Les Faits : Le foncier au Tchad : décryptage d’un secteur porteur de croissance et disposant d’un potentiel de ressources considérable

La mauvaise conjoncture économique au Tchad induite par la baisse des recettes pétrolières a eu le mérite de mettre en évidence l’extrême vulnérabilité du pays à la volatilité du cours du brut. Ce qui souligne l’urgence de mettre en place d’actions visant à mieux accroitre la mobilisation des ressources publiques. La fiscalité foncière constitue une niche où un prélèvement plus important pouvant être mobilisée à condition d’initier des politiques publiques visant à en formaliser les activités. Un chiffre permet d’illustrer l’ampleur des réformes à mener dans ce secteur : 80% des dossiers en instance de jugement devant les tribunaux portent sur le foncier. Ces acquisitions foncières anarchiques donnent souvent lieu à des investissements hasardeux dont les conséquences peuvent conduire à la mort et engendrer des conflits communautaires fratricides.14580539_1275021099185724_184063170_n

Quelle est l’évolution du secteur foncier au Tchad ? Quelles sont les réformes à mettre en œuvre pour accroitre la mobilisation de la fiscalité foncière ? Telles sont quelques-unes des questions auxquelles tente de répondre cette contribution.

Le secteur foncier en chiffres
80% des dossiers en instance de jugement devant les tribunaux concernent des questions foncières.
Seulement 4 092 titres sont détenus par les propriétaires fonciers au Tchad.
Le prix d’obtention des documents sécurisés sont de 35.000 FCFA pour le titre foncier au début de la procédure, 65.000 F CFA jusqu’aux arrêtés ou procès-verbaux d’adjudication et enfin 100.000 F CFA jusqu’au titre foncier définitif.
Sur la période 2004-2012, les recettes foncières sont passées de 0,3% des recettes fiscales totales à 0,7%.

Le cadre juridique du foncier au Tchad

Le cadre juridique encadrant les transactions foncières au Tchad n’est pas propice à la mise en place d’un marché formel des terres, surtout en milieu rural. En effet, le régime formel coexiste avec le droit coutumier et islamique. Ainsi, la propriété de la terre peut être attestée aussi bien par son immatriculation (titre foncier) que par sa mise en valeur (droit coutumier). L’État peut également s’approprier les terres non mises en valeur et non immatriculées, et les mettre à la disposition des particuliers pour une mise en valeur. La coexistence de ces trois types de cadre rend difficile l’harmonisation et la formalisation des activités de ce secteur.

Trois textes de lois régissent le foncier au Tchad. Il s’agit des lois 23, 24 et 25 du 22 juillet 1967. Ces lois garantissent le droit de la libre possession introduit par le colonisateur, imposent aux conservateurs de la propriété foncière d’enregistrer leur propriétés et prévoient des dispositions pour l’expropriation de terres par l’Etat.

Deux autres textes complètent cet arsenal juridique. Il s’agit de la loi No 7 du 5 juin 2012 qui renforce les capacités des communautés rurales dans la gestion des ressources naturelles et le décret No 215 du 24 avril 2002 qui institue un observatoire national du foncier. Cet observatoire a pour mission d’améliorer la compréhension des problématiques foncières dans le but d’orienter l’Etat dans l’implémentation de sa politique et de la législation foncière.

Malheureusement, comme pour la plupart des textes en vigueur au Tchad, ceux régissant le foncier ne sont pas traduits dans les langues locales, ce qui constitue une entrave à leur vulgarisation. Cela explique pourquoi la majeure partie de la population résidant en milieu rural, les chefferies traditionnelles et les leaders religieux ne sont pas familiarisés avec ces lois.

Il convient aussi de relever l’existence en plus de ces textes officiels du droit coutumier et islamique qui régissent toujours la plus grande partie des transactions en lien avec l’accès et le contrôle des terres et aux ressources naturelles et cela aussi bien en milieu urbain qu’en milieu rural (CILSS, 2003; Banque Mondiale, 1997).

Pourquoi le projet de code foncier et domanial tarde à être adopté ?

Malgré l’adoption de plusieurs textes qui ont complété ce cadre initial datant de 1967, il apparait clairement aujourd’hui que le cadre juridique en vigueur ne correspond plus aux réalités et pratiques actuelles en matière de transactions foncières et domaniales. Cela a conduit le gouvernement à proposer l’adoption d’un nouveau code foncier et domanial. La première version du projet a été présentée au Parlement pour adoption en Avril 2012. Cependant, plusieurs dispositions de la loi et en particulier celle stipulant que la terre est détenue par l’Etat (Alinéa 4 de l’Art. 2 par exemple) fait l’objet d’une vive contestation des Députés qui estiment que cette disposition supprime de fait les prérogatives des chefs traditionnels qui régissent les transactions foncières (vente de terres, droit de pêche, etc.)

Consciente de cette lacune, le gouvernement a amendé la version initiale de cette loi en incluant que la gestion des terres, bien que détenue par l’Etat, peut être une prérogative des Collectivités Territoriales Décentralisées qui sont des entités morales dirigées par les élus locaux. Malgré ces amendements, le projet de code tarde toujours à être adopté. Il est aujourd’hui impossible de savoir la date de son adoption étant donné la sensibilité et les intérêts en jeu.

Encadré : les types de propreté foncière

Les textes officiels (y compris les droits islamique et coutumier) reconnaissent le droit de propriété public et privé au Tchad. Ces textes prévoient ainsi que l’Etat détient toutes les terres publiques et privées.

Propriété publique

Les textes officiels prévoient que l’Etat détient deux types de propriété publique : les propriétés publiques naturelles (lacs, minerais et forêts classées par exemple) ainsi que des propriétés publiques artificielles (canaux d’irrigation, aéroport, monuments, etc.). La loi islamique et le droit coutumier prévoient aussi que certaines terres peuvent être détenues par des imams ou les chefs traditionnels pour le bénéfice de la communauté (BM, 1999).

Propriété privé 

Les textes stipulent que les terres vacantes ou vierges appartiennent à l’Etat. Tout domaine foncier qui n’est pas soumis au régime de la propriété publique est considéré comme une propriété privée de l’Etat que les personnes physiques ou morales autres que l’Etat peuvent acquérir. La propriété privée inclut les terres vacantes et non enregistrées, les terres abandonnées et les terres non utilisables. Le droit coutumier reconnait les « ndouba »qui sont des terres dont la propriété est collective aux habitants d’un village (terres environnant ou sites d’anciens villages abandonnés). La législation, le droit islamique et le droit coutumier reconnaissent aussi des personnes physiques et morales autres que l’Etat de posséder des propriétés (BM, 1999).

Les enjeux de la réforme foncière

Conscient de l’importance de mieux encadrer les transactions foncières, le gouvernement tchadien avec l’appui des partenaires au développement (AFD notamment) a entamé une vaste réforme domaniale et foncière. Sur le plan institutionnel, un décret portant création du Ministère des Affaires Foncières et du Domaine a été signé en 2011 (décret n°11-1022 2011-09-16/PR/PM/MAFD/11). Un autre cap important a été franchi en 2013 avec la numérisation des documents cadastraux, et surtout l’instauration d’un guichet unique pour les affaires foncières. La création de ce guichet s’inscrit dans le cadre du programme de sécurisation des documents cadastraux, fonciers et domaniaux. Le déploiement du guichet unique permettra d’atteindre plusieurs objectifs fixés par le programme dont la facilitation de l’obtention par les usagers de documents cadastraux et domaniaux, la fiabilisation et la sécurisation desdits documents, leur conservation dans de meilleures conditions de sécurité et enfin une meilleure mobilisation des recettes fiscales hors pétrole.

La première version de ce projet de code foncier a été présentée à l’Assemblé Nationale en 2012. Cependant plusieurs dispositions de la loi et en particulier celui stipulant que la terre est détenu par l’Etat (Alinéa 4 de l’article 2 par exemple) fait l’objet d’une vive contestation des députés qui estiment que cette disposition supprime les prérogatives des chefs traditionnels qui régissent les transactions foncières (vente de terres, droit de pêche, etc.).

La contribution de la fiscalité foncière et domaniale au Tchad

La fiscalité foncière dispose d’un potentiel de ressources considérables dans les pays en développement (PED). En effet, les taxes foncières sont particulièrement bien adaptées pour les collectivités locales dont les recettes propres sont très faibles comparativement à leurs dépenses. Une étude du FMI (2011) montre que dans les PED, les taxes foncières ne génèrent souvent que moins de 0,1 % du PIB et rarement plus de 0,5 % (Bolivie, Cap- Vert, Honduras et Kazakhstan). Cependant, elles peuvent aussi représenter 50 % des recettes de l’administration locale (Arménie, Lesotho et Pérou). Sur le plan de l’efficacité, elles sont intéressantes car elles portent donc sur une base imposable relativement large et stable. En outre, elles offrent l’avantage de moins pénaliser la croissance comparativement aux autres types d’imposition. Arnold (2008), en utilisant les données des pays de l’OCDE, a montré les impôts fonciers sont ceux qui pénalisent le moins la croissance suivis par les taxes sur la consommation (TVA notamment), l’impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP) et l’impôt sur les sociétés (IS).

Au Tchad, la fiscalité foncière est très peu développée en raison du faible taux de détention de titres fonciers (seulement 4 092 pour une population totale estimée à près de 13 millions d’habitants en 2011). Ce qui montre l’ampleur des taxes foncières qui pourraient être perçues si la majeure partie des propriétaires fonciers disposaient d’un titre. En plus du faible niveau de vulgarisation des textes en vigueur en matière de législation foncière, le coût d’acquisition de titres fonciers constitue également un frein à son accès. Ainsi, le prix d’obtention des documents sécurisés sont de 35.000 FCFA pour le titre foncier au début de la procédure, 65.000 F CFA jusqu’aux arrêtés ou procès-verbaux d’adjudication et enfin 100.000 F CFA jusqu’au titre foncier définitif.

Toutefois, le gouvernement a entrepris des efforts dans le cadre de la modernisation des finances publiques, permettant d’accroitre faiblement le niveau de collecte des taxes foncières. Sur la période 2004-2012, les recettes foncières sont passées de 0,3% des recettes fiscales totales à 0,7% (cf figure ci-dessous).

Evolution du prélèvement des impôts et taxes fonciers en% des recettes fiscales totales. Sans titredfBanque Africaine de Développement (2013)

Encadré 2 : Les raisons de l’absence de sociétés immobilières  

Comparativement à d’autres PED, il existe très peu de sociétés immobilières au Tchad et le financement d’opérations de construction via crédit bancaire aux particuliers est très faiblement développé. Plusieurs facteurs dont le faible respect des règles de droit, le niveau élevé du risque-pays (risque politique surtout) mais surtout l’absence de garantie fournie par les demandeurs de crédit sont à l’origine de la frilosité des banques.

La généralisation du titre foncier devrait in fine contribuer à relancer ce secteur. La mise en place d’une banque de l’habitat au Tchad et un autre chantier sur lequel l’Etat devrait se focaliser afin de permettre aux tchadiens de disposer de logements décents et durables. Bien que les textes devant permettre sa mise en place aient été promulgués, elle tarde à voir le jour.

Perspectives

L’importance de la formalisation des transactions foncières qui devrait déboucher sur une généralisation de l’octroi des titres fonciers ne fait plus l’objet de doute. En plus de l’accroissement de la mobilisation des recettes foncières que cela devrait permettre d’atteindre, cette formalisation permettrait d’aboutir au développement d’un marché du crédit-bail ainsi que d’autres formes de financements similaires.

Pour qu’un marché immobilier moderne puisse se développer au Tchad, il devient aussi urgent d’adopter le nouveau projet de code foncier toujours en cours d’amendements à l’Assemblé Nationale. Une répartition équitable et logique des prérogatives entre l’Etat et les collectivités territoriales est primordiale pour que ce projet soit vulgarisé surtout en milieu rural. Il convient aussi de ne pas perdre de vue le rôle des chefs traditionnels et des autorités religieuses qui sont d’un apport considérable dans toutes les transactions foncières au Tchad.

Pour aller plus loin, …

USAID, 2010, Property Rights and Resource Governance, Country Profile: Chad, http://usaidlandtenure.net/chad, 21 pages.

IIED & Tearfund 2015, A time for change? Comments on Chad’s draft Land Code, 26 pages.

FMI, 2011, Mobilisation des recettes dans les pays en développement, rapport d’études, 99 pages.

 

Guy Dabi GAB-LEYBA

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