de N’Djamena

A la rencontre du G7 de 1999 en Cologne, il a été décidé de l’approfondissement et de l’accélération de l’IPPTE. Au lancement de l’initiative « renforcée » en Septembre 1999, la lutte contre la pauvreté a été placée au centre du dispositif de réduction de la dette. Pour être éligibles à l’initiative, les pays se doivent de satisfaire entre autres critères la définition d’une stratégie globale de lutte contre la pauvreté présentée dans un Document Stratégique de Réduction de la Pauvreté (DSRP) ou Plan National de Développement (PND). Ce document est élaboré par les autorités locales avec la participation de la société civile. Dans le nouveau dispositif de réduction de la dette, l’accent a été mis sur les dépenses dans les secteurs sociaux dont l’éducation et la santé principalement.

Par ailleurs, au point de décision de l’IPPTE, la Banque mondiale et le FMI fournissent une aide intérimaire, notamment par des versements au titre des nouvelles modalités de prêt, et par les allégements multilatéraux prévus. Les autres créanciers multilatéraux et bilatéraux concèdent aussi une première part de leurs allégements, à leur discrétion. Ceci est censé relâcher la contrainte budgétaire des États ayant atteint le point de décision pour les dépenses dans les secteurs sociaux (voir le livre de Bougouin et Raffinot, “L’initiative PPTE et la lutte contre la pauvreté,” paru dans Economica en 2003).

Où en est le Tchad avec les dépenses dans la santé?

La dépense de santé par tête au Tchad n’a cessé d’augmenter depuis l’atteinte du point de décision (2001), mais elle reste très faible devant la moyenne des PED. En 2013, elle a atteint 74$ international de 2011. Cette dépense de santé bénéficie d’une part non négligeable de financement extérieur. En moyenne, environ 13,70 % de la dépense totale de santé entre 2000 et 2013 sont financées sur ressources extérieures et près de 37 % de cette dépense est à la charge de l’État. La dépense de santé dans le budget de l’État est restée presque constante entre 2000 et 2005 (13 % du budget), depuis 2006, elle peine à atteindre 8 % du budget global. En moyenne elle se situe à 9,18 % sur la période 2000-2013. Ramenée à la richesse nationale, la dépense publique de santé connait une baisse moyenne de 5,71 point de pourcentage par an entre 2000 et 2013. En 2013, la dépense de santé représentait 3,6 % du PIB, ce qui revient au même de dire que le pays consacre moins de 5 % de sa richesse à la santé.

Source: World Development Indicators, Banque Mondiale
Source: World Development Indicators, Banque Mondiale

Globalement, la richesse par habitant et la population du Tchad croissent plus vite que la dépense de santé par tête. Ceci peut expliquer une efficacité du système de santé, c’est-à-dire une réalisation des économies d’échelle. Malheureusement, pour le Tchad, ce n’est pas le cas dans la mesure où peu d’indicateurs de santé sont au vert.

Par ailleurs, lors du sommet de l’Union Africaine en 2001, les États africains ont opté à travers la déclaration d’Abuja de consacrer 15 % de leur budget à la santé. Bien que cette déclaration ne soit pas précise, depuis 2001 le Tchad n’a pas été en mesure d’honorer cet engagement. Bien au contraire les efforts du pays dans l’optique de respecter cette déclaration s’amenuisent. Il lui faudrait plus de deux fois l’effort fourni actuellement dans le financement de la santé.

Tout de même, d’importantes ressources sont injectées dans la santé par le ministère des Infrastructures et les Grands Projets Présidentiels mais ces fonds n’apparaissent pas dans le budget de la santé du fait qu’ils sont exécutés à l’extérieur du ministère de la Santé Publique (voir “Annuaire des statistiques sanitaires du Tchad,” 2013). Il aurait été intéressant de figurer ces fonds dans le budget de la santé afin de montrer les efforts fournis par l’État dans l’atteinte de cet objectif.

Il va sans dire que le relèvement de la part de dépense de santé dans le budget favoriserait l’atteinte des objectifs définis dans le PND et en même temps les OMD relatifs à la santé.

Avec quel effet sur la santé?

Le Tchad a défini des indicateurs et leurs seuils afin de suivre l’évolution du pays pour l’atteinte des objectifs qu’il s’est fixé dans le PND 2013-2015. Sur le plan des infrastructures sanitaires, le Tchad s’est donné pour objectif de rendre fonctionnel 75 % des Districts de Santé (DS). En effet, la fonctionnalité des DS est d’une importance capitale car c’est au sein des DS que se trouve les hôpitaux de districts qui sont les seuls habilités à hospitaliser et à traiter des complications référées par les centres de santé au niveau des provinces. Malheureusement, depuis 2010 le Tchad n’a pas été en mesure de faire fonctionner les 3/4 des DS. Par ailleurs chaque année des nouveaux DS sont créés; en 2013, leur nombre a atteint 121 DS. Notons qu’il devait avoir un hôpital de district dans chaque département pour une population variant entre 50 000 à 150 000 habitants.

En ce qui concerne la santé maternelle et infantile, le pays fournit des efforts louables. Le taux de mortalité infantile connait une baisse continue depuis 2004. Malgré ces efforts, le Tchad est loin de l’objectif de 102 décès pour 1000 naissances vivantes du PND. Aussi, un enfant tchadien né en 2013 a 89 chances sur 1000 de décéder avant son 1er anniversaire; cet enfant a 148 chances sur 1000 de ne pas fêter son 5e anniversaire alors que ce risque n’est que de 2/1000 pour un enfant luxembourgeois. De plus, on est loin des objectifs de 30 000 traitements d’ulcérations génitales et 40 000 traitements d’écoulements vaginaux par an du PND. Tout de même, l’objectif de moins de 109 décès maternels pour 10 000 naissances vivantes est atteint depuis 2006. D’ailleurs, pour faire face à cette précarité et accélérer l’atteinte des objectifs fixés dans le PND, le Président tchadien a instauré la gratuité des soins d’urgence au Tchad en 2007. Cette gratuité a été étendue à tous les centres de santé en 2013. Son instauration semble avoir favorisé l’augmentation de la proportion des accouchements assistés par un personnel de santé qui est passée de 14 % en 2007 à 35 % en 2013, loin au-dessus du seuil de 20 % fixé dans le PND.

Source: Annuaire des statistiques sanitaires du Tchad, Division du système d’information sanitaire
Source: Annuaire des statistiques sanitaires du Tchad, Division du système d’information sanitaire

Pour ce qui est de la prévention des maladies, le Tchad excelle dans ce domaine. En effet, depuis 2006, le pays a atteint l’objectif de 40 % de taux de vaccination de penta 3. Ce vaccin prévient la Diphtérie, le Tétanos, la Coqueluche, l’Hépatite B et l’Hémophilie chez les enfants. L’efficacité du Tchad dans la prévention s’explique par l’importance du nombre des partenaires techniques et financiers sans oublier le suivi-évaluation exigé par ces partenaires.

Il ressort de cette analyse que l’atteinte du point d’achèvement de l’Initiative PPTE est une opportunité qui permettrait au Tchad d’accélérer son développement à travers l’accroissement du financement de ses secteurs sociaux. Ceci n’est valable que si les fonds libérés par l’atteinte du point d’achèvement ne soient un substitut au flux d’autres ressources externes. En réalité, après l’atteinte du point d’achèvement, le flux d’aide vers les PPTE connait une diminution par rapport aux autres pays pauvres. De plus en général, ils ne reçoivent pas de fonds additionnels comparativement à ce qui était le cas avant le lancement de l’Initiative. Aussi, l’État devrait prôner une politique de performance et une vérification d’impact et de résultats au lieu d’encourager seulement les dépenses.

En effet, le plus souvent, les responsables de programme et les décideurs se focalisent uniquement sur le contrôle et la mesure des intrants et des produits immédiats (par exemple le montant d’argent dépensé et la quantité des produits distribués) plutôt que de savoir si les programmes ont atteint leurs objectifs en termes d’amélioration du bien-être des bénéficiaires c’est à dire une évaluation d’impact.

Les évaluations d’impact permettent d’identifier les changements du bien-être des individus attribuables à un projet, un programme ou une politique particulière. Elles permettent également une responsabilisation des responsables de programme et une justification des allocations budgétaires et d’orienter les décisions de politique publique. De plus, elles sont des outils solides et fiables que les gouvernements eux-mêmes se doivent d’utiliser pour convaincre leurs électeurs que les investissements qu’ils ont choisis portent leurs fruits. Au plan international, elles jouent également un rôle crucial car elles permettent de mieux cerner l’efficacité des programmes de développement en mettant en évidence ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas en matière de réduction de la pauvreté et d’amélioration du bien-être des populations. Le Tchad pourrait s’inspirer d’autres pays ayant atteint le point de décision de l’IPPTE avant lui et qui ont utilisé l’évaluation d’impact pour mettre en exergue l’efficacité des programmes sociaux implantés.

Azoukalné Monkenet

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