Le syndrome Hollandais ou le « Dutch Disease » au Tchad

Place de la nation à N'Djamena

Le terme « syndrome hollandais » ou « mal hollandais » mieux connu sous l’anglicisme « Dutch Disease » a été exposé au cours des années 70, au moment où eurent lieu les débats relatifs aux problèmes qui risquent de se poser à la Grande Bretagne, eu égard à la découverte de gisements de pétrole (The Economist, 1977). Cette situation renvoie aux difficultés rencontrées par l’économie hollandaise à la suite de la mise en exploitation dans les années 60 des réserves de gaz naturel du gisement Slochteren. Les analystes à travers ce terme ont tenté d’étayer un phénomène étrange auquel l’économie hollandaise était confrontée après le premier choc pétrolier. Il s’agit alors de démontrer le caractère excluant des exportations du pétrole vis-à-vis des autres exportations et ses effets néfastes sur l’ensemble de l’économie.

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Le corpus théorique du syndrome hollandais

Plusieurs auteurs ont tenté de décrire les causes et les effets de ce phénomène qui peuvent nous servir de repères ou d’exemples. Selon Bhagwati (1972), le phénomène se traduit par une diminution de la production des biens échangeables autres que ceux du secteur en boom, entrainant ainsi une-quasi dépendance de son ultime ressource naturelle. Cet appauvrissement engendre systématiquement une baisse du revenu réel. La thèse de la croissance appauvrissante a été évoquée pour encourager les pays en voie de développement à adopter une stratégie tendant à restreindre les exportations de matières premières, correspondant à leur avantage « naturel » et à promouvoir en priorité la production des biens se substituant aux importations. Cette stratégie, qualifiée d’industrialisation par substitution des importations, était considérée comme un levier permettant aux pays exportateurs des produits primaires d’échapper à la croissance appauvrissante. Autrement dit, il faut éviter la spécialisation productive de l’économie.

Bairoch (1967), pour sa part a mis l’accent sur deux aspects : la notion d’enclave et celle des comportements rentiers. La première vision considère que l’industrie extractive (IE) dans les pays du Tiers-Monde est une industrie enclavée ; ses effets d’entraînement sur le reste de l’économie sont faibles, voire même inexistants. En réalité, l’effet d’entrainement se manifeste par la capacité technologie et d’innovation d’une grande entreprise ou grande industrie à stimuler celle des Très Petite et Moyenne Entreprise ou sous-traitante dans un environnement donné. L’auteur retient quatre types d’effets pour définir l’IE enclavée : l’effet induit à travers l’infrastructure de transport réalisée pour l’évacuation des productions des IEs, l’effet induit à travers l’équipement des exploitations minières, l’effet induit à travers la masse salariale distribuée par l’IE et enfin l’effet induit par les possibilités d’investissements offerts par les profits réalisés dans cette industrie. Dans le contexte des pays du Tiers-Monde, aucun de ces quatre effets ne joue. Le secteur extractif est sans liens directs avec le reste de l’économie ; il n’a donc pas d’effets d’entraînement sur le potentiel productif national. Le lien entre secteur extractif et reste de l’économie passe par le budget de l’Etat qui récupère une partie des ressources. Selon l’auteur un constat sur les effets suivants se dégage bien évidement : le dualisme, la désarticulation et la « désagriculturation » de l’économie. Le deuxième concept a étayé les blocages du développement axé sur l’exportation des ressources naturelles en faisant référence à l’idée d’une disparition des comportements axés sur la production au détriment de comportements d’accès aux revenus liés à l’irruption d’une rente. Il en découle de ce comportement que dans la plupart des pays exportateurs de pétrole, les Etas ont des comportements rentiers qui conduisent à une consommation publique et privée aboutissant aux seuils de diversification comparables et parfois même supérieurs à ceux atteints par les pays déjà développés tandis que les structures productives et d’exportation restent archaïques, voire s’essoufflent. L’amélioration du bien-être économique et social (éducation, santé, habitat, etc.) dans les économies rentières s’apparente au développement, mais sans la croissance, c’est-à-dire l’existence d’une réelle base productive. Les niveaux de vie élevés, dans ce type d’économie, n’y reflètent en rien un développement réel des forces productives.

Les performances économiques du pays à l’ère pétrolière

L’apparition des IEs au Tchad a accentué le dualisme (juxtaposition et développement de deux secteurs économiques tel que le secteur primaire et le secteur tertiaire), la désarticulation (non articulation du secteur secondaire ou du tissu industriel) et « désagriculturation » à travers l’exode rural de l’économie déjà existant à l’ère ex-ante pétrolière chez nous malgré le déploiement des intenses projets agricoles gouvernementaux non suivi des impulsions de la main d’œuvre rurale proliférante en villes. Il apparait de même une perte de compétitivité des produits manufacturiers (le textile, l’huile, le sucres…) tchadiens résultant de « l’effet d’attraction à la manne pétrolière ». D’ailleurs, considérant le modèle de l’enclavement de l’économie de Bairoch, il est clair que les IEs dans les pays en développement et plus particulièrement au Tchad ont constitué des enclaves économiques, c’est-à-dire des agents extrêmement capitalistiques qui présentent peu d’opportunités d’industrialisation ou de perspectives technologiques et sont sans effets d’entraînements majeurs sur les autres secteurs de l’activité économique comme le témoigne ces quelques activités de sous-traitance sans enjeux technologiques majeurs réalisées par certaines PME tchadiennes avec le Consortium. Ce dualisme n’est pas seulement économique mais aussi social du moment où survivent des tchadiens ayant des revenus élevés et ceux ayant des revenus très faibles, des agriculteurs et éleveurs convaincus, déterminés et ceux qui ne le sont pas. Dans l’optique soutenabilité de l’économie tchadienne et sociétés extractives au Tchad, l’entrée massive de flux financiers, s’ils ne sont pas bien alloués, pourrait produire des effets pervers de la dépendance en ressources naturelles. Raison pour laquelle le Tchad ne doit pas compter sur les IEs pour développer son tissu industriel. Par ailleurs, les variables scénarii des économistes ont bien avant suggéré qu’en cas de chocs exogènes (chute des cours du pétrole), les indicateurs d’endettement du Tchad se dégraderaient rapidement (BAD, 2007).

L’objectif de l’exploitation pétrolière était logiquement de réduire la pauvreté, de promouvoir l’emploi, d’effectuer un effet entrainement et de polarisation des entreprises. Comparativement à la période avant pétrole, le pays a enregistré de très bonnes performances en matière de croissance économique. Ainsi, entre 2000 et 2013, la croissance du PIB réel par habitant s’est établie en moyenne annuelle autour de 5,12%. La production par tête a presque doublé passant de 367,5$ pour atteindre 741 $ en 2013. Par rapport à la période précédente, le niveau général des Prix à la Consommation s’est considérablement accru. Il est passé de 87 en 2000 (année de base 2005) pour s’établir à plus de 128 en 2013. En moyenne annuelle, il a progressé de 3,25%.

Risque de syndrome hollandais au Tchad ?

Sur la base de l’examen des prix des biens non échangeables, FMI (2009) et Kinda (2010) ne trouvent aucun signe de syndrome hollandais au Tchad. Les déterminants de l’inflation dans le pays résultent plus des fluctuations des précipitations de pluies, du taux de change réel et des dépenses publiques (Kinda, 2010). La seule variable qui pourrait jouer est l’augmentation de la masse salariale, qui est passée de 5 % du PIB non pétrolier en 2000 à plus de 9% en 2008. Le nombre total d’emplois de la fonction publique est passé de 57 000 en 2001 à 117 000 en 2008 et le salaire moyen en termes réels a progressé d’environ 47 %.

Notons que même avant le démarrage de la production pétrolière, le coton était enlisé dans des problèmes qui n’ont pas été aggravés par le pétrole. Toutefois, il est possible que les redevances pétrolières aient modéré les incitations à lancer la réforme de la filière coton.

In fine, l’impact de l’IE sur le reste de 1’économie est positif du point de vue macro-économique mais faible en terme d’entrainement  et de  polarisation industriel.

En tout état de cause, « le concept de malédiction des ressources naturelles soutient l’idée que la dépendance en matières premières est préjudiciable à la croissance économique, bien qu’une brèche ait été ouverte dans la littérature économique pour conditionner ce phénomène à la qualité des institutions » (Tchad Eco N°1)).

Les solutions pour éviter la survenance du syndrome hollandais au Tchad

Les solutions pour éviter le risque du mal Hollandais au Tchad sont nombreuses. Ces solutions consistent en une meilleure gouvernance et une promotion d’une plus grande transparence budgétaire. Il passe aussi par une diversification des sources de recettes qui permettrait d’accroitre les recettes fiscales hors pétrole, une meilleure efficacité de la dépense publique par le biais de l’implémentation des procédures de passation des marchés publics plus transparentes, une programmation des dépenses basée sur les besoins des populations et une répartition égalitaire des investissements sur l’ensemble du territoire national.

Philippe A propos de l’auteur : SANDJIMBAYE DJEKODOM Philippe est titulaire d’un doctorat en Sciences de Gestion obtenu à l’Université Paris 13. Il est Enseignant-Chercheur à l’Université de Moundou et Expert-Comptable agrée dans la zone CEMAC.

 

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