La vente des briques cuites : une mine d’or ?

Source : CROSET (@crédit photo Maïmouna NGOSASSOU)

Mouler les briques, les sécher, les cuire puis les vendre est entré dans le quotidien des jeunes à N’Djamena. Ils sont nombreux à exercer cette activité pour palier au chômage. Mais cela n’est pas sans risque pour l’environnement. Dr MADJIGOTO ROBERT, Géographe-Géomaticien, Environnementaliste, Enseignement Chercheur et Chef du Département de Géographie à l’Université de N’Djamena nous donne d’ample information sur la pratique de cette activité.

Source : CROSET (@crédit photo Maïmouna NGOSASSOU)

Au bord des fleuves et dans les marigots, l’on aperçoit, a perte de vue, des fours de briques cuites. La fabrication de ces briques est une activité génératrice de revenus. Des jeunes courageux, travaillent matin et soir pour gagner leur pain. Il suffit de faire un tour dans ces lieux pour constater leur bravoure. Ils sont en grande partie élèves, étudiants et diplômés sans emploi. Entrepreneurs, ces jeunes ont à leur charge des employés et font vivre des familles à travers ce commerce. « Il ne faut pas s’asseoir pour attendre l’intégration à la fonction publique », lance M. Finan Alain, un jeune homme d’une trentaine d’années, torse nu et baigné de sueur, entrain de malaxer la boue dans un marigot  à Walia dans le 9ème Arrondissement. M. Finan Alain est diplômé depuis 2011 en Biologie. En attendant un emploi correspondant à son profil, il n’a pas croisé les bras. « Je travaille avec 12 garçons. Ils m’aident à mettre à la disposition des clients, des bonnes briques cuites. Nous travaillons avec ardeur pour gagner notre pain et en contrepartie, satisfaire ceux qui commandent des briques chez nous », nous explique-t-il. Les employés rencontrés sur le terrain confient que c’est grâce à la fabrication des briques qu’ils se prennent en charge. Ils sont payés par jour et en fonction du nombre des briques fabriquées. Ils travaillent généralement en groupe de trois ou quatre personnes. Pour 1000 briques fabriquées, ils perçoivent une somme de 15 000 FCFA, soit 15 FCFA par brique. Dans un mois, ils peuvent gagner chacun 60 000 à 75 000 FCFA, ce qui correspond au SMIG tchadien. A entendre quelques-uns d’entre eux, ils se sont retrouvés dans ce job par relation.

Sur le plan socioéconomique, une telle initiative est à encourager surtout en cette période où le nombre de chômeurs va croissant. Mais, il est aussi important de penser aux conséquences que peuvent causer cette activité à l’environnement.

Impact de la fabrication et de la cuisson des briques sur l’environnement

Les marigots et les bordures des fleuves qui servent de terre pour la fabrication des briques ne sont pas aménagés comme les carrières éloignées des habitats. Ces points d’eaux près des habitats rendent généralement de grands services à la population. Tout autour, se pratique le maraichage. D’autres s’en servent pour se laver le corps, faire la vaisselle et la lessive. Les animaux en utilisent pour se désaltérer. Ces trous creusés çà et là et à ciel ouvert dans ces zones précitées constituent un véritable obstacle pour les usagers. Car, l’on ne cesse d’entendre à chaque fois, des accidents qui s’y passent.

Pour Dr MADJIGOTO ROBERT, l’environnement est un milieu dans lequel l’individu et/ou le groupe évoluent, ce milieu incluant l’air, l’eau, le sol, leurs interfaces, les ressources naturelles, la faune, la flore, les champignons, les microbes et les êtres humains, les écosystèmes et la biosphère.

Telles que définies, les activités de fabrication et de cuisson de briques ont certainement des effets sur l’environnement à savoir, le sol, l’eau et l’air. Pour lui, l’activité de briqueterie modifie le paysage par la dégradation. « Cette dégradation du paysage naturel se traduit par une modification du relief. La terre que l’on prélève pour la fabrication des briques constitue une véritable source d’érosion de ces berges. En saison de pluies les berges fragilisées sont emportées pour aller combler les fonds des fleuves et marigots. Les fleuves et marigots devenus peu profonds connaissent une évaporation intense de leurs eaux qui tarissent considérablement. »

Avec l’interdiction du charbon et du bois de chauffe, les fruits de Hyphaen thebaica (Doum) sont devenus une source d’énergie importante pour la cuisson des briques. Ces fruits utilisés sont à l’origine de la régénération de cette espèce. Leur utilisation démesurée nuira à la pérennisation de l’espèce. Pour Dr MADJIGOTO ROBERT, s’il n’y a pas de régénération, il n’y aura pas de ressources énergétiques pour continuer à cuire les briques. Il y a aussi le risque de disparition de cette espèce et donc rupture d’équilibre », car selon une étude inédite : « pour cuire 40 000 briques, il faut 40 sacs de grains de Doum. Donc il faudra 4 000 sacs pour 1 000 000 briques. Si un pied de palmier Doum fournit en moyenne 100 dômes, il faudra 40 pieds de palmiers Doum ». Dans la même logique de cette étude, pour construire une chambre d’une dimension de 4/4 mètres, il faudrait en moyenne 2 000 briques cuites de 15/30 centimètres avec une hauteur 9 centimètres. On estime qu’un sac de dôme contient environ 1 000 grains. Donc, Pour cuire 2 000 briques, il faudrait 2 sacs de dôme qui équivalent à 20 pieds de palmier doum.

Source : CROSET (@crédit photo Maïmouna NGOSASSOU)

Le circuit de fabrication de ces briques demeure empirique. Tout commence par le creusage du sol pour ramasser la terre argileuse puis la malaxer avec de l’eau et laisser fermenter pendant deux jours. Le troisième jour, l’on ajoute à la boue, la bouse ou l’herbe sèche puis on procède au moulage. Une fois les briques séchées, il faudrait monter le four tout en y mettant à l’intérieur les dômes qui servent de combustible. Après la cuisson, les briques sont disponibles pour la vente. Il suffit de faire un tour sur les grandes artères pour constater les tas de briques rangées avec des adresses téléphoniques des vendeurs.

Les acheteurs vers qui nous nous sommes approchés pour savoir pourquoi ils préfèrent les briques cuites que les briques parpaings confient qu’une chambre construite en brique cuite chauffe moins que celle construite en brique parpaing. Ils évoquent aussi la question de la cherté des matériaux de construction (ciment, sable et main d’œuvre).

Des risques pour la santé

Dr MADJIGOTO ROBERT fait comprendre que la bouse servant de combustible est dangereuse pour la santé des fabriquants. « Ce dernier temps, c’est la bouse de vache qu’on utilise pour cuire les briques. Il faut faire remarquer que l’élevage est producteur de méthane, principal gaz à effet de serre à travers les fèces d’animaux ».

La pollution de l’air par la fumée et la chaleur rejetée pendant la cuisson des briques constitue un danger pour l’environnement et les êtres qui vivent dans les alentours « la combustion des déchets dans la cuisson des briques est source de gaz à effet de serre et aussi nocif pour la santé des fabricants. A travers cette combustion des déchets, le gaz produit pollue l’air et occasionne les infections respiratoires aigües (IRA). » Les risques que courent ces jeunes sont les maladies liées à l’exposition au soleil. L’exposition au soleil est source d’ictère », clarifie Dr MADJIGOTO R. Aussi, les populations environnantes ne sont-elles pas épargnées. Ce sont elles qui souffrent plus des effets de la cuisson des briques. « Une fois le four monté, nous y mettons le feu rentrons chez nous. Les personnes qui habitent tout autour se plaignent souvent de la fumée rejetée par le four mais nous n’avons pas de solution. Car cette activité est devenue notre métier », explique un jeune entrepreneur.

Des lois contre la dégradation de l’environnement

Aussi bien dans la constitution que dans les deux lois 14 de 1998 et 2008, il est prévu des dispositions relatives à l’accès à un environnement sain.

A l’Article 4 de la loi 14 de 1998, il est dit : Tout citoyen, individuellement ou dans le cadre d’institutions locales traditionnelles ou d’associations, est chargé, en collaboration avec les collectivités territoriales décentralisées et l’Etat, d’œuvrer, de prévenir et de lutter contre toute sorte de pollution ou de dégradation de l’environnement dans le respect des textes législatifs et réglementaires. L’exploitation qui est source de dégradation ou de pollution est contraire à cette loi.

Pour Dr MADJIGOTO R., étant une activité commerciale, à moins que dans la législation relative aux activités commerciales, il y ait des dispositions autorisant cette activité ; ou bien dans les réglementions des communes, il y ait ces mêmes dispositions autorisant formellement ces activités, sinon, vu les effets sur l’environnement ces jeunes ne sont pas véritablement en conformité avec la loi. Mais le besoin de survie leur donne droit à l’exercice de cette activité malgré les lois.

Il suggère que si une entreprise de briqueterie pouvait s’installer et récupérer tous les fabricants des briques pour en constituer une main d’œuvre, les activités pourraient s’effectuer selon les règles de l’art et à un endroit bien précis. Sinon, avec le manque d’emploi, l’arrêt des activités scolaires et estudiantines, les jeunes seront obligés de pratiquer ces activités. La fabrication des briques crues et stabilisées peut être une solution à l’utilisation des combustibles, source de pollution de l’eau et de l’air.

Il constate que ces jeunes se sont sentis comme obligés à pratiquer ces activités. «  On sait que s’ils trouvent d’autres débouchées, ils laisseront ces activités. Pour certains, si les cours reprennent, ils regagneront les salles de classe. Pour les autres, il faut que les pouvoirs publics leurs trouvent d’autres emplois ». Dr MADJIGOTO R. conseille à ces jeunes de constituer un capital de départ pour d’autres activités génératrices de revenus, au regard de la pénibilité de l’activité qui ne mérite pas qu’on en fasse une activité de longue durée.

Malgré le non suivi de cette activité par les autorités compétentes, Finan Alain laisse entendre qu’il paie une taxe de 2000 FCFA par four aux agents des communes sur le terrain.

Maîmouna Ngosassou, stagiaire au CROSET

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